4

4 minutes de lecture

 Cette nuit-là je l’ai ramené chez moi. Je pensais que nous allions faire l’amour et qu’au matin il partirait. Je me suis déshabillée, il m’a regardée. Il a retiré son T-shirt et son pantalon puis s’est allongé sur mon lit. J’ai commencé à l’embrasser et à le caresser doucement. Il a pris mes mains dans les siennes et m’a dit qu’on ne ferait pas l’amour ce soir. Il a déclaré que ce n’était pas l’envie qui lui en manquait mais qu’il voulait qu’on passe la nuit à se découvrir et que c’était le seul moyen pour que je comprenne qu’il ne m’offrait pas du sexe mais de l’amour. Qu’il m’offrait ses bras et une place dans sa vie. J’ai trouvé sa tirade étrange mais dormir enlacée nue contre lui a été une expérience unique. J’ai goûté cette nuit- là à la tendresse. Ce fut ma première expérience de douceur, ma première expérience de désir et aussi de frustration… ce fut l’une des nuits les plus magiques de ma courte existence. Au matin quand il est parti, je l’ai suivi. J’ai mis dans un sac mes vêtements préférés et mon walkman, il m’a donné un casque. J’ai rabattu la visière sur mes yeux, me suis accrochée à son dos et il m’a emportée loin de ma petite vie tranquille.

 La police est embusquée à l’angle de la rue. Je ne sais pas si elle est là pour lui. J’aimerais pouvoir le prévenir. Pouvoir lui dire de revenir sur ses pas. Il m’a tuée et je voudrais le protéger. Evidemment si on ne connaît pas toute l’histoire on peut me croire folle ou le prendre pour un monstre.

 Ses deux mains enfoncées dans les poches de son cuir élimé, il passe la gauche de temps à autre dans ses cheveux. Il est gaucher. Ma mère aurait pu se servir de ce détail insignifiant pour le cataloguer comme suppôt de Satan. Ayant passé quatre années auprès de cet homme, je sais que ce mouvement signifie qu’il est angoissé. Je l’ai souvent vu faire ça quand nous ne savions pas où passer la nuit ou quoi manger. Nous n’avions que très peu d’argent, nous travaillions à droite et à gauche. Je n’ai pourtant manqué de rien. Quand il nous arrivait de rater un dîner j’oubliais ma faim dans ses bras. Faire l’amour ne m’a jamais semblé aussi intense qu’avec lui. C’est peut être le mélange de violence contenue et de douceur qui me troublait.

 Il n’est pas seulement angoissé, il est aussi malheureux. On ne saurait l’être moins à sa place. Il a tout perdu. Il ne lui reste personne.

 Le malheur lui sied au teint.

 Nous avons sillonné le pays. J’ai vu des choses que je n’aurais même pas pu imaginer en rêve. Des couchers de soleil sur des montagnes dorées aux pointes effilées, nous avons aussi visité de nombreuses villes. Pour que la visite d’une ville soit complète il faut visiter un musée, une église ou cathédrale et un bar. On s’est aimé, émerveillé, instruit et amusé… de vrais gamins. Libres et amoureux.

 Lui et moi c’était comme une évidence.

 La police ne l’a pas arrêté. Il marche sans but réel. Il a encore mon sang qui lui colle sur les mains. Il ne peut cesser d’avancer. Il cherche. Il ne veut pas renoncer au dernier espoir de trouver ce que je lui ai arraché.

 Je n’aurais pas dû faire ce que je lui ai fait. Cette décision m’a été douloureuse mais je me savais incapable de renoncer à notre vie. Comment me contenter d’un travail fixe, d’une petite maison avec un joli jardin, d’une vie de famille réglée comme une partition aussi excitante qu’une mélodie d’ascenseur.

 C’est la folie qu’il m’avait proposée. C’est ce contrat là que j’ai signé. La monotonie et la bienséance sont bonnes pour ma mère. Plutôt mourir que de lui ressembler. Et de ce coté-là c’est une parfaite réussite.

 J’ai essayé tant bien que mal de repousser les changements. Je le voulais lui. Je nous voulais libres. Il voulait se poser. Sédentaire ? Impossible. Il ne pouvait me donner un avant goût de l’extase et me cantonner à une vie sous prozac. Autant m’interner de suite.

 Il est fort et aurait pu me contraindre à faire n’importe quoi. J’aurais pu nous vendre pour nous faire vivre, mais je ne pouvais pas renoncer à nous.

 A chaque destination différente nous nous inventions une vie. Deux amants en fuite recherchés par mon mari qui voulait nous assassiner, deux inconnus venant juste de se rencontrer, deux jeunes mariés qui convolent, deux voleurs de haut vol…

 Du jeu et de l’aventure. Mieux que toutes les drogues que je connais : l’adrénaline. Deux, un chiffre parfait. Trois c’est un de trop. J’ai détesté voir mon ventre s’arrondir, ses yeux s’adoucirent et la passion partir en fumée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire audrux ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0