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Mon fichu ventre s’est arrondi, il était attendri. Autant dire plus beau que jamais. Et en moi, le trouble. Cet enfant, un don du ciel, la concrétisation de notre amour. Ouais et pourquoi pas le remède contre la guerre dans le monde aussi ! Un petit être grandissait en moi et j’étais incapable de l’aimer. On a dû partir du mauvais pied nous deux. Les nausées à tout bout de champs ne m’ont pas forcément aidée à tomber folle amoureuse de cet enfant. La première interaction de sa vie sur la mienne : mon petit déjeuner sur mes chaussures et dans mes cheveux. Quand je me suis relevée, j’étais blanche comme un linge, frémissante et pâle comme la mort. Il a nettoyé sommairement mon visage et s’est inquiété pour moi. Il nous a trouvé une chambre, un autre hôtel minable. On les a collectionnés. Il m’a allongée. Je protestais disant que j’allais bien. Pendant qu’il s’occupait de moi, qu’il me caressait le bras en me parlant de ce qu’il y avait à visiter dans cette ville, j’ai pensé à la possibilité d’une grossesse. Rien que l’idée refaisait monter la bile dans ma gorge. Cet enfant j’aurais dû m’y habituer, j’ai eu sept mois et demi pour ça.

Une mère est sensée aimer son enfant sans même l’avoir vu. Dès la seconde où elle apprend son existence son cœur doit se gonfler d’amour. A partir de là une vraie mère se doit de se battre becs et ongles pour son enfant. Les lois de la nature ont été fixées comme ça. L’espèce humaine n’y échappe pas : à part moi visiblement. Je suis hors norme, pas vraiment humaine ?

Un père. Le mien a toujours été occulté par ma mère. Invisible, inconsistant, ne s’intéressant que très peu à mes frasques… Et là devant mes yeux médusés je voyais l’homme de mes nuits, celui qui pouvait aussi bien me plaquer contre un mur pour me posséder qu’écrire son amour sur mon corps, en extase devant le renflement de mon ventre. Il aime cet enfant. Il l’aime et j’en crevais de jalousie.

Cet enfant m’a expulsée de ma vie, de sa vie. Mon cœur était juste assez grand pour mon homme son jean et ses bras… pas de place pour cet enfant. Ou alors une petite s’il ne bouleverse pas mon existence. Pas moyen de le mettre dans mon sac à dos et de prendre la route. Un enfant ça demande de l’attention, des moyens… Un enfant ça bouffe la vie.

Lui par contre, il lui a ouvert son cœur et a installé son berceau en plein milieu. Au centre de son cœur cet enfant, au centre de sa tête encore cet enfant, au centre de ses propos encore et toujours cet enfant…

Pendant toute ma grossesse il s’est transformé en père parfait. Il a même réussi à me faire culpabiliser. Pourquoi je n’arrivais pas à éprouver de l’amour pour ce petit bout de nous ?

Je me suis demandé si le sexe de cet enfant changerait quelque chose pour moi. Une fille, non pitié pas une fille. Une fille, une mini moi, une rivale. Je voulais être la seule femme de son univers. Un fils, un petit bout d’homme, son portrait ? Deux hommes à aimer ? Un espoir secret est né en moi. Un fils je voulais un fils, un petit garçon qui lui ressemble pour que je puisse l’aimer et lui pardonner de gâcher ma vie.

Il m’a parlé de vendre la moto et de nous prendre une voiture. Il a pris deux emplois pour mettre de l’argent de coté pour préparer l’arrivée de l’heureux événement…

Au sixième mois de grossesse il a cessé de me toucher. Il travaillait trop, était fatigué et incapable de me regarder comme une femme désirable. Il ne voyait plus qu’en moi la mère de son enfant. Un utérus sur pattes juste bonne à mettre au monde son marmot ? J’ai commencé à tourner et virer dans ma tête. Ma vie se mettait doucement sur pause et mon cerveau entrait en ébullition.

La rage et le désespoir se sont disputés mes pensées. Je me suis senti étouffer, claustrophobe, on m’enfermait dans ma vie… Et ce gros ventre, toujours sous mon nez comme pour me narguer. Impossible de m’en défaire. Mal au dos, jambes lourdes, seule… Je n’avais pas vraiment rêvé ma vie comme ça.

J’aurais voulu qu’il me rassure en me faisant violemment l’amour, qu’il m’embarque dans une douce folie, même une toute petite, qu’il me raconte encore une histoire… et inlassablement quand il rentrait du travail il m’embrassait du bout des lèvres tout en passant sa main sur mon ventre comme il aurait caressé un chien.

Un chien ? Plutôt une chienne, accroupie me tenant le ventre, une contraction de plus. Mes genoux ont flanché. Je me roulais par terre. Seule. Et cet enfant qui me déchirait le ventre avait décidé qu’il allait sortir maintenant. Qu’il sorte et qu’il souffre autant que moi. J’ai assimilé sa naissance à la scène ou Alien sortait des entrailles de Sigourney Weaver. Une telle douleur ne pouvait pas être infligée par un enfant pur, pas par un petit ange, oh non plutôt une bête horrible, un monstre… J’ai frappé mon ventre pour qu’il sorte plus vite de moi. J’ai tambouriné comme une folle, j’ai hurlé…

Cet enfant qui me faisait si mal et qui semblait vouloir sortir avait décidé de prendre tout son temps. J’ai voulu atteindre le téléphone appeler quelqu’un, mais une contraction m’a terrassée. Ce bébé voulait ma mort. J’ai trébuché en essayant de me relever et je me suis évanouie.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté comme ça.

Je me suis réveillée à l’hôpital.

Ils avaient ouvert mon ventre pour en extraire l’enfant.

Le docteur a été ravi de m’apprendre que mon fils allait bien. Que c’était un merveilleux bambin de 52 centimètres et de 4 kilos 500. Moins de 5 kilos et ma vie en l’air.

Je me suis sentie vide. Vide et angoissée. Un fils. Il fallait que je l’aime. Ils me l’ont emmené et l’ont posé sur ma poitrine. Objectivement il était beau. Un petit bébé brun avec plein de petits cheveux, un petit nez en trompette, de grands yeux bleu foncé, ses poings serrés…

Oui il était beau. Très beau même.

J’ai voulu l’aimer. Mais j’ai été incapable de lui donner le sein. Incapable de le nourrir. Il n’a eu de cesse de pleurer dans mes bras. Seuls les bras de son père semblaient le calmer. Les bras de son père, non les bras de mon homme. Il resplendissait. La paternité lui allait tellement bien…

Et moi ? Mère incapable, femme délaissée, rongée par la jalousie et la honte de ne pas réussir à l’aimer, la féminité mutilée par la cicatrice de cette césarienne…

Un cauchemar.

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