Théo sort un surin de derrière son dos qui était caché par son large t-shirt. Gabi reprend ses armes et dégaine son katana. Il s’élance au signal de Chang, levant son arme, prêt à combattre. Théo pare le coup puis le repousse avec une puissance déconcertante. Son adversaire est projeté en arrière mais celui-ci repart à l’assaut, entaillant le bras et lui assénant un violent coup de poing dans la côte. Il se tord légèrement puis contre avec l’avant-bras une nouvelle tentative. Les deux reculent, comme pour constater les dégâts.

 Théo se tient le bras pour stopper le saignement tandis que Gabi n’a qu’une égratignure à la main. Il se précipite vers lui pour tenter de nouveaux coups mais Théo bloque son poing et lui envoie un coup dans les côtes, avant d’envoyer valser Gabi avec un balayage dans les jambes. Celui-ci tombe violemment puis Théo se met à califourchon pour le frapper au visage. Gabi se protège dès qu’il peut et parvient à le repousser dans un grognement d’efforts. Les deux échangent à nouveau des coups de lames jusqu’à ce qu’ils décident de lâcher les armes et de continuer à la main. Dans un dernier élan de force, leur poing finit dans la joue l’un de l’autre, leur tête valse en arrière, ils s’écroulent et ne bougent plus..

Chang vient à leur rencontre et inspecte leur état. Leurs yeux sont fermés, ils respirent vite et semblent tous deux incapables de continuer de se battre.

• Bien. Je pense que c’est un match nul.

 Théo ouvre les yeux lorsque le mot “nul” est prononcé. Il se redresse péniblement et semble heureux, comme s’il était content d’avoir perdu, d’une certaine façon.

• Je vais m’occuper d’eux, Chang, ne vous en faites pas.

 Il se lève après un hochement de tête de son boss et s’empresse de soigner Gabi. Celui-ci rouvre les yeux et je vois que Dylan s’est également réveillé. Je lui demande comment il va, nous discutons brièvement puis Chang nous demande de le suivre jusqu’au campement. J’aide Dylan à se relever, Théo fait de même avec Gabi et nous arrivons aux tables de pique-nique. Une fois là-bas, Chang s'éclipse quelques secondes pour ramener une petite boîte en bois.

• Félicitations, vous avez le droit de rejoindre Seeds en tant qu’agents spéciaux. Vous gagnez également chacun un bijou qui vous permettra d’utiliser des pouvoirs qui vous aideront dans votre future mission.

 Il ouvre le coffret et dans celui-ci se trouve en effet trois bijoux, une bague en argent surmonté d’un rubis magnifique rond, un bracelet en cuir noir tressé orné d’une obsidienne à demi polie mais aussi une pierre oeil-de-tigre incrustée dans une boucle d’oreille en forme de petite croix fine argentée accompagnée de deux mitaines en cuir noir. Chang passe au fur et à mesure nous les remettre. Pour ma part, je reçois le rubis, Gabi l'œil-de-tigre et les mitaines, quant à Dylan, c’est l’obsidienne qu’il obtient. Nous mettons le bijou après un instant d’hésitation.

 Une énergie glaciale arrive en moi, quelque chose que je n’ai jamais ressenti, enivrant, fascinant, magique. Je sens la force glissée dans mon corps, dans mes veines, dans mes organes. C’est assez étrange comme sensation, je ne sais pas vraiment ce qu’il se passe. J’ai l’impression de pouvoir déplacer une montagne, de courir quarante kilomètres sans m’arrêter, de battre cinq individus en même temps… Bref, je me sens un peu comme un super-héros qui a mangé trop de glace d’un coup. Mes dents et ma tête me font mal de la même façon. Il semble y avoir une sorte de redescente qui rend très désagréable cette expérience. Je vois des… petits flocons apparaissent sur le bout de mes doigts.

 Je tourne la tête vers mes coéquipiers, un peu paniquée. Gabi regarde ses mains avec stupeur tandis que celles-ci sont en train… de brûler. Des flammes s’échappent des gants qu’il a enfilés mais sa peau ne fond pas, rien d’autre ne se passe. Il me regarde tout d’un coup et je vois ses yeux, d’ordinaire bleus, teintés cette fois d’un orange-brun dans les mêmes tons que sa pierre. Nos regards sont plongés l’un dans l’autre et je sens comme une sorte de connexion entre nos pouvoirs que je ne saurais expliquer.

 Il commence à neiger. En plein mois de juillet, sans doute à cause de moi... Je jette un œil à Dylan, qui semble avoir hérité de la foudre, à voir les éclairs qui apparaissent sur ses doigts. J’ai l’impression d’être le trio d’oiseaux légendaires dans Pokémon, comme si Chang n’avait eu aucune imagination. D’ailleurs, je parie qu’on sera simplement des outils pour lui, qu’il pourra utiliser, manipuler à sa guise pour effectuer les tâches qu’il ne veut pas faire.

• Bien, nous allons pouvoir aller à Seeds, maintenant. Un hélicoptère devrait arriver d’une minute à l’autre. Soyez prêt.

 Chang et Théo commencent à ranger le camp, accompagnés de leurs autres collègues que je n’avais pas vu revenir. Un peu perdus, mes coéquipiers et moi restons plantés là, comme si notre système interne avait bugué. Théo nous rappelle à l’ordre d’un claquement de doigts et nous fait comprendre de vite récupérer nos affaires. Nous nous exécutons sans un mot et quelques minutes plus tard, un bruit d’hélices se fait entendre. L’énorme structure volante se pose en douceur sur le sol, non loin de nous. Chang demande à tout le monde de l’emprunter. Nous nous asseyons sur des petits sièges en cuir crème et attachons nos ceintures. Une fois tout le monde à bord, nous décollons. C’est assez déroutant au début mais une fois dans les airs, je profite du paysage et jette régulièrement un œil aux autres pour m’assurer qu’ils vont bien.

 Gabi a le regard dans le vide à travers la fenêtre, pensif tandis que Dylan regarde ses mains, comme s’il essayait d’analyser le pourquoi du comment ses doigts faisaient des éclairs sur commande. Je pense qu’il faudra vraiment faire gaffe avec nos pouvoirs, ça a l’air assez costaud. Waw, je ne pensais pas dire cette phrase un jour, ou alors dans un rêve.

 Une petite heure plus tard, l’hélicoptère se pose, nous descendons, affaires sur le dos et suivons Chang et Théo comme à notre habitude. Il se dirige vers de grandes grilles fermées protégées par un code et un passage à carte. La grille s’ouvre et j'aperçois un bâtiment d’une grande envergure se profiler devant nous, orné de hautes fenêtres dans un style architectural plutôt moderne. Sur les côtés, deux bâtiments plus petits le collent et il semble y avoir un grand terrain derrière tout ça.

 Nous passons les portes automatiques après un deuxième passage de carte magnétique et tombons sur une petite dame d’une quarantaine d’années tapant sur un clavier de façon bruyante derrière un bureau de réception en bois. Ses équipements semblent flambants neufs et sa tenue est un uniforme composé d’un tailleur noir, on se croirait à l’entrée de la CIA ou quelque chose du genre.

 Une télé accrochée au mur diffuse les informations. Des plantes posées un peu partout amènent un peu de fraîcheur à l’endroit et un grand escalier trône au milieu. D'autres employés discutent non loin, un café à la main dans une sorte de Starbucks tandis que d’autres marchent vite en direction de bureaux aux vitres légèrement teintées.

• Bonjour Maggie. Voici les nouvelles recrues, j’aimerai voir Lucie, s’il-te-plaît.
• Salut Chang, bouge pas, je l’appelle.
• Merci.

 Nous attendons quelques instants puis sommes invités à monter au troisième étage. Les autres étages sont essentiellement composés de couloirs et de bureaux au premier abord. Le troisième étage est ressemblant mais se compose d’un espace cafétéria en plus et d’open-spaces au design moderne et verdoyant.

 Chang toque au bureau juste à côté où la plaque indique “Lucie Parks”. Des talons arrivent devant la porte et une femme d’une trentaine d’années nous ouvre rapidement, vêtue elle aussi d’un tailleur noir, d’un chignon châtain clair et de yeux noisettes. Ses lèvres rondes nous sourient et elle nous invite à entrer. Chang et Théo restent debout dans un coin de la pièce tandis que nous nous asseyons sur des chaises de bureau classiques noires.

• Bonjour les enfants (je grimace à ce mot). Monsieur Chang vous a un peu expliqué les raisons de votre venue à Seeds, je présume ?
• Un peu, mais vraiment un peu, insiste Gabi de façon tranchante.
• Je vois (elle fusille Chang du regard). Je vais commencer par me présenter dans ce cas. Je m’appelle Lucie Parks, je suis la directrice générale de Seeds, une organisation secrète qui lutte activement contre toutes sortes de menaces, comme le terrorisme, les meurtres en série, les vols de grandes compagnies mais aussi les créatures surnaturelles, que vous avez dû déjà croisé au cour de votre recrutement (nous hochons la tête). Vous avez été choisis car votre potentiel nous a interpellé et nous pensons que vous ferez de supers agents spéciaux. Ces bijoux sont le fruit de maintes années de travail, ils vont aideront dans votre quête. Vous allez être amené à pratiquer un entraînement quotidien autant sur le plan physique, mental et “surnaturel” auprès d’instructeurs vétérans ainsi que d’autres pensionnaires, agents tout comme vous. Chang va vous conduire à votre dortoir et lorsque vous serez installé, n’hésitez pas à vous rendre à la cafétéria, que vous avez sans doute croisée en venant, pour prendre un bon repas. Nous vous indiquerons la suite vers 14 heures.

 Elle se lève, se dirige vers la porte et nous faisons de même en comprenant que le discours d’accueil était terminé. Personne ne l’avait interrompu, sans doute impatient de voir comment se passerait notre nouvelle vie. Pendant que nous suivons Chang, je vois que Gabi a les dents serrées, tout comme ses poings, toujours vêtus des mitaines. Est-ce qu’il pense à l’attaquer ? Ou à sortir d’ici ? En tout cas, je pense que les attaquer n’est pas forcément une bonne idée. Théo possède des pouvoirs et je suis sûre que Chang aussi, vu les portes, les créatures et tout le reste ; on ne maîtrise rien et lui doit avoir bien plus d’expérience.

 Nous arrivons devant un des bâtiments voisins au principal. Une fois la porte passée à l’aide du badge magnétique, un large couloir apparaît avec au bout, ce qui semble être une autre cafétéria, le tout dans le même style architectural que la base. Chang ouvre la dixième porte, juste à côté de ce qui semble être une salle commune, et nous nous immisçons à l’intérieur. Il nous indique que c’est notre endroit, maintenant, que si on a un souci, nous pouvons appeler Théo. Les deux nous laissent et nous commençons à visiter le propriétaire.

 L’entrée qui donne sur un couloir est composée de rangements et d’un petit divan. La première porte mène sur une petite chambre munie de deux lits superposés déjà faits, de deux bureaux et de deux armoires. Il y a une chambre jumelle -à l’exception que celle-ci possède des étoiles fluorescentes au plafond- en face et une salle de bain au bout du couloir principal composé d’une cabine de douche fermée, un meuble avec lavabo surmonté d’un grand miroir et des toilettes avec un tapis en moumoute violet recouvrant un sol blanc typique de salle de bain, le tout dans un style très “hôtel”, un peu classe.

• C’est plutôt sympa, non ? fait Dylan, sourire aux lèvres.
• C’est bien, oui, confirme Gabi. Maintenant, il faut décider de qui prend quelle chambre. Laquelle tu préfères, Dylan ?
• Je vais prendre celle avec les étoiles au plafond, je dis, sans attendre leur réponse.
• Euh, ok.

 Je pose mon sac dans la chambre en question et chacun part dans la sienne se poser sur le lit. Enfin sur un vrai matelas, c’était tellement peu confortable les sacs de couchage ! Je peux voir la chambre des gars depuis mon lit, on se fait coucou depuis nos matelas respectifs. C’est donc ici qu’on va vivre, maintenant. Je lance un sourire à Gabi, qu’il me rend, puis je me tourne sur le dos, en fixant le plafond. Waw, il s’en est passé des trucs et mon petit doigt me dit que ce n’est clairement pas la fin.