LOKIAN

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Avant

Je fais un dérapage sur la pelouse de cette pouffe et sort de la voiture de mon oncle sans couper le moteur. Je compte bien m'expliquer avec tous les responsables. Je défonce presque la porte en l'ouvrant. Je monte jusqu'à son bureau. Il est fermé à clef. Oh non, mon cochon, tu ne m'échapperas. Je mets des grands coup de pied dedans.

- Royd ! Ouvre cette foutue porte !

Je continue. Je m'en branle si elle pète. Il faut que je sache.

Il ouvre la porte et esquive mon dernier coup. Il laisse la porte ouverte et retourne à son bureau. Je crois qu'il est en vidéo conférence. Il s'excuse et éteint son ordinateur. Il se lève.

- Lokian, je vais t'expliquer...

- T'es au courant ! Tout le monde était au courant ! Pourquoi personne ne me l'a dit !?

- On s'était mis d'accord avec ton père...

- C'est pas mon père !

- Oui, ton oncle, excuse-moi. On ne voulait pas que tu ais de faux espoirs.

J'arrache presque mes cheveux.

- Non mais t'es sérieux là ? Putain de merde !

Je mets un coup de pied dans son bureau.

- Elle était en vie toutes ces années ! Je l'ai presque vu mourir sous mes yeux ! T'imagines les traumatismes que ça m'a foutu !? J'ai même essayé de me foutre en l'air à treize ans, merde !

- Je sais. Je voulais juste...

- Quoi ? Tu voulais quoi ? Me faire souffrir au moment de la débrancher !?

- Je voulais que Numidia rencontre sa mère au moins une fois !

Il se tient le visage et tombe sur son fauteuil.

J'ai entendu mon oncle au téléphone, il disait qu'elle était morte depuis longtemps. Que c'était inutile de la garder dans cette état. « Damna est morte il y a quinze ans. Ce n'est plus qu'un morceau de viande branché à un respirateur. Il est temps. » Je lui ai sauté à la gorge en lui défonçant la gueule. C'était un bon retour des choses, pour le nombre de fois où il m'a tabassé.

Je me tire les cheveux et ferme les yeux. Il ne faut pas que je craque, pas dans l'immédiat. Je dois d'abord comprendre. Je me redresse.

- Si tu voulais qu'elle rencontre sa mère, pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?

Il fronce les sourcils de tristesse.

- Je voulais le faire quand elle serait adulte. Le jour de sa majorité. Je comptais tout lui dire à ce moment là et l'amener voir Damna. Je n'aurais pas pu avant avec Mornefia.

- Alors pourquoi donner l'autorisation de la débrancher ?

Il ferme les yeux et retient ses larmes.

- C'est Mornefia. Elle a donné l'autorisation à ma place. Je ne sais pas comment elle a fait, elle a du s'organiser avec mon frère. Il a toujours voulu la débrancher.

Je boue de rage.

Comme si ça suffisait pas de me prendre ma sœur, il a fallu qu'elle prenne aussi la vie de ma mère. Comment on peut laisser une tarée pareille en liberté ? Je fais demi-tour. J'entends Royd s'excuser. Mais je n'ai pas besoin de ça. Je vais la tuer. Pas aujourd'hui, mais un jour. Je la regarderais dans les yeux avant de la tuer de mes mains. Rien à foutre de la prison. Je veux juste la justice pour une fois.

Pendant

Je suis dans mon bain et maman court dans tous les sens, comme tous les jours. Je joue avec mon SuperAction, le monsieur le plus fort et qui fait le plus de trucs du monde. Je montre à maman ce qu'il sait faire, mais elle est occupée. Elle s'occupe du linge et elle doit couper les étiquettes des vêtements du bébé avant qu'il arrive. Elle sort de la salle de bain et me dit de pas mettre la tête dans l'eau. Je lui obéis, parce que je dois être gentil avec elle, et fort aussi. Je vais devenir grand frère, je dois être un exemple pour lui et être gentil, c'est tonton Royd qui le dit. Je suis encore trop petit pour prendre mon bain sans adulte, mais je pourrais quand je serais très très grand. Je suis déjà grand, j'ai presque six ans, mais pas comme un adulte.

J'entends maman crier et tomber. Ça fait un gros bruit. Je l'appelle et je lui demande si elle va bien. Mais elle répond pas. Je l'appelle encore. Mais elle répond toujours pas. Je sors du bain, comme un grand, et je m'essuie tout seul. Je mets mon pyjama et je descends en faisant attention. Maman dit que je dois pas courir dans les escaliers. En plus y'a plein d'eau glissante sur les marches.

Maman est par terre. Elle bouge pas. Je me mets à genoux à coté d'elle. Je la secoue mais elle bouge pas.

- Maman ? Tu vas bien ?

Je sens que c'est mouillé par terre, j'ai les genoux dans de l'eau chaude. Je regarde, mais c'est du sang. Je la regarde, mais y'a du sang partout. Pas comme quand je me suis fait un bobo au genoux. Y'en a beaucoup. Elle a du sang à la tête et y'a du sang qui coule de son bras. Dans son épaule, y'a la grosse paire de ciseaux qu'elle utilise pour couper les étiquettes de mes vêtements. Celle que j'ai pas le droit de toucher. Elle bouge pas, mais son ventre bouge, le bébé bouge.

Maman m'a dit que je devais appeler de l'aide si quelque chose de mal arrivait. Je dois trouver le téléphone de maman. Je lui fais un bisou sur la tête pour qu'elle est pas mal et je me lève. Je cours jusqu'au salon et tire le sac de maman. Il tombe par terre et je cherche son téléphone. Je mets plein de sang partout. Ça me fait peur. J'ai envie de pleurer, mais je dois être fort. Il faut que je sois fort pour maman et le bébé. Je vais être grand frère, je dois être fort. Les gens fort pleurent pas. SuperAction pleure jamais.

Je trouve le téléphone de maman et j'appuie sur le 1. Le 1, c'est l'aide. Ça sonne. Je retourne vers maman, elle bouge pas.

- Damna, tout va bien ?

- Tonton Royd ! Maman bouge plus et elle a du sang partout ! Le bébé va bientôt sortir !

- Où tu es, Lokian ?

- On est à la maison ! J'étais dans mon bain et elle est tombée dans les escaliers ! Maman saigne trop. J'ai peur !

Je pleure. J'ai pas réussi à être fort. Pardon, maman.

Je me réveille d'un coup. Je regarde à gauche, je dois sauver maman. Non. Elle est morte. Je me frotte le visage. Elle est morte. Putain. Je tremble. Je tremble toujours autant, même après dix-sept ans à faire le même rêve. J'en peux plus. Je vais finir par en crever. Mon cœur bat trop vite. Il va exploser. Je souffle. Il faut que je boive.

Je regarde autour de moi. Je suis dans un lit, ça faisait longtemps que c'était pas arrivé. Je suis chez la pote de Numidia, si je me souviens bien. La mignonne avec ses cheveux roux. Je rigole tout seul. Je dois bien avouer qu'elle est pas seulement mignonne. Elle est carrément à tomber par terre. Elle est complètement folle, j'ai remarqué tout de suite, mais j'adore les gens fous. Je me sens moins seul, et moins triste. Je me lève de ce lit. Je mets juste mon jean et je sors à la recherche d'un robinet.

Je me balade un peu dans cette baraque immense. Les élèves de l'école de Numidia ont des parents pétés de tunes. En même temps, ils paient pour foutre leurs mômes dans un lycée qui fait le même taff qu'un lycée publique. C'est que de la frime à mon avis.

Ah, enfin une cuisine. Je trouve un verre et le rempli d'eau. Je me pose sur les coudes et respire profondément. Je tremble encore un peu, mais ça va bientôt se calmer.

- Oh, pas mal les cicatrices, ça fait aventurier.

Je me retourne. C'est la pote de Numidia, Heinesy. Elle fait référence à mes cicatrices dans le dos. Elle sourit et se prend un verre d'eau.

- T'as échappé à un camp d'esclaves au Soudan ?

- Non, elles ont une origine beaucoup moins sexy.

- C'est à dire ?

- C'est le mec qui se prend pour mon père. Il prenait son pied à se défouler sur moi et sa femme.

- Quoi, c'est pas ton vrai père ?

- Pas exactement.

Merde, je peux pas lui dire à elle, elle va tout lui répéter. Je lui souris.

- Évites de le crier sur les toits, Numidia est pas au courant.

- Quoi, vous êtes pas de la même famille.

Je ris doucement.

- Oh que si. Mais... mon père n'est pas responsable de ma naissance, ni ma mère d'ailleurs. C'est compliqué.

Je secoue la tête et pose mon verre.

- Je sais même pas pourquoi je te dis ça, je suis pas censé en parler. Je vis dans une famille où on cache tout. C'est plus simple de mentir.

- Tu n'en as jamais parlé à personne ?

- Si, a un psy, mais... c'était pas mon truc.

Elle approche et pose sa main sur mon épaule.

- Je suis nulle pour ce qui est sentimental, et j'ai une vie plutôt tranquille. Mais je sais écouter et me taire.

Je lui souris.

- Alors t'es pas aussi folle et j'm'enfoutiste que je le pensais. Je suis presque déçu.

- J'adore déconner. J'adore m'éclater avec mes potes. Mais quand on est fille unique avec un père qui est à fond dans son boulot, on apprend à s'ouvrir pour mieux comprendre. Donc ouais, je suis folle, mais je sais être sérieuse aussi.

Je lui souris. Elle en a pas l'air comme ça, mais elle est super intelligente. Je suis sûr que c'est le genre de personne qui rentre pas dans le moule. Qui galère à l'école mais qui est une putain de tête.

- Ouais, je crois que j'ai besoin de parler.

Après

Une église. Ils ont organisé son enterrement dans une église. Elle avait balancé la croix que cette salope de Mornefia lui avait donné, elle ne croyait plus en rien, et ils ont fait leur merde dans une église. À croire que j'étais le seul à la connaître. Putain de merde. Existence de merde. Royd, le père adoptif de Numidia et mon oncle, a insisté pour que je fasse un éloge funèbre pour elle. La bonne blague. Comme si il se doutait pas que j'allais foutre le bordel. Mais peut être que c'est une façon de me faire justice, puisque j'ai lu l'éloge de quelqu'un d'autre sous la menace à l'enterrement de ma mère.

L'autre connard qui a trahi ma sœur lit son serment. Pourquoi ce mange-merde de Daniel est toujours là ? Pas pour longtemps.

- Et maintenant, le cousin de Numidia va venir prendre la parole.

Je me lève. Je suis le seul à pas porter un costard. Ils me regardent tous comme si j'étais un clodo puant et gangreneux. Bande de coincés. Je vais sur l'estrade. Je comprends mieux pourquoi les hommes d'églises se sentent plus pisser, on se sent immense d'ici. Je sors un papier, blanc, fait mine de le regarder et le chiffonne avant de le balancer dans mon dos. Je tenais à le faire, pour qu'ils flippent un max. Cette famille a les jetons quand les choses ne se passent pas comme prévue. Je tire sur le col de mon tee-shirt. J'étouffe ici.

- Pour commencer il y a erreur sur la personne. J'étais son frère.

Alors que toute la famille baisse les yeux, Heinesy tombe dénue.

- Ma mère est morte il y a quelques années maintenant, je l'ai perdue deux fois. Et maintenant ma sœur, qui ignorait sa propre existence. Numidia est devenue figurante de sa propre vie à sa venue au monde. C'était mieux de lui mentir plutôt que de lui dire que sa mère biologique était une salope. C'est pas moi qui le dit, c'est mon oncle... pardon ! Mon merveilleux père adoptif. Bref. On nous a séparés ''pour notre bien'', pour moi c'était foutu. Mais elle avait une chance. C'était sans compter Mornefia. Elle a aspirer l'essence de ma petite sœur. Cette femme était cinglée, et si Numidia l'avait pas fait, moi je l'aurais tué, je le lui avais promis. « Attention, Mornefia. Si tu continues de nous sous-estimer, tu mourras par la main d'un Leroi, je me ferais ce plaisir avant les autres ». Mais elle a réussi a bousiller son cerveau et sa volonté. Parfois je retrouvais ma mère dans Numidia, puis son éducation reprenait le dessus, elle devenait froide et calculatrice. Malgré cela, elle n'était pas coupable. Les responsables de sa mort, c'est ceux qui l'ont envoyé chez elle, en sachant ce que ça impliquait.

Je pointe du doigt mes oncles et mes tantes.

- Les tueurs, c'est vous.

Je descends, sans les lâcher du regard. Je ne sens que maintenant les larmes sur mon visage. Pas des larmes de tristesse. Des larmes de haine. Qu'est-ce que cette famille va me prendre d'autre désormais ?

Je suis assis au bord du lac. Je regarde l'eau dormante, sans rien dire. Je me dis qu'en regardant cette putain de flotte je vais finir par m'auto-lobotomiser, mais rien. Quand je vois ce putain de lac, je repense aux étés quand on était petits et qu'on se baignait. Quand je regarde ce putain de parc, je la revois, gosse, à courir dans tous les sens. Même quand je vois cette saloperie d'église je pense à elle. Merde. Je me lève, prends une pierre et la jette dans le lac. Je recommence, encore. Je m'acharne sur ce putain de lac.

- Putain de merde.

Je prends une grosse pierre et la jette au bord de l'eau, je m'éclabousse tout seul. J'ai la haine. Je mets des coups de pied dans l'eau, presque dans le vide. Heinesy me tire à l'épaule.

- Arrête Lokian, tout le monde te regarde.

- J'en ai rien à foutre !

Je me retourne. Ouais. Tout le monde me regarde. J'ai l'impression de revivre l'enterrement de ma mère. J'étais le pauvre petit orphelin perdu dans ce monde si cruel. J'en ai marre. Déjà que mes oncles ont fait la gueule quand ils m'ont vu débarquer avec mon jean défoncé et mon tee-shirt noir et troué. Mais j'en ai rien à foutre. Moi au moins j'ai pas un balais dans le cul jusqu'au fond de la gorge. Moi au moins je suis pas un putain d'hypocrite. Moi je suis pas venu pour l'apéro.

Moi, je suis venu enterrer ma petite sœur.

Je shoote encore dans le vide et en tombe à moitié dans l'eau. Je l'imagine en train de se moquer de moi, presque honteuse d'en rire. Je me recroqueville sur moi-même et tire mes cheveux. J'ai envie de les arracher, de les raser, de les faire disparaître. Je veux disparaître. Je sanglote.

Heinesy se penche vers moi et je me prend dans ses bras, j'aurais jamais cru avoir besoin d'elle à ce point. Heureusement qu'elle est là. Je me fond dans son épaule, je vais bientôt exploser. Elle ne dit rien, et tant mieux.

- C'est ma faute.

Elle recule et me regarde. Elle comprend pas. Mais c'est vrai.

- J'aurais dû lui dire... depuis des années déjà.

- Non, Lokian. C'est pas ta faute.

Ses yeux aussi sont humides, et sa voix faible.

- Si. Si je lui avais dit elle l'aurait pas appris comme ça. Elle aurait pas craqué. J'aurais dû...

Ça y est, je craque. Je pleure tellement que j'arrive plus à parler. Je colle mon fond à mes genoux, comme quand j'étais gosse. Comme quand je suis allé vivre chez mon oncle après la mort de ma mère. Enfin son coma.

- Lokian, c'était pas à toi de lui dire. C'était pas ton choix.

- J'aurais pu. J'aurais dû. Je savais qu'aucun de ses trous du cul ne lui dirait. Dès qu'elle a commencé à grandir j'ai su qu'ils l'avaient étouffé dans l'œuf ! Je savais qu'ils la tueraient ! Et j'ai rien fait ! J'ai foutu le camp à l'autre bout du monde pour oublier tout ce que j'avais perdu sans savoir que je pouvais perdre encore plus !

- C'était pas à toi de la protéger. Tu as fait ce que tu as pu.

- Heinesy, arrête. Tu sais pas ce qu'il s'est passé. Tu peux pas dire ça.

Je me lève et m'éloigne. Je la laisse là. Mais honnêtement je m'en fous. J'ai juste besoin de respirer.

J'aurais tellement voulu mourir à sa place. Elle était sur le point de se libérer, elle aurait pu s'en sortir. Mais le monde est une salope. La vie est une salope. Je les déteste tous. J'aimerais voir le monde entier crever, et moi avec.

- Fiston !

Je me retourne et vois mon oncle/père adoptif accourir jusqu'à moi. Putain, je savais qu'il profiterait de l'enterrement pour tenter une réconciliation. Il sourit, ce gros con.

- Je suis content de te voir ici.

- Non, sans blague ? T'es content ?

Il se rend compte de sa connerie.

- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, Lokian.

- Trop tard.

- Écoute, je voulais te parler de...

- Non merci.

Mais il me retient avant que j'ai le temps de me retourner. Je le regarde, la haine dans les yeux.

- Ne. Me. Touche. Pas...

- Lokian, il faut que tu grandisses.

On ne bouge pas.

Il ose me dire ça alors que je fais deux fois sa taille et son poids. Il ose me dire un truc pareil après m'avoir viré de chez lui, parce que je l'ai traité d'enculé quand il a tué ma mère, tout ça parce que j'ai jamais cru en Dieu, parce que je voulais voir ma petite sœur grandir, ma petite sœur qui ignorait tout de son existence, parce que j'ai dit que Dieu était un bâtard de m'avoir volé mon enfance, ma mère, ma sœur, ma vie. « Au moins, tu as une cousine. Et puis, même si ta mère était toujours en vie, vous ne seriez pas une vraie famille. On n'a jamais su qui était le père, si tu vois ce que je veux dire ». Les mots résonnent comme des coups de poing dans ma tête. Je racle le fond de ma gorge, crache un énorme mollard dans son yeux gauche et lui sourit, puis je me barre. Connard.

Je vois au loin ma tante/mère adoptive, horrifiée par le spectacle. Si j'étais là pour une autre raison, je serai hilare. Elle essaie de me ralentir en tirant mon bras.

- Nous t'aimons, Lokian. Reviens à la maison, s'il te plaît.

- Allez tous vous faire foutre ! Enfoirés d'culs bénis !

Je pars en courant sans me retourner. Il ne faut pas qu'ils me voient pleurer. Je veux pas qu'ils sachent. Je veux me laisser crever dans un trou sombre et humide. Me laisser bouffer par la culpabilité.

J'ouvre ma voiture et m'y engouffre. Je vais aller chercher Grougy chez mon pote et me tirer de ce pays de merde.

- Lokian !

Royd cours vers ma caisse, une urne à la main. Mon cœur rate un saut. Alors il l'a vraiment fait. Je sors, tremblant, j'ai perdu tous mes sens. C'est à peine si j'arrive à la voir. Il me tend l'urne de Numidia. Je le regarde. Je suis triste. Malheureux. Démonté. En miette. Désespéré. Mort. Je sens mes larmes rouler sur mes joues et se glisser dans ma barbe.

- Tu te souviens, quand j'ai dit que je m'arrangerais pour faire un enterrement symbolique. Ils l'ont incinéré hier. Ils m'ont donné l'urne ce matin.

Je la prends, et je sais que je n'arriverais pas à la lâcher avant un moment. Il me regarde, lui aussi démoli, et sourit tristement.

- Libère-là dans un beau pays bien chaud. À son image.

Sa phrase s'éteint dans un sanglot qu'il retient de justesse. Il s'en va, sans rien dire de plus. Je sais à cet instant que c'est la dernière fois que je le vois.

Je me laisse tomber sur mon siège, serrant l'urne contre mon cœur comme si c'était la chose la plus précieuse au monde. Et elle l'est. J'aimerais la garder pour toujours. Je prends mon téléphone et envoie un message à Heinesy pour qu'elle vienne me rejoindre. Le temps qu'elle arrive, je reprends contenance. Plus ou moins.

Elle est là. Elle aussi triste. Je m'en veux d'avoir été égoïste avec elle aujourd'hui. Elle voit l'urne dans mes mains et a un sursaut. Elle laisse échapper quelques larmes et un gémissement de douleur. Elle se retrouve devant moi.

Je pose l'urne, à contre cœur, et la tire vers moi. Elle se retrouve debout, entre mes jambe. Je l'embrasse doucement et lui caresse la joue.

- Ça te dit qu'on se casse ?

- Où ?

- N'importe. Mais pas dans ce pays.

Elle sourit, toujours tristement, mais une pointe de joie brille dans ses yeux. Elle fait le tour de la voiture, s'attache et je démarre à toute vitesse pour me tirer le plus vite et le plus loin possible de ce bled paumée, pour toujours.

***

- À trois. Un. Deux. Trois !

Ensemble, on jette les cendres de Numidia du haut de la falaise. Elles tombent dans l'océan et se mêlent à ses vagues. Heinesy referme l'urne, sans rien dire. Ça y est. Elle est définitivement partie. J'arrive encore à pleurer, même après avoir escaladé cette falaise pendant presque une heure sous un soleil de plomb.

Je culpabilise toujours, même plus qu'avant. Durant le voyage, j'ai repensé à la mort de ma mère, qu'elle soit tombée des escalier en glissant sur sa perte des eaux. J'en suis venu à avoir des pensées horribles.

Je ne sais pas ce qui est le plus atroce : De savoir que Numidia aurait pu être heureuse avec nous si maman n'était pas morte, ou de savoir que maman est morte pour rien. Dans tous les cas, Numidia a tué ma maman.

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