LEARTH

18 minutes de lecture

Avant

Je sors de ma chambre pour aller dans la cuisine. Mon bras droit me brûle encore au niveau du biceps. Drant dit que ça passera au bout d'un mois. Mais putain ça gratte déjà, j'en peux plus ! En plus ma peau s'est barrée sous la douche hier soir. C'est flippant.

Je prends la baguette de pain et la coupe plusieurs fois. Je tartine mes morceaux de pain avec du beurre et de la confiture. Mon père secoue mes cheveux en passant. Ma mère embrasse ma joue.

- T'es pas encore au boulot ?

- Non, je commence plus tard aujourd'hui. Changement de chantier.

- Tu pourrais prévenir quand même.

- Pardon ma chérie.

Il la prend par les hanches et l'embrasse. J'exprime mon dégoût bruyamment. Mon père vient et me met une grosse tape au bras, comme quand il veut m'expliquer un truc sur la vie en général. Je serre les dents quand sa main se pose trop fort.

- Tu verras, mon grand. Un jour, tu rencontreras une fille aussi belle et radieuse que ta mère. Tu l'embrasseras tous les jours. Tu feras plus ''beurk'' à ce moment là.

- Papa, j'emballe déjà des gonzesses. C'est juste vous deux ensemble qui me dégoûte.

- Learth, ne parle pas des femmes comme ça. ma mère est son féminisme à deux balles.

- Ça vaaaaaaa ! Elles adorent être un peu négligées.

- Oh que non, les filles de ton âge craquent sur les badboys. Mais quand tu entreras au lycée l'année prochaine, tu te prendras des vestes et des baffes avec cette attitude.

- Ta mère a raison. Il faut respecter les femmes. Elles nous laissent faire, mais en vrai c'est elles qui dominent le monde.

- Ouais, lol. Laisse-moi rire. Elles sont pas foutues de se démerder seules.

- Bill Clinton ne serait jamais devenu président sans Hillary. Et ce n'est pas le seul exemple ; beaucoup de femmes ont tiré les ficelles derrière une figure masculine. C'est pas pour rien si George Sand a pris ce nom. Une femme n'aurait pas pu faire ce qu'elle a fait si ça s'était su.

- Euh, madame. J'aimerais parler à ma mère. Est-ce que la prof de français peut attendre le début des cours ?

- Ta mère a raison. Sans les femmes, on serait passé à coté de beaucoup de chose.

- Oui bah c'est bon ! J'ai compris ! J'ai juste dit que je me faisais les meufs que je voulais, faut vous calmer cinq minutes !

Ma mère me met une petite claque derrière la tête.

- Mais arrête de parler des femmes comme ça ! Je te rappelle que tu as une mère. Et que les ''gonzesses'' à qui tu manques de respect seront peut être un jour elles aussi mère. Elle sont des sœurs, des filles, des futur femmes...

- Rhô ! On peut plus rien dire.

Je me lève et range le beurre. Ma mère me retient avant que je retourne dans ma chambre prendre mon sac.

- On t'agresse pas non plus, arrête de faire ta victime. On te dit juste qu...

- Oui oui, je sais. Les filles sont gentilles et elles ont pleins de trucs cool. Faut pas être méchant avec.

Je retire sa main du col de mon tee-shirt et descend.

Ils sont de plus en plus chiant. Je manque pas de respect aux meufs, je les traite à leur image. C'est pas de ma faute si elles sont super casse-couilles ! Et puis elles cherchent aussi.

Je remonte avec mon sac sur l'épaule gauche. Mais ma mère me retient. Elle m'attrape par le bras, là où j'ai mal.

- Learth, tu fais pas la tête au moins ?

- Non, c'est bon.

- T'es sûr, mon Leuleu ?

- Arrête de m'appeler comme ça.

J'ai quinze ans, merde. Si les meufs que je me tape entendaient ça, je perdrais toute crédibilité. Elle reprend mon bras. Je recule.

- Et arrête de me toucher !

Elle relève la manche de mon tee-shirt. Merde.

Je savais que j'aurais dû mettre un sweat, mais je suis pas frileux et il fait bon dehors. Ses yeux s'écarquillent et elle me tire jusqu'à mon père.

- Tu as vu ça !

Mon père le fixe, en grimaçant.

- Mais... c'est quoi ?

- Un tatouage.

- Merci, j'avais remarqué. Non, mais il est tellement moche que j'arrive pas à voir ce que c'est comme motif.

Je repousse l'emprise de ma mère et baisse ma manche.

- C'est le logo d'un groupe.

- Que c'est moche.

- La question n'est pas savoir ce que c'est mais comment tu l'as fait ?

- C'est Drant. À l'aiguille et l'encre de chine.

Ma mère devient rouge. Mon père grimace toujours.

- Mais t'es complètement inconscient ! C'est super toxique ! Tu as pensé aux problèmes de peau ? Au SIDA ? Aux hépatites ? Pourquoi tu as fait ça !?

- Papa voulait pas avant mes seize ans. Alors j'ai décidé tout seul.

Ma mère le fixe méchamment.

- On avait dit dix-sept ans !

- Non, tu avais dit dix-sept ans. Je me suis fais tatouer à seize ans, je vois pas pourquoi il aurait pas les même droits que son père.

Elle part et levant les mains. Dans les moments comme ça, elle préfère partir. Elle sait qu'elle n'aurait pas gain de cause.

Mon père tire mon bras et le regarde plus. Il secoue la tête en soufflant. Je m'en fous qu'il soit moche, au moins j'en ai un. Ils peuvent plus me dire non.

- T'aurais pu m'en parler. Je t'aurais amené chez mon pote. Tu sais, celui qui a son salon dans la capitale. On aurait pris le train et...

- Arrête de lui dire des choses pareilles !

Mon père grimace et me fait un clin d'œil. Il chuchote.

- Je t'y emmènerais quand tu auras cicatrisé. Il va te rattraper cette merde.

Il me laisse partir au collège.

Pendant

Je bois encore un shoot. Il faut que je me retourne bien la tête. Je réfléchis trop en ce moment. J'ai besoin de sortir de ma tête. Nesta allume la télé pour qu'on ait le décompte en direct. Ils se mettent tous à gueuler les secondes. Je faisais ça quand j'étais gosse. J'ai arrêté en grandissant. Ça sert à quoi de compter, ça va rien changer si on le fait pas. De toute façon, le nouvel An, c'est juste une excuse pour s'en mettre plein la gueule.

Je devrais pas, mais je regarde Numidia du coin de l'œil. Je la cherche dans la pièce, elle est près du balcon. Elle va sortir. Elle est distante avec tout le monde en ce moment.

Quand on arrive à zéro, Nesta met U2 à fond. Ils chantent tous et Numidia sort. Je prends une bière et l'ouvre. J'en bois la moitié d'une traite. Je prends mon paquet de clopes et mon briquet. Je les mets dans ma poche. Je vais vers le balcon, mais Ekin me retient par le bras.

- C'est bon, mon pote. Elle veut être seule.

Il est bourré, mais il a connu pire.

- J'en ai rien à foutre. De toute façon je vais fumer.

- Oh le gros mytho.

- Qu'est-ce que t'en as à foutre que j'y aille ou pas ?

- Mec, c'est trop bizarre ce que vous faites. T'es en train de t'embarquer dans une histoire super compliquée pour pas grand chose.

Putain ! Il m'énerve quand il est comme ça ! Je lui prend l'épaule et la serre.

- Honnêtement, t'as pas de leçon à me donner vu ce que t'as foutu de ta relation avec Nesta l'été dernier.

- Eh oh, calme toi mon pote.

- Je m'en branle de me compliquer la vie. Et tu peux dire à ta meuf que ça serre à rien ses plans foireux pour qu'on se retrouve seuls.

Je le lâche. C'est pas sa faute, il est comme ça. En plus il est bourré.

- Laisse-moi avoir une relation bizarre si ça me plaît.

Et je sors.

Je marche doucement jusqu'à être à coté d'elle. Elle regarde au loin. Elle n'a pas l'air triste, mais pas heureuse non plus. Je m'appuie à la rambarde.

- Tu vas bien ?

Elle hoche la tête. Elle sourit légèrement.

- C'est la première fois que je vois le changement d'année. C'est moins impressionnant que dans mon imagination.

Je sais que plus rien devrait m'étonner avec elle. Mais quand même, tout le monde fête le Nouvel An. Putain même ça sa mère lui a pris.

- C'est pas comme si les montagnes bougeaient et que le ciel changeait de couleur.

Elle sourit un peu plus. Son visage est rougit, par l'alcool ou le froid. Elle a les cheveux relâchés. Elle a les mains rentrées dans son pull en laine.

Elle est simple. Mais putain ça lui va bien. Tout lui va bien. Même à Halloween, quand elle portait les fringues de Heine, j'avais envie de la garder pour moi tout seul. À cette période là, je la trouvais de plus en plus intéressante, mais pas irrésistible non plus. Ce soir là, j'ai complètement pété une durite. Je me suis rendu compte qu'il en fallait peu pour qu'elle corresponde au genre de meuf qui me fait triper. Mais comme ça, elle est... parfaite ? Non, je sais pas. Elle est parfaite pour moi. Elle hausse les épaules, comme souvent.

- C'est pas grave. Le fait de l'avoir vécu pour de vrai me suffit.

Puis elle se retourne pour regarder dans le chalet. Je regarde au loin.

J'ai mon paquet de clope qui pèse lourd dans ma poche. Mais je ressens pas le besoin de m'en griller une. Nan, la savoir pas loin me suffit. C'est bizarre. J'ai déjà aimé une fille, je crois, mais là c'est différent. J'arrive pas à mettre le doigt dessus, mais... j'ai l'impression qu'elle est intense. Déjà, je sais qu'elle l'est au lit.

J'arrête pas d'y repenser. J'aurais pu m'attendre à tout sauf à ça. Elle m'a complètement pris au dépourvu. J'ai essayé de résister. Je me disais que c'était pas une bonne idée, qu'elle était pas assez équilibrée. En plus c'est pas une bonne garantie entre son cancer incurable et sa daronne tarée. Et puis je me suis laissé faire en me disant que ça passerait comme une lettre à la poste. Quel con je fais. Je le sais en plus que je dois pas coucher avec n'importe qui, après je m'attache. Déjà qu'elle me faisait de l'effet avant ça. Maintenant c'est foutu de chez foutu. J'ai aucune chance de passer à coté de ça. Ekin a raison dans le fond, je devrais pas autant m'investir dans un truc pareil.

Numidia se rapproche de moi, glisse devant moi et me prend dans ses bras. Ok, j'adore quand elle fait ça, mais c'est une vraie torture. Je suis dos aux autres, je sais pas s'ils nous espionnent ou prennent des photos... le pire, c'est qu'ils en sont capable cette bande de rats. Mais je m'en fous. Elle se penche sur moi et passe ses mains derrière ma tête. Et merde, elle m'embrasse encore. Putain, ça devient vraiment compliqué de la repousser. Elle va finir par croire qu'elle me dégoûte. Merde, ça fait du bien quand même. Aller, faut que j'arrête mes conneries. Elle est bourrée, j'ai des principes depuis le collège. Et putain, j'arrive pas à retirer le sourire d'abruti que j'ai sur la gueule.

- T'as bu. Demain tu vas t'en vouloir.

Et tu vas m'en vouloir à moi en plus. Mais surtout à elle la connaissant. Mais elle secoue la tête.

- Je m'en fous.

Oh putain. Dans deux minutes je l'embarque dans la chambre. Non, non ! Je dois me calmer. Elle est super craquante quand elle est comme ça. Mais je dois me retenir pour deux. C'est quand même injuste. C'est moi l'homme, l'obsédé. C'est pas à moi de freiner ! Elle m'embrasse encore. Bordel de Dieu. Je la déteste. Elle fait ce qu'elle veut de moi. Elle pourrait me demander de lécher le sol que je le ferais... non, faut pas déconner non plus. Je le ferais pas. Mais... putain de merde, ça reste compliqué tout ça. Bon, je dois trouver la volonté de la repousser, ENCORE, et de trouver une excuse pour nous deux. Je recule la tête.

- T'en as pas envie. T'es juste bourrée.

C'est tellement faux.

Merde, je sais sentir ce genre de chose. Et il faudrait être aveugle ou totalement con pour pas voir qu'elle a envie de se lâcher. Quand on a couché ensemble j'ai bien senti qu'elle avait envie de ça, et avec moi. Si elle voulait juste baiser, elle serait allée chez Gorka, non peut être pas mais... je le sais, c'est tout. Je sais qu'elle me veut moi, comme elle sait que j'ai envie d'elle.

- C'est faux. Depuis que je suis venue chez toi pour me perdre en toi j'en ai envie.

Et voilà, qu'est-ce que je disais.

- Déjà avant j'en avais envie, mais je résistais.

Hein ? Ça j'étais pas trop au courant. Pas du tout même.

- Depuis des semaines, voire des mois j'en ai envie. Tu es tellement beau. Et au-delà de ça, tout me plaît en toi. Ton odeur, ta façon de penser, tes yeux. Ton regard. Je brûle de te sentir près de moi. Je ne sais pas si c'est de l'amour, mais je te désir plus que tout, plus que je n'ai jamais désiré. Je me persuade que c'est physique, seulement physique, mais même quand tu me parles je me sens minuscule à coté de toi. Je suis en admiration face à toi. Je sais que je devrais me taire. J'ai cette petite voix dans ma tête qui me hurle de me taire. Mais je sais que si je me tais plus longtemps, je vais craquer. Comme j'ai craqué quand je suis allée chez toi, le cœur en miette.

Elle pose sa tête sur mon torse. Je sais pas quoi répondre à ça. C'est tellement inattendu de sa part. J'aurais jamais cru que c'était à ce point. Elle a même parlé d'admiration. Je suis qu'une pauvre merde. J'ai pas d'avenir, pas de talent. J'ai même plus de père. J'ai que dalle. Et elle m'admire. Elle arrêtera jamais de me surprendre.

- Je sais pas quoi faire, Learth. (j'adore la façon dont elle dit mon nom) Je sais même pas ce que j'éprouve.

Moi non plus, je sais pas.

- Je sais pas si ce que j'éprouve est réel ou pas. Je me demande des fois si je ne suis pas en train de rêver. Tout s'emmêle. Et j'ai l'impression que tu es la seule chose à me ramener dans le vrai.

Oh. On m'a jamais dit un truc pareil. Tout ce qu'elle vient de me dire, c'est une première pour moi. J'ai jamais fait ressentir ça à quelqu'un. Personne ne m'a jamais... aimé à ce point. Aimé ? Je sais pas. En tout cas ça y ressemble.

Je la serre contre moi. Putain, je suis tout chamboulé. J'ai l'impression que mon cœur bat pour la première fois depuis longtemps. J'ai jamais été important pour personne. Et il suffit que cette fille qui me faisait flipper avec sa tête de poupée en porcelaine débarque pour remettre en question ce que je pense être.

J'ai l'impression d'être une gonzesse. C'est misogyne, mais en même temps je pensais que seules les femmes pouvaient ressentir ça. Parce que je l'ai jamais ressenti. Et parce que les hommes, poilus et virils, parlent pas de sentiments. Nous on doit parler de nichons, de bière et de foot. On dirait pas, mais c'est dur d'être un mec. Et ça l'est encore plus quand on se rend compte qu'en fait, on ressent comme ''le sexe faible'', alors qu'il faut être fort est solide. Mais là, tout de suite, j'ai pas envie d'être un couillu. Je veux être humain. C'est trop demandé d'avoir la paix cinq secondes ?

Je me penche vers elle et embrasse sa nuque. Elle a la peau douce à cette endroit. Et elle frissonne à chaque fois que je la touche ici. Je la sens tomber doucement.

- Je dois m'allonger. Je sens que je vais tomber.

- Ok.

Je sais pas quoi dire d'autre. Je peux rien dire d'autre. Je la prends dans les bras et l'amène discrètement jusqu'à la chambre. Je lui enlève ses chaussures et la couche dans son lit. J'enlève mes grolles aussi et me glisse derrière elle. Elle s'endort vite.

Je caresse son bras et embrasse sa nuque. Je repense à tout ce qu'elle m'a dit. Ouais, je plais aux femmes et je le sais depuis le temps, j'en ai bien profité à la fin du collège. Mais c'est tout. J'ai jamais plu pour moi. J'étais le badboy beau gosse. Je détestais ça, et je déteste toujours. Je veux pas être un fantasme de pisseuses. J'en ai rien à carrer des pisseuses. Je me sens bien comme ça, alors j'ai une allure qui fait flipper l'ancienne génération et les gros coincés avec leur balai dans le cul, et ça me fait bien rire de choquer. Quand Nesta a commencé à traîner avec elle, je savais que je l'insupportais, juste avec mes sapes et mes tatouages. Et encore, elle a pas vu ma période piercings. Mais je me demandais vraiment d'où elle débarquait avec son look creepy. Mais jamais, excepté mes potes aussi barges que moi, j'ai été accepté et apprécié pour ce que je suis. J'ai pas vraiment aidé. Avant je parlais trop, et depuis la mort de mon père, je parle presque plus. Sauf à Numidia. Je lui parle beaucoup. Beaucoup plus qu'à n'importe qui. Même ma mère je lui parle pas autant. Enfin, je parle plus autant à ma mère depuis la mort de mon père. Je ne me sens plus aussi proche d'elle. Quelque chose s'est brisé. Quelque chose de beau. Je ne changerais jamais pour personne. Mais j'en ai pas besoin avec Numidia. J'aime ce qu'elle est depuis qu'elle s'est défaite de sa mère. Et elle aime ce que je suis.

Ouais. Je crois que je l'aime.

Après

On est en cours le littérature française. Je voulais pas venir au lycée, mais ma mère trouve que je sèche trop en ce moment. J'ai plus envie de rien. Mon toit a été démoli, je vais encore foirer mon bac, et Numidia est morte. Nesta aussi a insisté pour que je vienne. « Penses à ce qu'aurait voulu Numidia. » Elle en aurait rien eu à foutre. On devrait être sur la route en ce moment. Elle devrait être en train de profiter de la vie et rire à gorge déployé à une de mes blagues pourries. Elle savait que je m'en branlais des cours ou de mon avenir. Mais je dois ménager ma mère.

L'autre conne qui nous serre de prof débarque avec le principal. Il sourit à toute la classe. Tout le monde se lève, sauf moi. Qu'il me vire, ça m'arrangera.

- Asseyez-vous. J'ai une annonce à vous faire. Suite à l'arrivée imminente de vos examens finaux et de la mort tragique de votre camarade Numidia Leroi...

Je m'agrippe à mon bureau. Je vois rouge. J'ai envie de lui défoncer la gueule. Nesta pose sa main sur la mienne, mais ça change rien. Rien ne le peut.

- … vos professeurs et moi-même nous sommes entretenus. La perte de votre camarade fut brutale et inattendue.

Mon cul, elle avait un cancer, connard.

- Les conditions ont été traumatisantes pour vous tous, et nous le comprenons.

Je vois venir le bordel à dix kilomètres, et les autres aussi. Ils sourient tous.

- Nous avons décidé de vous remettre votre diplôme quoi qu'il arrive. Même si vous ratez les épreuves, vous obtiendrez votre bac.

Ils crient tous de joie. Putain, ils crient de joie. Je ferme les yeux pour éviter de tout péter.

- Mais vous devrez être présent aux épreuves, sinon vous n'aurez rien. Et ce n'est pas une raison pour sécher les cours ou faire une copie blanche.

« C'est trop cool ! », « C'est un truc de malade ! », « C'est déjà arrivé dans un autre lycée, mais je pensais pas qu'ils allaient le faire... », « Au moins, elle a servie à quelque chose ! », « C'est cool qu'elle soit morte ! »

Je me lève et jette mon bureau. Je casse un pied au passage. Tout le monde se tait. Je prends ma chaise et l'éclate sur mon bureau. Rien à foutre des conséquences.

- Vous êtes une bande de pauvres petites merdes. Elle est morte d'une balle dans la tête. Elle avait le sang de sa mère partout sur elle et la jambe broyée. Vous avez aucune idée de ce qu'elle a dû endurer toute sa vie. Elle valait mieux que vous tous réuni. Et vous vous réjouissez de sa mort. Et c'est moi le mec morbide.

Je prends mon sac et me tire. Je suis retenu par l'épaule. Je me retourne doucement. Si ce connard de principal me lâche pas, je lui arrache le bras. Sans déconner, je le fais.

- Nous sommes désolé, mais ce n'est pas une raison pour saccager les biens du lycée. Ta colère est justifié mais...

Je lui en retourne une, bien violente. Il tombe presque par terre. Je pointe les autres du doigt.

- Le prochain qui me donne son avis, je lui éclate son bureau sur le coin de la gueule.

Et je sors.

- BANDE D'ENFOIRES !!!

Je hurle dans les couloirs, mais je me barre pas en courant.

***

J'arrive chez moi. Je jette mon sac dans le couloir et descends dans ma chambre. J'entends ma mère m'appeler. Je préfère l'ignorer. Je me laisse tomber dans mon lit, puis me redresse. Putain de lit de merde dans lequel elle a dormi. Putain de souvenirs de merde qui me bouffent l'existence !

Je remonte pour prendre la bouteille de whisky de mon père. Ma mère se lève avec difficulté, je lui fais signe de se rasseoir. Mais elle vient quand même et m'arrache la bouteille des mains.

- Merde, Learth ! Arrête tes conneries !

Elle jette la bouteille par la fenêtre. Elle est déjà essoufflée.

Je me laisse glisser par terre et me roule en boule. J'ai pas pleuré une seule fois, pas une fois, depuis qu'elle est morte. Et c'est maintenant que ça vient. Je sens les sanglots au fond de ma gorge. Ils me frappent fort pour sortir. J'ai déjà les larmes, le reste va bientôt sortir. Ma mère s'accroupit pour être à mon niveau.

- S'il te plaît, Learth. Parle-moi. Tu n'as pas ouvert la bouche une seule fois depuis que c'est arrivé.

- Arrête d'esquiver ce mot ! Elle est morte !

Je retiens ma respiration.

Elle est morte. Elle est morte. Numidia est morte. Elle a vu sa mère mourir et elle s'est tirée une balle dans la bouche. Sa si belle bouche. Elle riait avec. Elle souriait. Elle m'embrassait. Elle peut plus. Parce qu'elle est morte.

Je pleure fort. Ma mère me tire vers elle. Je me laisse tomber comme la grosse merde que je suis dans les bras de ma maman et je pleure. Je me tire les cheveux et me frotte le visage. Elle caresse mon bras. Elle pleure elle aussi.

- Je suis désolée de pas être assez forte pour toi. Je t'aime, et je peux rien faire pour que tu ailles mieux. T'imagines pas à quel point je me sens impuissante.

Si, j'imagine très bien.

Comme quand j'ai pas été dans cette foutue baraque pour elle. Comme quand je la laissais pleurer en pensant qu'elle avait besoin d'extérioriser alors qu'elle voulait peut être que je la prenne dans mes bras. Comme quand je lui ai dit que je trouverais le moyen d'abréger ses souffrances, alors que je cherchais juste une excuse pour la garder près de moi un peu plus longtemps. Je suis un putain d'égoïste. Mais le monde est bien fait, je suis un égoïste malheureux. Un égoïste qui sera un éternel insatisfait. Je ne serais plus jamais heureux comme je l'ai été autrefois, avec elle. Je savais que tout changerais à la mort de mon père. Je sais que tout a changé à sa mort à elle.

- Je peux rien faire. Mais toi si. Je sais que tu restes pour moi. Et si tu veux rester, je tiendrais le temps qu'il faudra. Mais sinon, ne reste pas pour moi. Pars si tu veux.

Je me redresse. Je secoue la tête. Je peux pas la laisser elle aussi.

- Si. Je sais que tu t'es toujours senti différent ici, malgré tout ce que je faisais pour que tu te sentes bien. Alors si tu penses que tu seras mieux ailleurs, pars. N'importe où. Mais promets-moi de faire attention. Et de m'envoyer une carte postale de temps en temps.

Elle sourit, mais elle a le cœur brisé. Je me lève. Je sais pas quoi faire, où aller. Je sais même plus qui je suis, putain de merde. J'embrasse le front de ma mère.

- Je t'aime, maman.

Elle se remet à pleurer. Je prends mon sac et mes clefs de voiture. Quand je passe la porte, je suis tenté de faire demi-tour en entendant ma mère pleurer plus fort. Mais si je me retourne, je ne partirais jamais.

Je monte dans ma voiture. Je démarre. Je sais pas où aller. Mais je sais conduire. Ça me suffira, je vais rouler dans la même direction sans m'arrêter. Si je m'arrête, je vais me perdre pour de bon.

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