Pour être une biture, c'en était une ! J'ai eu l'un des pires mal de tête de tous les temps, mais au moins j'ai pris la meilleure douche de ma vie.

***

 J'ai rarement eu autant d'activité dans ma tête. Une véritable carrière de pierre. La totale : marteau-piqueur, camion en marche-arrière, pelleteuse, dynamite... mon crâne va exploser. J'ouvre doucement les yeux, mais la lumière perce par la fenêtre, c'est un véritable massacre pour mes yeux. Je tends la main vers la table de nuit où j'avais mis mes médicaments hier. J'arrive à trouver mon traitement pour mes migraines. J'ouvre le flacon et en sors trois cachets que j'avale sans réfléchir. Je ferme les yeux en attendant que ça passe.

 J'ai la sensation d'avoir un casque de moto sur la tête. Je me lève et sors de la chambre. Les yeux mi-clos, je tends les mains devant moi pour me guider vers la salle de bain. Je finis par la trouver et je ferme le rideau à la fenêtre. J'ouvre un peu plus les yeux pour me repérer. Je ferme la porte à clef et me déshabille. Je vais sous la douche et ouvre l'eau chaude. Une vague brûlante déferle sur mes épaules. Je me place de sorte à ce que ma tête soit sous le jet d'eau. Mon Dieu, ça fait un bien fou ! J'ai l'impression de me fondre dans le flot. Je passe mes mains sur mon visage. Je me réveille davantage à chaque seconde sous la nappe bouillante. Je prends le temps de me laver.

  Je sors de la salle de bain avec mes vêtements d'hier. Je vais dans ma chambre pour me changer. Je descends au salon et retrouve les vêtements d'hier éparpillés au sol avec les cadavres de bières, vodka, rhum, et j'en passe. Je m'y dirige, sur le point de tout ranger.

- Et la gagnante est Numidia ! dis Ekin.

J'entends des applaudissements provenant de la cuisine. J'y vais et retrouve les garçons en train de prendre leur petit déjeuner. Je souris.

- Les filles dorment encore ?

- Bah, il est que onze heure, et vu la murge que vous vous êtes prise hier... dit Learth.

- Onze heure !? C'est déjà assez tard pour mes habitudes !

Ils rient gentiment. Je me permets de m'asseoir à table. Mano me regarde, l'air impressionné.

- Je pensais que la première à se lever serait Heine... chapeau.

- Et bien c'est elle qui a le mieux tenue hier soir. Mais elle dort encore. Et puis, je n'ai pas tant bu que ça, c'est juste que je n'ai pas l'habitude alors j'avais plus de mal.

- Et ça va, pas trop cuitée ? me demande Learth.

- J'ai eu des migraines plus dures. Et mes sens sont engourdis. Et je tremble un peu.

- C'est la descente. T'as tellement bu que ton corps travaille encore pour éliminer. Si tu bois un verre tu vas arrêter de trembler, et c'est comme ça qu'on devient alcoolique. me renseigne Ekin.

- J'ai aussi la gorge sèche et les poumons... encrassés. Je n'aurais pas dû fumer.

Learth lève les bras et les laisse retomber puis secoue la tête.

- Et voilà ! Voilà ce que ça donne quand on laisse des filles seules avec de l'alcool et une fumeuse ! Je paris qu'elles ont toutes tiré sur ses clopes, à cette nympho rouquine ! dit-il avec humour.

- Nympho ? Heine ? Elle couche pas avec n'importe qui non plus. C'est juste que quand elle trouve un mec qui gère, elle lui pompe tout ce qu'il a... enfin, je suppose. dit Ekin.

- Vous arrêtez de dire des conneries sur mon dos ?

Nous nous retournons pour voir Heinesy venir vers nous. Ses cheveux sont indomptables et ses yeux sont rouges. Elle aussi s'est changée, mais elle n'a pas pris de douche, semble-t-il. Elle prend un bol et une cuillère avant de venir s'asseoir à côté de moi. Elle prend le beurre et la confiture pour en mettre sur une tranche de pain.

- Alors, c'était bien la soirée sans les hommes ?

- La ferme, 'Kin. J'ai la tronche à l'envers c'est affreux.

- Si tu veux j'ai pris des cachets contre la migraine. je lui propose.

- Sérieux ? Je veux bien alors, c'est sympa de proposer.

Elle me sourit et prend la cafetière, vide.

- Vous êtes sérieux les mecs ? Vous avez bu tout le café ?

- On est levé depuis un moment, nous. dit acerbe mais avec une pointe d'humour Learth.

Elle se lève pour en refaire. Je me lève aussi pour aller chercher mes cachets, Nesta et Hely en voudrons aussi je suppose.

 Je prends le flacon entier et descends. Je vois l'écran de mon téléphone s'allumer. Je le prends et le mets dans ma poche. Je le regarderais plus tard. Je redescends et, une fois dans la cuisine, pose le flacon sur la table. Heinesy fait le café pendant que les garçons discutent. Je sors mon téléphone et regarde le message que j'ai reçu. « Si y'a le moindre problème, préviens-moi et je viens te chercher. Bisou baveux ma belle ! ». Je n'ai pas besoin de réfléchir, je sais immédiatement qu'il s'agit de Lokian. Il est le seul à m'appeler « ma belle ». Je souris et lui réponds : « Jusqu'ici tout va bien, on se voit à la fin des vacances ! ». Mon sourire s'agrandit alors que je suis ramenée dans le monde réel par le bruit d'un bol posé brutalement devant moi.

 Je lève les yeux sur Learth qui tartine de beurre une tranche de pain sous mon nez. J'ouvre la bouche pour lui demander ce qu'il fait, mais je n'ai le temps d'émettre aucun son que la dite tartine fini dans ma bouche. Il recule pour se rasseoir. Moi, je reste interdite pendant quelques secondes, sans vraiment comprendre ce qu'il vient de se passer. Je le fixe, sans rien dire.

- Après une cuite faut manger. T'as rien avalé depuis hier soir, tu vas avoir mal au bide après.

Je retire la tartine de ma bouche en emportant une bouchée au passage en riant doucement.

- J'avoue que c'est la première fois qu'on me fait manger de force, surtout de cette façon.

- Que veux-tu. Quand il voit une fille, il met forcément quelque chose dans sa bouche.

Aux mots de Mano, Learth lui assène une gifle au milieu du visage, au point qu'il en tombe. Je suis toujours choquée quand Learth lui fait du mal, mais c'est toujours justifié – en quelque sorte – alors je ne dis rien. Il se relève en se tenant le nez, fier de son allusion.

 Le café est enfin prêt, Heinesy en verse dans mon bol puis elle se sert avant de reposer la cafetière. Elle trempe sa tartine dans son café et la mange. Je me contente de boire en silence. Heinesy se tourne vers moi.

- C'était qui, ton message, un mec ?

- Qu'est-ce qui te faire croire que c'est forcément un garçon ?

- Ta tête. T'avais un immense sourire. Y'a qu'un mec pour rendre une fille comme ça.

- C'était Lokian, alors on va dire que je suis juste contente qu'il soit gentil.

Heinesy voit ses yeux s'arrondir, elle se redresse et racle discrètement sa gorge.

- Et il va bien ? sa voix est plus aiguë.

- Je suppose. Tu veux que je te donne son numéro ? Pour pourriez discuter.

- Si tu veux.

Elle hausse les épaules et détourne son regard trop vite. Learth la fixe, hilare. C'est vrai que le tableau est assez drôle ; Heinesy qui fait semblant de se ficher d'un garçon qui lui plaît, juste pour les apparences.

  Il est presque treize heure. Les garçons et Heinesy sont sortis sur le balcon pour fumer. J'étais sur le point d'aller brancher mon téléphone dans ma chambre, quand j'ai vu l'état du salon. C'est un désastre. À seulement quatre, nous avons réussi à mettre le salon dans un tel désordre. Je vais brancher mon téléphone dans ma chambre, puis je redescends pour ranger. Je commence par réunir les vêtements au sol pour les mettre dans un panier de linge que j'ai trouvé dans la salle de bain.

 J'ai presque fini quand le balcon s'ouvre. Learth rentre dans le chalet et me voit ranger. Il me sourit et s'accroupie face à moi.

- Si tu comptais ranger ce bordel, tu pouvais aussi nous demander de l'aide.

- Je suis en partie responsable de se désordre. Que je demande à Heinesy, d'accord, mais toi et les garçons...

Il prend un legging qui traîne à côté de lui et le met dans le panier.

- Et alors ? On va être en colloc' pendant presque deux semaines, si on commence à chercher qui à foutu le boxon, on s'y retrouve plus.

- Mais de toute façon vous étiez occupé, je n'allais pas vous déranger, surtout pour ça.

- On était occupés à s'intoxiquer. Franchement, tu trouves que c'est mieux de nous laisser claquer notre fric et notre vie plutôt que de ranger ?

Il se lève et ouvre la baie vitrée qui donne sur le balcon.

- Venez bande de tas, faut ranger.

- T'es chiant, mec ! proteste Mano.

- En plus on fume, on grille pas nos clopes comme des tarés, nous. dis Heinesy.

- Y'a Numidia qui range toute seule depuis tout à l'heure. Alors éteignez vos saloperies et venez filer un coup de main.

- Ce n'est pas grave, je peux le faire toute seule. Il n'y a aucun problème. j'insiste.

Heinesy écrase sa cigarette et rentre sa tête par la porte coulissante.

- Quoi ? Arrête de dire n'importe quoi. T'es pas la bonne à tout faire, on va ranger aussi.

- Parle pour toi. dit Mano.

- Totalement d'accord, on est pas fautifs nous. consent Ekin.

Heinesy rentre pour venir m'aider, Learth lui sort pour prendre les cigarettes des garçons et les jeter par-dessus la rambarde. Ekin et Mano se mettent à crier contre Learth qui les ignore complètement. Heinesy ricane.

- Cette bande de mollassons. Ils vont finir par se calmer.

Learth rentre et se met à ranger lui aussi.

 Les garçons, eux, font la tête dehors. Learth se met à souffler d'exaspération et va les rejoindre. Il ouvre la baie vitrée.

- Que Mano fasse la gueule, je peux comprendre vu que c'est un gosse. Mais putain Ekin, on est chez ta meuf et tu tires la tronche comme un gamin ? Tu veux même pas faire un effort pour elle ?

Il ne répond rien, toujours les bras croisés sur son torse, puis souffle et nous rejoint. Mano, se retrouvant seul, fini par nous rejoindre à son tour. Très vite, la pièce est de nouveau propre. Je prends le panier de linge et Heinesy me guide vers la machine, à l'étage. Une fois en haut, on entend le bruit de l'aspirateur. On s'occupe du linge et Nesta sort de sa chambre, les yeux et les lèvres gonflés. Elle ne fait même pas attention à nous et descend.

- Ekin, tu passes l'aspirateur ?

- Ouais, je... je me suis dit que faire un coup de propre ferait pas de mal, donc...

- T'es trop gentil ! Viens recevoir ton bisou !

Heinesy va dans les escaliers et cri : « C'était l'idée de Numidia ! », puis elle ricane. En quelques seconde, Nesta a remonté les escaliers et me prend dans ses bras.

- T'es trop mignonne, toi ! Je crois que je vais t'adopter en fait.

***

  Le moment fatidique arrive à grand pas : ma première vraie soirée. Avec des jeunes de mon âge, de la musique à s'en crever les tympans, de l'alcool, des garçons... mon cœur palpite d'angoisse. Je me fais pouponner par Hely, toujours aux petits soins avec moi, qui n'a choisi que de me faire un maquillage léger aux yeux et du rouge à lèvre. Je mets une robe bleu marine qui m'arrive juste au dessus des genoux. Je mets une paire de chaussures noire à talons pas trop haut. Hely n'a pas touché à mes cheveux pour une fois, elle dit qu'ils sont très bien au naturel avec cette robe. Nesta a mis une robe rouge pétant avec des talons trop haut pour moi. Hely a misé sur l'extra-court avec sa robe bustier et ses talons qui me donnerait presque le vertige. Heinesy est la seule a ne pas avoir mis de robe, mais c'est elle qui fait le plus d'effet : débardeur blanc, large et échancré avec un bandeau noir pour cacher sa poitrine, un short en jean avec des bas résilles et des chaussures de skate, sans parler de ses cheveux flamboyants et tombants en énormes boucles, alors qu'elle doit certainement s'habiller comme ça en été. Je trouve qu'elle est radieuse, serait-ce Lokian qui lui donne cette mine ?

 Nous descendons enfin, devant la porte les garçons nous attendent. Ekin siffle en nous voyant.

- C'est la soirée des bombes ?

Nesta s'approche de lui et pose son doigt sur la bouche de Ekin en hochant la tête, un grand sourire sur le visage.

- Des bombes prêtent à exploser.

  Learth nous conduit à l'auberge en voiture, comme presque à chaque fois d'après Nesta. Nous arrivons devant le bâtiment. La musique se fait entendre jusque dans la voiture, fenêtres fermées. Des jeunes rentrent à l'intérieur tandis que d'autres fument devant.

 Nous sortons de la voiture. Je ne sais pas vraiment pourquoi, j'ai peur. Tout le monde part devant alors que j'arrête ma marche une seconde. C'est comme si un mur invisible se dressait devant moi. Un signe ? Une intuition ? Ou tout simplement une appréhension. Je tremble, mais sûrement à cause du froid. Je sens une main se glisser dans la mienne ; c'est Nesta, toujours avec son sourire si accueillant et aimant. Elle serre ma main et me tire vers les autres qui continuent leur marche.

- C'est normal d'être impressionnée. Au début tu vas rester dans ton coin. Deux conseils : évite de réfléchir et surtout n'accepte pas les verres qu'on t'offre. Ne bois que si c'est toi qui t'es servie ou si c'est l'un d'entre nous.

Elle m'arrête et me prend par les épaules pour me faire face.

- Tout va bien se passer. Je vais pas trop m'éloigner, au moins tu peux me voir si tu as un problème ou un malaise.

Je hoche la tête. Elle me sourit une dernière fois et me tire dans le bâtiment.

 Le son de la musique est très fort. La salle est blindée de monde. Des lumières de toutes les couleurs baignent la pièce, le volume vient tambouriner mon rythme cardiaque comme pour lui donner son tempo. Je n'ai jamais été à un concert ou même ce genre de fête, je n'ai entendu de la musique que chez les autres, mais jamais aussi fort. C'en est enivrant, ça fait vibrer mon corps et monter mon adrénaline. C'est très entraînant. Je suis les autres jusqu'au bar où mes amies me passent un verre d'alcool fort. Bon, et bien... que la fête commence, je suppose.

***

  Je me réveille, la tête en vrac. Je n'ai même pas le courage d'ouvrir les yeux. Quand j'essaie de bouger, seul un râle sort de ma gorge. Nom de Dieu, c'est atroce. Je me mets à gémir de lassitude.

- Non... tête...

C'est tout ce que je parviens à dire.

 Après ce qui me semble être une éternité, j'ouvre enfin les yeux, il fait noir. Depuis combien de temps je dors ? Je prends mon téléphone sur la table de chevet pour regarder l'heure, mais il est éteint. Il doit être déchargé. Je le repose brusquement là où il était et râle encore. Je ne bouge pas pour autant, j'ai beau me dire qu'il faudrait que je me lève, je n'arrive pas à trouver le courage de le faire. Alors je reste là, inerte. Si ma mère me voyait, elle aurait des envies de meurtre.

 La porte s'ouvre bruyamment. Trop de bruit. Je râle, encore, et sens quelqu'un venir vers moi rapidement.

- Eh ben, on croyait que t'étais dans le coma à force.

- Chuuuuuuut. Heinesy, moins fort. Trop de bruit.

Elle ricane et se penche très près de mon visage.

- Pardon, tu trouves que je parle trop fort ?

- Ouiiiiii...

- C'est mieux... Comme ÇA !?

Mon cerveau se vrille tellement qu'il s'est sûrement rompu. Elle frotte ma tête et commence à sortir.

- Quand tu te sentiras, descends. Les autres commencent à flipper. Surtout Ness.

Et elle sort, me laissant là. Je sais que je devrais me lever, mais je m'en sens incapable. Je suis sur le point de le redresser, mais j'ai comme un vertige et je m'écoule pour me rendormir.

 J'ouvre les yeux, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé entre mes deux réveils. Il faut vraiment que je descende maintenant. Une douche s'impose, aussi. Je me lève avec difficulté, prends mes affaires et me dirige le plus doucement possible jusque dans la douche. Mon Dieu, il fait nuit dehors, mais j'ai dormi combien de temps !? Je croise un miroir et frôle la crise cardiaque. Oh... Mon... DIEU. Je ne me suis visiblement pas démaquillée avant de me coucher. Ils a complètement dévié de son emplacement originel. C'est affreux.

 Je trouve une bouteille de démaquillant sur le bord de l'évier et du coton dans un meuble. Je m'en tartine sur tout le visage. Plus jamais ça. Je me déshabille et prends la douche la plus longue de ma vie. Une fois que j'ai fini, je ne prends même pas la peine de me passer un coup de sèche-cheveux, je me contente de m'habiller confortablement – jean, tennis, t-shirt large – et descends, avec appréhension.

 Quand j'arrive en bas des escaliers, je vois juste en dessous les garçons et Hely jouer à un jeu vidéo sur une télé que je n'avais pas encore vu. Heinesy et Nesta sont sur le canapé devant la cheminée à discuter. Je vais vers elles et m'assoie doucement. En me voyant, Nesta ouvre grand la bouche, mais je lui fais signe de ne rien dire.

- Je n'ai pas envie de me faire remarquer.

Je lui dis tout doucement alors elle hoche la tête. Je regarde l'horloge : vingt-et-une heure dix-neuf.

- J'ai dormi combien de temps.

- Depuis qu'on est rentré donc... je dirais une vingtaine d'heures.

Nesta me répond naturellement, comme si c'était normal. Je n'ai jamais autant dormi, sauf à l'hôpital. Je suis tétanisée. C'est affreux ! Heinesy se lève et me ramène un verre d'eau. Nesta, elle, semble me jauger du regard.

- Tu te souviens de la soirée ?

Je réfléchis. Rien. Je commence à avoir l'habitude d'oublier une parcelle de mes soirées, mais cette fois ce doit être l'alcool. Je lui fais non de la tête. Nesta pince ses lèvres. Heinesy sourit et me regardant boire.

- C'était de la folie, tu t'es complètement lâchée. Mais au moins t'as pas fini à poil.

Nesta lui donne un coup de coude en voyant mon visage se décomposer. La question me brûle les lèvres autant qu'elle m'effraie. Mais je la pose.

- J'ai fait quoi ?

- Euh... je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

- Je veux savoir. Je dois savoir, Nesta.

- C'est pas si terrible que ça, alors il n'y a pas vraiment d'intérêt à savoir...

- Inutile de me protéger Nesta, il faut me dire ce qu'il s'est passé. Déjà que je ne contrôle pas ma mémoire, alors... il faut que je sache.

- Alors, pas trop sur les rotules ?

Learth frotte le haut de ma tête en passant. Il sourit et je le remercie silencieusement je ne pas en faire plus. Je me concentre de nouveau sur les filles. Heinesy se rapproche.

- Si tu veux, Hely a fait pas mal de vidéos sur son portable, elle voulait les mettre sur les réseaux sociaux mais on lui en a empêché vu ce qu'on y voit. Alors si tu veux vraiment savoir et que tu te sens de regarder les vidéos...

- Je suis d'accord. Mais pas tout de suite, je suis encore dans les vapes. Vous parliez de quoi avant que j'arrive ?

- Qu'est-ce qui te fait croire qu'on parlait ? demande Heinesy, un peu stressée.

- Eh bien, vous êtes isolées du groupe et vous être dans un cadre relativement intime... enfin, peut être que vous voulez que je vous laisse.

- C'est bon Numidia, Heine me parlait de ton cousin. Enfin, de ce qu'il s'est passé avec ton cousin.

- Ah, je vois.

Heinesy hausse les épaules en se pinçant les lèvres. Elle est vraiment mal à l'aise quand il s'agit de sentiments. Elle s'approche de nous deux, restreignant un peu plus l'intimité du cadre.

- Je disais à Ness que j'étais un peu...

- Non, tu disais que tu l'étais complètement.

- Oui bah c'est bon, j'ai pas besoin d'un traducteur.

Heinesy est sur la défensive, elle n'aime vraiment pas cette situation.

- Je disais donc... je suis complètement paumée dans cette histoire.

- C'est-à-dire ?

- Bah... comme tu le sais, Lokian ne me laisse pas indifférente... Mais c'est plus que ça... J'arrête pas de penser à lui et je me sens comme dans du coton moelleux et ce genre de conneries mielleuses.

- Et je lui ai répondu qu'elle était amoureuse, mais elle ne veut pas me croire.

- Non, non, non. Je suis pas amoureuse !

- Pourquoi tu refuses cette idée ? je lui demande.

- Parce que... parce que. Je veux pas, c'est tout.

- Mais pourquoi ? demande Nesta à son tour.

- Mais lâchez-moi, je veux pas ! Y'a pas de ''pourquoi'', je veux pas et c'est tout.

C'est étrange, les filles sont heureuses quand elles tombent amoureuses normalement. Voyons voir...

- Qu'est-ce que tu as ressenti quand tu l'as vu la première fois, quand on est allé le chercher dans la rue ?

- Rien.

- C'est faux. Tu étais toute rouge, tu m'as même dit qu'il était très beau.

- Ça veut rien diiiiiiiiiire ! Tu peux trouver un garçon beau sans être amoureuse !

- Ok, alors qu'est-ce que tu ressens quand tu penses à lui ?

Elle fait une moue bizarre, les yeux au ciel, toute crispée et hausse les épaules. Puis, l'esquisse d'un sourire apparaît. Nesta le pointe du doigt en criant ''Ha !''. Mais elle ne se referme que plus à cette idée.

- Arrête Nesta, tu me mets la pression, c'est pour ça que je réagis bizarrement.

- Regarde, il est en train de t'appeler.

Le téléphone de Heinesy qui est posé sur la table basse devant la cheminée vibre, elle reçoit un appel. Elle se lève en une seconde et décroche. D'une voix haut perchée elle répond, avec un grand sourire.

- Ouiiiiiiii ?... Arf, c'est toi maman.

Elle regarde Nesta qui est sur le point d'exploser de rire, d'un air désapprobateur. Heinesy s'éloigne pour parler à sa mère. Nesta fronce les sourcils en souriant.

- Je te jure, celle-là. Ça te dérange pas qu'il se passe un truc entre eux ?

- Lokian est seul depuis bien assez longtemps. Il a toujours été mélancolique, alors Heinesy ne peut lui faire que du bien. Et puis on parle de Heinesy, c'est une fille chouette et pleine d'énergies. Je sais qu'elle ne profitera pas de lui.

- Lokian est mélancolique ? Je l'aurais jamais cru.

Je lui réponds d'un hochement de tête. Depuis toujours – en tout cas depuis que je le connais –, il porte une tristesse que je n'ai jamais pu définir.

 Un soir où il était adolescent, en été, il passait ses vacances à la maison comme tous les ans, et il était revenu d'une soirée chez un garçon de son âge qui vivait dans ma ville. Il venait de se séparer de sa petite amie avec qui il était depuis près de trois ans. Je n'arrivais pas à dormir. Je voulais profiter des vacances pour le voir mais il faisait n'importe quoi à l'époque. Alors, je savais qu'il rentrerait au milieu de la nuit, je mettais mon réveil pour l'attendre vers deux heures du matin, mais je m'endormais toujours avant. Cette nuit là. J'avais gardé les yeux ouverts. Il était arrivé dans la rue, il avait marché lentement jusque sur la pelouse, avait planté ses pieds devant la maison, puis s'était écroulé. Recroquevillé sur lui même, à hurler. Il demandait ''pourquoi''. Le lendemain, je lui avait dit qu'il ne fallait pas qu'il soit si triste pour une fille qui ne le méritait pas, puisque c'est elle qui avait rompu. Il m'avait répondu que j'étais stupide de croire qu'il n'y avait que ça, puis il m'avait dit de laisser tomber. Je n'ai jamais compris, à part qu'il était malheureux et seul, naturellement. C'est vrai qu'en le voyant, on ne s'attend pas à un garçon triste.

  Après que les autres m'aient remarqués, Ekin, Mano et Hely ont proposés d'aller à la fête. Les autres ont refusé alors Learth les a amenés. Heinesy a demandé la carte mémoire du téléphone de Hely pour me montrer les vidéos.

 Il n'y a plus que moi, Nesta et Heinesy. Cette dernière installe la carte mémoire pour montrer les images sur la télé, Nesta me demande une énième fois si je suis sûre de vouloir voir ça. Je ne lui dis pas que ne n'en ai aucune idée, mais il faut que je les vois, je ne sais pas exactement pourquoi, mais j'évite de réfléchir à la question.

 La première vidéo commence au début de la soirée, je suis bruyante et agitée mais je me contrôle encore plus ou moins. Sur la deuxième, je suis bien éméchée et je me secoue un peu trop au rythme de la musique, un verre à la main que je renverse partout autour de moi.

- Tu es sûre de vouloir aller plus loin.

- Nesta, tout va bien. Continue, Heinesy.

Elle met la troisième vidéo où je suis totalement déchaînée. Je cours vers le milieu de la salle pour ''danser'' et hurler. Sur la quatrième, je danse avec Gorka qui a l'air très amusé. Sur la cinquième, alors que les autres me proposent de me calmer, je hurle « C'est la fête ou c'est pas la fête ? Bougez vous les rabats-joie ! » avant d'avaler d'une traite la moitié d'une bouteille d'alcool, de me figer et de m'effondrer. Je me dis que c'est enfin fini quand Heinesy met la sixième vidéo où je danse langoureusement avec Gorka sur un slow. À ce moment là, la porte d'entrée du chalet s'ouvre. Learth est revenu.

- T'es pas resté avec eux ? demande Nesta.

- J'ai hésité et Zakia s'est jeté sur moi, complètement cuite, alors je me suis barré.

Sur la vidéo, Gorka est sur le point de m'embrasser quand j'entends Nesta et Heinesy hurler ''non'' et se jeter sur nous pour nous séparer. Gorka insiste et me reprend dans ses bras mais Learth arrive et le tire en arrière pour l'éloigner. Gorka s'énerve, bouscule Learth et ce dernier lui répond par un coup de poing sur la tempe. J'inspire d'un coup de surprise. Il n'était pas obligé de réagir comme ça. La caméra revient sur moi, les filles me portant, je suis déjà partie dans un songe, du vomi sur les pieds, le mien je suppose.

 Heinesy arrête la télévision et vient s'asseoir à coté de moi. Je cache mon visage de mes mains. J'ai honte. Nesta caresse mon dos et me sert contre elle.

- Je suis navrée. J'ai vraiment honte.

- Ne t'en fais pas. me rassure Nesta.

- On a vu pire. dit Learth.

- Bien pire. ajoute Heinesy en riant.

- Et puis t'étais pas le centre de l'attention. De l'autre coté de la salle Zakia a fini en culotte et les seins à l'air. précise Learth.

- Ce n'est pas une raison. J'ai abusé et voilà le résultat. Je n'aurais pas dû y aller.

- Tu sais, on a tous une histoire comme ça. On a tous abusé la première fois. me réconforte Heinesy.

- Et pas que. ajoute Learth.

- Franchement, t'es soft quand même. Faisons le topo : T'as gardé tes vêtements, t'as embrasser personne, et surtout tu t'es réveillée dans ton lit, seule et avec des fringues. dit Heinesy.

- Honnêtement, t'as un meilleur score que nous. précise Learth.

- Un meilleur score ? Pourquoi, vous avez déjà fait pire ?

- En une seule soirée ; Nesta s'est réveillée avec un sourcil en moins et a perdu son soutien-gorge mais pas son t-shirt, Heinesy avait une bite dessinée sur la joue avec la culotte d'une fille qu'elle connaissait pas dans sa poche et moi j'ai trouvé Zakia dans mon lit. Alors, franchement, ouais t'es soft.

- Et c'est comme ça qu'ils ont commencés à sortir ensemble. renchérit Heinesy.

Alors c'est comme ça qu'il a fini avec Zakia. Il s'est sûrement passé autre chose dernière.

- Ah... peut être mais... j'ai quand même honte.

- T'inquiètes, on a tous honte au début. dit Learth.

- Et puis il y a la prochaine cuite. Et la suivante. Et celle d'après. Et au final tu t'habitues. affirme Heinesy.

Nesta se lève, me tend les mains pour que je les prennent et me relève. Elle me tire vers la cuisine en souriant.

- Ne t'en fais pas. Nous, on est un peu gêné pour toi, mais on s'en fiche, et puis on va vite oublier. Par contre, c'est à toi de te dire que c'est pas si grave.