Chapitre XVI

18 minutes de lecture

 Comme ça, juste en ayant ces images, j'ai l'impression d'avoir passé des vacances plutôt décevantes, et pourtant... J'étais bien avec eux, loin de mon quotidien, de ma vie... Loin de la réalité.

Et ça me suffisait.

***

  J'ai passé la soirée de dimanche dans le chalet. Les autres sont allés à la fête, sauf Nesta qui a insisté pour ne pas me laisser seule. Nous n'avons pas beaucoup parlé, mais nous étions dans un calme agréable, qu'elle a elle aussi apprécié. Je ne sais pas si je vais retourner à une fête. Les filles veulent que je sois là au moins pour Halloween, mais j'aime passer la journée ici, dans la normalité.

 Rien n'est pareil ici. Les soirées sont silencieuses mais pas comme chez moi. Là-bas, tout est plus pesant, oppressant, dur. Le silence est lourd, voire assourdissant. Ici, il est calme, apaisant. J'ai l'impression de respirer de l'air pur, et non à travers un filtre. C'est difficile à définir comme sensations. Quand je sors d'ici, tout est moins clair, plus brut. Je ne saurais expliquer pourquoi.

  Nous sommes lundi après-midi. Les filles commencent déjà à se préparer alors que les garçons traînent, flemmardent. Je me fais un café, l'air est plus froid ici et j'ai besoin de me réchauffer de l'intérieur. Je m'assois dans le canapé devant la cheminée et fixe les bûches froides et noires. J'ai besoin de me vider entièrement la tête. Je devrais essayer la télévision, ma mère dit que ça aspire le cerveau.

- Alors, tu te prépares ou on y va encore sans toi ?

Hely est derrière moi, elle pose ses mains sur mes épaules et penche la tête en avant sur ma droite, je peux voir son visage. Je ne me sens pas de bouger.

- Allez-y sans moi.

- Je vais prévenir Nesta.

- Dis-lui de ne pas se priver pour moi.

- Ok !

Elle part en sautillant. Elle aime vraiment aller aux fêtes. Quelques secondes plus tard, Nesta descend et s'assoit à coté de moi. Je lui fais non de la tête. Elle fais une tête boudeuse.

- Quoi ?

- Non, tu vas avec les autres.

- Mais Numidia...

- Je ne veux rien entendre. Je ne veux pas gâcher tes vacances. Alors vous profitez tous ensemble. Je vais me coucher tôt de toute manière.

- Mais s'il t'arrive quelque chose... tu seras toute seule et moi je vais mourir de culpabilité si ta mère ne vient pas me tuer avant.

- Je t'appelle en cas de problème. J'ai un téléphone je te rappelle.

- Numidia...

- Pas de soucis ! Je vais bien. Je me sens bien. J'ai mes médicaments, mon téléphone et de quoi manger. Et puis je ne vais pas m'écrouler d'un coup et mourir dans la seconde.

- Tu es sûre ?

- Arrête de stresser pour moi.

Je l'oblige à se lever et l'amène jusque dans sa chambre pour qu'elle se prépare. Elle continue de se pomponner en boudant. Je ne veux pas qu'ils s'embêtent pour moi. J'ai un cancer, pas un psychopathe près à m'égorger.

  Un peu avant dix-neuf heure trente, ils partent. Nesta me fait promettre de l'appeler au moindre problème, même si je me sens un peu seule. Je lui ai promis que j'appellerais en cas de soucis, sans préciser que je ne l'appellerais pas en cas de solitude. L'autre jour, j'ai remarqué qu'il y avait une bibliothèque dans la chambre d'amis, je vais me contenter de ça. Je démarre avec un auteur que je ne connais pas. Je vais m'installer devant la cheminée avec une tisane, il est un peu tard pour un café ou un thé. Je lis une centaine de pages avant de me sentir fatiguée. Je regarde l'heure, il est presque vingt-et-une heure.

 Je vais dans le frigo mais ils n'ont pas vraiment pris des aliments sains : viande, poisson, des œufs et d'autres choses surgelées. Je regarde le bac à légume : vide, évidemment. Il y a des pâtes dans le placard, des pommes de terre et du pain pour faire des sandwichs. Il y a aussi beaucoup de gâteaux apéritifs et de chips. Je me fais des pâtes avec des œufs et pendant la cuisson je fais une petite liste de course. Je mets toutes sortes de légumes – beaucoup de légumes – et de quoi assaisonner comme des herbes, des épices. Je sais bien qu'avec les plats déjà préparés et la cantine on ne fait plus à manger à notre époque, mais l'un d'eux sait au moins cuisiner... forcément... j'espère. De toute façon, ça ne me dérange pas de cuisiner.

 La porte s'ouvre quand je suis sur le point de préparer mes œufs au plat. Learth et Mano entrent en parlant fort.

- T'es con toi aussi.

- Comment je pouvais calculer un truc pareil.

- T'es vraiment misogyne !

- Arrête de dire que je suis misogyne.

- Là j'ai une preuve concrète, tu peux pas nier.

- Parle pas trop fort, tu vas déranger...

Ils me voient en train de sortir la boîte d'œufs du frigo, mon mouvement est à l'arrêt. Je ne pensais pas qu'ils reviendraient, et certainement pas eux deux. Mano vient dans la cuisine et regarde les ustensiles de cuisine, dont l'eau qui bout.

- Tu fais quoi ?

- Ça se voit pas ?

- Mais non, Learth. À manger je veux dire.

- Eh bien, puisque vous semblez avoir oublier comment manger sainement, je n'ai pas pu faire grand chose.

- On a pris le strict minimum. Nesta aime pas qu'il reste des trucs quand on part. me dit Learth.

- Sauf qu'on est sept, bientôt huit, et que j'ai cruellement besoin de légumes.

Mano ouvre le placard pour prendre des chips. Il ouvre le paquet et en verse dans un bol. Learth vient s'asseoir au comptoir de la cuisine et pioche une chips.

- Tu fais des pâtes ? Je suppose que c'est trop tard pour en demander. me demande Learth.

- Non, pourquoi ?

- Bah t'en as fait que pour toi.

- J'en fais toujours beaucoup, histoire d'avoir des restes. Je faisais à manger à un homme de ma ville après qu'il ait eu un accident de voiture. Plâtre à une jambe et un bras et fauteuil roulant pendant deux mois. Je ne pouvais pas venir tous les jours, alors j'enfaisais beaucoup pour qu'il ait des restes. Et puis c'est resté.

- Pourquoi tu l'as aidé ? T'étais pas obligé.

La question de Mano me laisse sans voix pendant un instant. Non, je n'étais pas obligé. Mais ne pas le faire aurait été mal. Pour la réputation de ma mère, pour moi, pour Dieu. Je hausse les épaules.

- Il avait besoin d'aide et j'étais disponible après dix-huit heure. C'était un peu juste pour faire mes devoirs, mais j'ai réussi à m'en sortir.

- Dis plutôt que c'est ta mère qui t'y a obligé.

Le ton de Learth est sec. Même pas. Elle m'a dit de le faire, je n'ai pas refusé, ni même protesté. J'y suis allée avec le sourire mais sans l'envie.

- En partie. Donc si vous voulez des pâtes il y en a largement assez je pense. Vous voulez des œufs avec ?

- T'es pas obligé de tout faire non pl...

- Ouais, trop bien !

Learth met une petite claque derrière la tête de Mano et fait les gros yeux.

- Ce que tu peux être mal élevé ! (il se tourne vers moi) Je disais que t'étais pas la bonne à tout faire, alors te force pas.

- Ça ne me dérange pas. J'ai juste à prendre une poêle plus grande.

Je range la petite poêle et en sort une grande.

 Je graisse la poêle avec de l'huile et fait chauffer à feu doux parce que le compte-minute sonne la fin de cuisson des pâtes. J'éteins le feu des pâtes et les passe sous la passoire. Pendant qu'elles gouttent, je mets les œufs dans la poêle chaude. Je me rince les mains pour y enlever l'œuf collant et remets les pâtes dans leur casserole. Je me rue sur le frigo pour en sortir le beurre mais il n'y en a pas, je mets donc de l'huile et sale les œufs en train de crépiter. Je remue les pâtes d'une main et sort trois assiettes de l'autre. Je les pose avec des couverts et pose la casserole sur un dessous de plat avec un couvercle. Je sépare les assiettes et les remplis des œufs que je viens de finir.

 Je m'assois, sur le point de me servir en pâtes quand je vois les yeux des garçons. Mano a même la bouche entrouverte. Le plus impressionnant est Learth avec ses yeux clairs. Je me secoue d'un rire silencieux et demande avec un sourire réprimé :

- Pourquoi vous me regardez comme ça ?

- La vache, t'es un super sayen !

- Un quoi ?

- T'as vu à quel vitesse t'as fait ton... truc ?

Learth recule légèrement et bat des paupières, choqué.

- J'aurais dit une trentaine de seconde.

- C'est dingue. Cette fille est dingue.

Mano prend ma tête pour y déposer un petit bisou, me lâche, et joint les mains en fixant le plafond. Avec un voix émut, il dit :

- Merci mon Dieu, vous avez créé la femme parfaite !

- Arrête de faire le con.

- Mais t'as vu ça !? Même ma mère fait pas à bouffer aussi vite, et pourtant elle sait qu'il faut me nourrir vite !

Je ris en imaginant Mano mort de faim et sa mère courant à gauche et à droite pour lui donner quelque chose à lui mettre sous la dent.

 Alors que nous commençons à manger, la question me vient.

- Pourquoi vous êtes rentré si tôt, et seuls ?

- Demande à Mano.

- J'ai croisé une meuf avec qui je m'étais amusé et apparemment elle attendait mon appel.

- Oh.

- Ouais, comme tu dis.

- Mais c'est pas ma faute ! Comment je pouvais deviner qu'elle passait ses vacances dans le coin ?

- Oh, je ne sais pas... peut être en arrêtant de baiser à droite à gauche !

- Arrêêêêête ! T'étais même pas obligé de me ramener, j'étais sur le point de prendre le bus.

- Ouais, mais y'a Zakia qui est venue en larme pour me molester. Fallait que je me tire.

Mano pose ses couverts, le regard loin devant lui, et tourne doucement la tête vers Learth qui mange tranquillement. Quand Learth remarque le regard de son ami, il avale bruyamment et pose ses couverts à son tour avant de lever les mains dans un signe d'innocence. Mais Mano se jette sur lui, les faisant tomber de leur chaise.

- Putain Mano arrête, je vais te gerber dessus !

Il rit à moitié à cette idée. Moi ? Je commence à comprendre leur petit jeu, alors je ne fais rien, je continue de manger.

  Je suis retournée sur mon livre après manger, les garçons eux sont sur un jeu vidéo. Ils font beaucoup de bruit, mais ça ne me dérange pas. C'est toujours moins désagréable que d'entendre ma mère m'accabler pendant près d'une heure. Au moins, ils sont de bonne humeur. Je ne sais pas quelle heure il est, il doit être tard puisque je commence à fatiguer, mais je n'ai pas envie d'aller me coucher. Je suis bien dans ce cadre. Il m'arrive de plus en plus de souhaiter figer le temps pour qu'il s'étende plus longtemps, ça ne m'était jamais arrivée avant. C'est un souhait très plaisant.

- Tu lis quoi ?

Je me retourne et vois Learth accoudé au dossier du canapé. Il penche la tête pour lire le titre et sourit.

- Je savais pas que t'avais de bons goûts en lecture.

- Et moi je ne savais pas que tu lisais.

- Eh, chuis p't'être un branleur mais c'est pas pour ça que je suis blasé de tout.

- Tu n'as pas vraiment une allure de littéraire.

- Je te rappel que je suis en L avec toi.

- Certains y vont pour fuir les maths.

- J'avoue que j'ai aussi fuis les maths.

Je souris et ferme mon livre en coinçant un bout de papier à ma page en le voyant faire le tour pour s'asseoir à coté de moi. Il souffle, comme après avoir faire un gros effort et fait les gros yeux, puis il me regarde normalement.

 Il est très expressif, juste en étant lui-même. À moins que ce ne soit moi qui ne le sois pas du tout. Je suis si peu originale et intéressante. Il me demande :

- Ça va toi ?

- Bien sûr, pourquoi ça n'irait pas ?

- Oh, j'en sais rien... peut être parce que t'as très mal vécu la dernière fois ou t'as mis un pied dehors.

Je pince mes lèvre et ferme les yeux quand j'expire bruyamment.

- Pourquoi on remet le sujet sur la table, déjà ?

- Excuse-moi.

Son ton est amusé mais pas méprisant. Je souris moi aussi et rouvre les yeux. Je hausse les épaules, lève les mains et les laisse retomber en secouant la tête. Qui a-t-il à dire après ça ?

- C'est bon, je vais bien. Nesta m'a tellement posé cette question que j'ai l'impression de répondre machinalement maintenant.

- Elle s'inquiète pour toi, c'est normal.

- Plus que ma propre mère. Je crois que c'est pour ça que ça m'agace autant. Non, je dirais plutôt que ça... je ne sais pas... ça ne m'agace pas, c'est juste que... J'ai pas l'habitude. En général, on me laisse dans mon coin et je m'en satisfait. Personne pour me dire ce que je dois dire, ou faire, penser.

- Sauf ta mère.

Je le regarde, sans savoir quoi penser. Ça n'a pas l'air d'une pique, mais d'une constatation. Et elle est vraie. Ma mère me dit comment je dois vivre, mais ne se souci pas de mon bien être moral ou physique. Depuis qu'elle sait pour mon cancer, pas une fois elle m'a demandé si j'allais bien, comment je me sentais, si j'avais besoin d'aide. Non, elle s'est suffit à ce qu'elle a toujours fait : prendre les devants.

 Learth n'est pas idiot. Ça je l'ai compris. Mais il est plus que ça. Il comprend, il cerne, il ne ferme pas les yeux. Et il a l'air d'agir. Je le plains sincèrement. Je hoche la tête, et me rend compte que mon visage porte une tristesse que je ne lui connais pas. Je reprends une contenance.

- C'est vrai. Sauf ma mère.

Je fixe la cheminée allumée, les langues enflammées pétillantes hors de la bûche, pétantes et sauvages.

- Avec mon cancer, ça devient plus compliqué qu'auparavant. Je ne peux rien faire.

- Si tu peux. Il suffit de trouver comment.

Il se lève et retourne vers Mano qui est absorbé par son écran. Je me redresse et le suis du regard.

- Learth.

Il se retourne et me regarde.

- Ce que tu m'as dit, sur ta mère. Qu'elle ait eu son...

- Plus tard.

Je ne comprends pas sa réticence soudaine. Mais il s'approche, et dit plus bas.

- Je t'en parlerai plus tard.

Puis il retourne auprès de son ami. Je me lève, prête à aller me coucher.

***

  Ce matin je suis la première à me lever, comme presque toujours. Comme chaque matin, les volets sont fermés, je les ouvre et me prépare un café. Étant encore un peu endormie, je m'assois dans le canapé devant la cheminée, place que j'affectionne de plus en plus.

 J'arrive au bout de ma boisson chaude quand j'entends quelqu'un descendre. Je regarde discrètement et vois Learth se servir un café. Il vient s'asseoir près de moi et s'enfonce dans le cuir marron. Je lui dis bonjour et il me répond d'un signe de la main. Il ferme les yeux en buvant son café.

- Mal dormi ?

Il gémit comme réponse. En effet, il n'a pas dû beaucoup dormir.

- Mais tu connais bien, je crois.

Sa voix est profonde et caverneuse, plus que d'habitude.

- Pardon ?

Il se redresse et entrouvre les yeux.

- Mal dormir, tu connais bien.

- Oh. Oui. Surtout depuis quelques mois.

- Ça te le faisait pas avant ?

- Non, j'ai toujours eu un peu de mal à m'endormir immédiatement, mais se réveiller en pleine nuit et ne pas réussir à retrouver le sommeil est nouveau pour moi.

- Y'en a qu'on de la chance.

Il s'affale de nouveau dans sa place.

- Tu dors mal en général ?

- Toujours. Je fais des rêves bizarres.

- Des rêves bizarres ?

- Des cauchemars, si tu préfères. D'habitude je reste à glander dans mon lit environ une heure après m'être réveillé mais j'ai remarqué que t'étais une lève-tôt. Tu dois te faire chier le matin toute seule.

- J'apprécie le silence.

Il me regarde, un sourire en coin.

- Dis tout de suite que je te fais chier.

- Mais non ! Je voulais dire que je suis habituée au silence. Chez moi il n'y a ni télévision, ni radio... Aucune technologie si ce n'est la wifi et l'ordinateur vérouillés de mon père pour son travail. Le seul moyen de s'occuper là bas, c'est de lire les journaux ou de sortir dans la rue, et encore il n'y a rien à faire dehors.

- Tu dois vraiment te faire chier chez toi. Pas étonnant que t'aime autant l'internat.

- Et toi, tu vis où ?

Alors qu'il avait les yeux fermés, il en ouvre un, comme si la question était déplacée. Elle l'est peut être. À vrai dire, la question m'a échappée. Mais il me répond quand même.

- Ça dépend. Officiellement je vis encore chez ma mère, mais je suis jamais là-bas.

- Pourquoi ?

- C'est compliqué... j'ai... c'est compliqué.

Je le vois se fermer. Mince, j'ai dit quelque chose que je n'aurais pas dû. Après tout, nous ne sommes pas si proche. Je tente de rattraper le tir.

- Et officieusement ?

Il sourit et hausse les épaule.

- Un peu partout. Chez des potes, ou ma meuf quand j'en ai une. Parfois dehors.

- Dehors !?

- Ouais, y'a un coin sympa où j'aime bien dormir pendant la belle saison. Sur le toit d'un immeuble. Mais bientôt je pourrais plus y aller, il est sur le point d'être démoli pour construire un foyer ou un truc dans le genre.

Il ouvre les yeux et fixe le vide, droit devant lui.

- Entre ce toit et Nesta qui s'est remise avec Ekin, j'ai de moins en moins d'endroit où squatter.

- Tu peux toujours retourner chez ta mère en cas de problème.

- En théorie. Mais la plupart du temps j'en ai aucune envie. Je te l'ai dit : c'est compliqué.

Il finit sa tasse et se lève pour la laver dans l'évier, comme pour stopper la conversation.

 Heinesy descend et se jette sur la cafetière. Mais elle percute Learth et fait une moue choquée.

- Toi ici, à cette heure ? Incredible !

- Rho, la ferme Heine.

- Good job, my boy. I'm proud of you.

Puis elle lui fait une tape sur la tête.

***

- Ça va, on a pas tant besoin de légume que ça !

- Moi oui, Hely.

- Non mais on est en vacances, on devrait pouvoir manger ce qu'on veut quand même !

- Oui, et bien je veux des légumes.

- Y'a des fois où je te comprends pas, Numichou.

Hely prend mon visage entre ses mains en me disant ça. Mais Nesta prend ma défense.

- Elle a pas tort, ça nous ferait pas de mal de manger sain. Et puis si ça peut lui faire plaisir.

- Du moment qu'on me force pas à en manger, je m'en fous. dit Hely.

- Hey, les filles, coucou !

Mano pousse le caddie de course et grimpe dessus pour ''surfer'' dans le magasin. Learth stop sa course d'une main et lui fait signe de descendre.

- Arrête de te faire remarquer.

- Je vais gagner la course !

Ekin vient de dépasser Learth avec un caddie. Ce dernier souffle mais lâche le caddie de Mano qui repart en criant « Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! ». Il vient vers nous, blasé.

- Non mais Numi a raison, j'ai regardé le frigo ce matin, y'a que dalle. précise Heinesy. Les gars ont ramené moins que le strict minimum.

- En même temps, il savent qu'il faut pas trop prendre, sinon mon père râle ou on doit ramener plein de reste chez nous et c'est la galère.

- Nan mais on est plus nombreux cette fois, alors de toute façon y'a pas assez pour le reste du séjour.

- Je suis désolée, j'ai fait une liste sans me préoccuper de ton avis.

- Il n'y a pas de mal Numidia, tu as bien fait. On va prendre quelques autres aliments et au pire on reviendra à la fin de la semaine s'il n'y a pas assez. me rassure Nesta.

Learth fait revenir les garçons pour qu'ils ramènent au moins un caddie, puis ils se battent pour savoir qui va jouer avec celui restant.

 Pendant que je choisis les légumes avec Nesta, le duo H se chamaille pour savoir lequel des légumes est le moins bon.

- De toute façon, c'est pas bon en général. Surtout les tomates.

- Non, non, non Hely. Surtout les brocolis.

- Les tomates.

- Les brocolis.

- Les tomates.

- Les brocolis.

- Il va falloir que je sorte le livre de cuisine de ma mère. Il doit traîner dans la bibliothèque. me dit Nesta pendant qu'elle pèse les carottes.

- Pas la peine, Numidia sait cuisiner.

Je me tourne vers Learth, les yeux ronds. Il me regarde, sans comprendre pourquoi je le fixe. Nesta se penche sur mon épaule.

- C'est vrai ? Tu cuisines bien ?

- Bien n'est pas vraiment le mot. Je cuisine, j'ai appris en aidant quelqu'un. Mais oui, je peux me débrouiller pour faire quelque chose de comestible.

- En plus elle cuisine super vite !

Mano me fait sursauter quand il arrive à toute vitesse en faisant glisser le caddie jusqu'à le taper dans le rayon des légumes. Ekin, dans le caddie, s'intéresse à la conversation.

- Sérieux ? Tu peux nous faire la bouffe pour la semaine.

- Tu pousses pas un peu, là ? Elle est pas là pour ton bon plaisir. dit Learth, accompagnant ses mots d'une petite claque sur la joue de Ekin.

- Ça ne me dérange pas. J'ai l'habitude, vous savez.

- C'est pas parce que t'as l'habitude qu'il faut la garder.

- Pourquoi pas, si ça peut faire plaisir à tout le monde.

Learth ne dit plus rien et les garçons sautent de joie.

***

 La cuisine est un champ de bataille en chantier. Alors que Learth, Heinesy et Ekin observent le spectacle, Nesta, Hely et Mano ''m'aident'' à cuisiner... enfin ils essaient de suivre le rythme en mettant de la nourriture partout. Après quelques minutes d'admiration, le trio m'a demandé de leur montrer comment je faisais pour aller aussi vite, et la démonstration est devenu un TP de chimie pour eux. Moi, j'essaie tant bien que mal de garder mon rythme tout en les guidant. Autant dire que c'est peine perdue.

- Mais putain Mano ! Tu m'as foutu de l'huile sur le bras !

- Pardon Hely, mais on est trop dans cette cuisine !

- Et puis qu'est-ce que tu fous avec ça ? On fait rien cuir pour l'instant !

- Peut être pas tout de suite, mais quand on va les faire cuir je saurais où est l'huile, moi.

- Arrêtez de vous chamailler, je sais même plus ce qu'on fait là.

- Un gratin, Nesta. Vous faites on gratin.

- Rho, tais-toi Ekin !

J'ai proposé de faire un gratin de légumes au poulet, ça me paraissait pourtant simple. Mais pas pour eux.

 Nesta arrive plus ou moins à me suivre, même si elle est tout de même dépassée. Hely picore dans les morceaux de poulet pré-cuits au four – quelle idée – quand elle ne rince pas les légumes pour la centième fois et Mano prend plus de place qu'autre chose. Hely est sur le point de reprendre du poulet, mais je lui tape le dessus de la main en passant.

- T'es pas gentille quand t'es concentrée Numidia.

- Si tu veux grignoter, sort de mon espace de travail. Et surtout ne touche pas au poulet.

- Mais il est trop bon ! On dirait du poulet tikka, j'adore !

- Tu adoreras quand ce serait cuisiné dans un gratin.

- C'est bizarre quand même de mettre du poulet épicé dans un gratin de légume, nan ? demande Heinesy entre deux feux.

- C'est spécial, mais très bon. Moi non plus je n'y croyais pas quand je l'ai fait la première fois. C'est un homme accidenté qui m'a donné la recette pour que je la fasse, et finalement j'aime bien. Ça donne un coté exotique, ça change.

- De toute façon tu manges n'importe quoi.

À la remarque de Learth, Heinesy se jette à son cou pour le frapper et ils commencent à se bagarrer sur le sol du salon.

 Je fais la béchamel pendant que Nesta coupe les légumes à une vitesse qui m'étonne. Elle sort une poêle alors je l'arrête.

- Pourquoi une poêle ?

- Pour retirer l'eau des plus gorgés. Juste un petit coup sous le feu. Ma mère faisait ça, je te jure ça fait des miracle.

C'est vrai que mon gratin a tendance à être plein d'eau. Je lui fais confiance et reprend ma béchamel.

  Hely a fini par partir en disant que c'était trop dur de faire à manger sans manger. Mano lui n'a pas arrêté de demander si on avait besoin d'huile. Et Nesta a vraiment fait du super boulot. Et faire chauffer les légumes pour les faire réduire était génial. Le gratin est prêt à un peu plus de midi, et il a l'air plus réussi que d'habitude. Quand je pose le plat, Mano se lève, désespéré.

- Merde ! C'est au poulet ! Je peux pas en manger !

- Et c'est pour ça qu'avec Numidia et mon immense four, on t'as fait une portion sans viande.

Mano se lève pour nous faire un câlin, l'émotion dans la voix. Finalement, c'est Learth qui le décolle en lui disant qu'il en fait trop qui nous libère. Il commence à manger directement dans le petit plat sans se soucier de la chaleur du repas ou des autres qui ne sont pas encore servis.

 Au final, tout le monde a aimé mon plat – et celui de Nesta bien sûr – et j'en suis contente. Ils m'ont tous remercié et ça fait beaucoup de bien. Savoir que les autres apprécient les efforts que j'ai fait et qu'ils me l'expriment... ça change. Je crois même que c'est la première fois.

 Après le repas, les filles commencent déjà à se préparer. Mais je n'ose pas leur dire que je ne retournerai pas à leurs fêtes... pas tout de suite en tout cas.

Annotations

Vous aimez lire Nik'talope Ka Oh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0