Chapitre XIV

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 Je crois que c'est ce jour là que j'ai commencé à être adulte. Une adulte puérile et ignorante, mais une adulte.

***

Je suis réveillée par une fine brise coulant sur mon visage, elle est fraîche et lisse. J'ouvre les yeux sur le ciel aussi vide qu'artificiel. Il n'est pas bleu, enfin pas vraiment, son bleu n'est pas naturel ou normal. Je me redresse pour finir assise. Je suis dans une plaine infinie, il y a des nuages très loin vers l'horizon, mais il ne seront pas ici avant des heures. L'herbe est jaunit, comme morte mais sa douceur laisse penser qu'elle est récente et printanière. Je ne porte qu'une sorte de nuisette blanche très légère. Je vois un lac à quelques mètres d'ici. Je me lève et, sans même marcher, me retrouve à son bord. Je m'agenouille pour y plonger mes mains. L'eau est glacée. Impossible qu'elle soit à cette température vu celle ambiante, sinon je serais moi aussi totalement gelée. Je regarde mes mains, elle sont bleuies par le froid. Je relève les yeux, la neige recouvre désormais la plaine. Le paysage est blanc tout comme le ciel cotonneux. Je regarde l'eau qui elle est restée à l'état liquide. J'y perçois un reflet. Je me penche au dessus de l'eau pensant y voir mon reflet, logiquement. Ce n'est pas moi. Je vois une femme, de longs cheveux d'un blond presque blanc, si pur. Elle a de grands yeux verts et des lèvres pulpeuses. Le reste de son visage... on dirais moi, mais ça ne peut pas être moi, je n'ai pas ces cheveux, pas de si beaux yeux, pas de si belles lèvres, mais ce visage m'est si familier qu'il ne peut être que le mien. D'un coup, le visage qui se reflète comme étant le mien voit ses traits se durcir, sa peau se dessécher, des cernes apparaissent tandis que les yeux s'encerclent de noir, le reste du visage devient aussi blanc que la neige et les yeux pourrissent dans leur orbite de plus en plus noires. L'obscurité gagne le reste du visage alors que je suis happée par cette vision d'horreur. L'eau s'assombrit avant de ne devenir qu'un liquide noir et visqueux tel du pétrole. J'y plonge de nouveau mes mains, mais ce n'est pas un liquide noir, il est rouge. C'est une mare de sang. Le même sang qui coule sur mon visage, j'étais pourtant sûre qu'il s'agissait de la brise. Je n'ai jamais sentis du sang aussi froid. Il tombe maintenant à flot sur mes épaules, j'ai du mal à respirer à travers. Je suffoque dans ce torrent d'hémoglobine froide. Lorsque je parviens je ne sais comment à en sortir, Ses borborygmes immondes me donnent la nausée. Il est là.

***

  J'inspire comme si c'était la première fois. Je respire fort et bruyamment. Je porte une main tremblante à mon visage. Je suis trempée, mais de sueur. Je me retourne et tombe de mon lit. Je tente de trouver l'interrupteur sans y parvenir. Je n'arrive toujours pas à respirer correctement. Je rampe au sol, je cherche de la lumière, tout ce qu'il me faut, c'est de la lumière. Après tout ira bien. Je n'arrive pas à me calmer. Mon cœur bat si fort que j'en ai mal. Je me tourne pour me retrouver sur le dos, je respire si fort que ma respiration seule pourrait réveiller toute la maison. Je fixe le vide, j'ai peur. Je ne sais pas où je suis. J'ai mal. J'ai tellement mal. Je porte mes mains à mon cœur, il va exploser j'en suis sûre. Je pousse des halètements de douleur. J'aimerais crier, mais je n'y arrive même pas. Je ferme les yeux et laisse les larmes couler jusque dans mes cheveux en bataille.

 J'entends une porte s'ouvrir brusquement et une lumière perce à travers mes paupières closes. Je sens qu'on me soulève dans le dos pour me mettre en position assise. J'ai l'impression que c'en est que plus douloureux. Je gémis de souffrance.

- Calme toi.

Je reconnais la voix de Learth. Je le repousse.

- Qu'est ce... qu'il se passe ? Où on...

Je n'arrive pas à finir ma phrase, c'est un véritable supplice. Je m'agrippe à lui, j'enfonce mes ongles dans ses épaules tandis qu'il me caresse le dos. Il approche ses lèvres de mon oreille.

- Ça va passer, calme toi. On est chez Heinesy. Tout va bien Numidia.

Il murmure doucement, il parvient à me ramener un peu dans la réalité. J'entends sa respiration dans mon cou et essaie d'y synchroniser la mienne. Il est calme et doux, patient. Il porte l'une de ses mains à ma tête et effleure mes cheveux. Je réussi à me maîtriser. J'ai des palpitation dans tout mon corps. Après quelques secondes, Learth de détache de moi et me regarde.

- Ça va mieux ?

Sa voix est basse et se veut douce. Je me contente de hocher la tête faiblement. Il m'offre un maigre sourire et me soulève pour me remettre dans mon lit. Il me lâche pour de bon et fait demi-tour.

- Learth...

Il se retourne alors que je m'aperçois seulement que j'ai dit son nom. Je le regarde dans les yeux pour me détourner de lui. Il éteint la lumière et j'entends la porte se fermer. Mais je vois Learth faire le tour du lit et s'y asseoir. Je le regarde, surprise.

- Fais pas cette tête, tu t'attendais pas à ce que je te laisse seule après ça ?

Je lui souris et me sens rougir. Je plonge ma tête dans les draps épais. Il enlève ses chaussures et s'allonge sur la couverture. Ce lit est si grand qu'il pourrait accueillir quatre personnes. Il garde ses distances et me regarde.

- Tu peux me dire ce qui s'est passé ? Ou tu préfères que je la ferme et que je te laisse dormir ?

Je ris faiblement et hoche la tête comme une petite fille.

- J'ai rêvé de ma mort... en tout cas c'est comme ça que je l'interprète.

- Ah, je comprends mieux.

Je repense à mon rêve et revois des images. Elles semblent lointaines maintenant, mais aussi si vives... elles écorchent mon cœur. Je regarde Learth.

- Tout avait l'air si paisible mais si étrange... et d'un coup, c'est comme si cet univers devenait un cauchemar... ça avait l'air à la fois tellement bizarre mais très réel. En me réveillant j'avais la sensation de mourir.

- Je sais, j'ai déjà fait ce genre de rêve.

Cet aveu est si soudain, j'en perds le souffle un instant.

- Pourquoi ?

Il se met sur le dos et fixe le plafond en inspirant profondément.

- J'ai toujours eu cette peur. Une angoisse profonde à l'idée de la mort. Pas spécialement la mienne, mais en général. Y'a tellement de façon de mourir, c'est inquiétant. Quand tu sais que Elvis Presley est mort aux chiotes...

Je pouffe de rire. Une information que j'ignorais.

- C'est drôle, la mort ne m'a jamais effleurée avant qu'elle ne me tombe dessus. Je n'avais pas le temps d'y penser.

Et je me rends compte que je mens. Le Royaume des Cieux arrive bien après la mort, c'est le résultat d'une vie acharnée de dur labeur. Le réconfort après l'effort. Je n'ai toujours que souhaité y aller. Donc ma maladie me rend service dans un sens. Le problème, c'est que je souhaitais aller au Royaume des Cieux parce que je n'avais jamais vécu pour de vrai.

- Ma vie n'a jamais été réelle. Je n'ai fais qu'obéir aveuglément aux dires de mes proches. On a que ce que l'on mérite. Je ne pense pas avoir mérité cette vie, ni sa fin.

Des larmes sourdes glissent sur mon visage. Learth approche de moi et retire mes larmes de sa main.

- J'ai une autre théorie : les humains ont peur de la vie, du libre arbitre et du hasard. Si la religion existe c'est aussi pour échapper à tout ça, elle a créé le destin et la fatalité. C'est plus facile pour le monde de croire que tout est prédéfinit plutôt que d'essayer de sortir du moule. T'as pas un cancer parce que tu l'as mérité, tu as un cancer parce que c'est ce qui arrive à certaines personnes. Tu ne reçois pas une punition, tu n'es qu'un dommage collatéral du monde dans lequel on vit. Si j'étais toi, je le verrais comme une opportunité plus que comme une fatalité. C'est aussi ça la vie, savoir faire profit de tout ce qu'on a, même le plus pourri. La vie n'est belle que parce qu'elle ne dure pas. Tout est plus beau parce que nous sommes condamnés.

Je regarde intensément Learth. Non, j'ai mal jugé ce garçon. Ce n'est pas un idiot, il est loin d'en être un. C'est juste quelqu'un qui a décidé d'être différent, mais je ne sais pas pourquoi. Il n'est pas comme moi, il a choisi de se faire sa propre idée du monde, moi je n'ai fait que suivre l'idée d'un autre. Il me regarde droit dans les yeux, ses prunelles me fascinent, elles sont d'une couleur hors du commun, ses yeux sont à son image.

- Tu sembles y avoir bien réfléchi.

- Je suis pas né dans la religion comme toi, ça aide à la réflexion. Et puis, comme je te l'ai dit, ma mère a eu un cancer. Moi aussi j'ai trouvé le monde injuste, mais je savais qu'elle n'avait rien fait pour l'avoir, elle l'a juste eu.

- Cancer de quoi ?

J'ai peur d'être trop indiscrète. J'aimerais ne pas avoir sorti ces mots, pas de cette façon.

- Des seins, elle a eu une ablation mais il restait des cellules cancéreuses. C'était y'a cinq ans et encore aujourd'hui elle est sous surveillance. Chaque fois que je la voyais prendre son traitement j'avais mal. Et quand elle a commencé la chimio... j'avais envie de tout bousiller autour de moi. Le monde est injuste Numidia, je l'ai compris il y a longtemps.

Moi aussi j'ai envie de tout détruire dans les mauvais moments. Je ne peux que le comprendre. Quand j'imagine cette masse dans ma tête, ce parasite, j'aimerais plutôt mourir que laisser cette chose dévorer mon cerveau jusqu'à devenir un morceau de chair vivant, incapable de penser et sans conscience. Parce que je sais que c'est ainsi que je finirais.

- Je pense l'avoir compris aussi.

***

  La sonnerie du réveil programmée sur mon téléphone me sort de ma léthargie. Je la fais taire et engouffre mon visage dans mon oreiller. Les images de la veille défilent dans ma tête. Je revois Learth me calmer et me parler. Learth. Je me tourne vers lui, mais il n'est plus là. Il a dû retourner dans sa chambre lorsque je me suis endormie. Je lève et retire mon pyjama. J'ai un vague souvenir de Heinesy m'indiquant une salle de bain près des chambres. J'enfile mon peignoir qui est dans mon sac et m'y dirige. Je prends une douche rapide et retourne dans ma chambre pour me sécher les cheveux et m'habiller.

 Quand je sors de ma chambre, je croise Learth qui sort de la sienne, débraillé et endormi. J'évite son regard, un peu gênée par rapport à hier. Il vient vers moi.

- Tu vas bien ?

- Oui. Et désolée pour hier... enfin merci...

Il me sourit et passe devant moi pour aller vers la salle de bain. Je le suis pour aller vers la chambre de Lokian. Je toque à sa porte, mais il ne réagit pas.

- Lokian, il faut te lever. Il ne faut pas partir trop tard.

J'ouvre doucement la porte et retrouve Heinesy nue sur lui, lui aussi nu, s'enlaçant et s'embrassant. Je pousse un cri et ferme brutalement la porte. Learth vient vers moi.

- Pourquoi t'as crié, ça va ?

- C'est... c'est Lokian et... Heinesy était... oh mon Dieu...

C'est quand même la deuxième fois que cela m'arrive en moins d'une semaine... ils ont tous décidé de coucher ensemble ou bien ? La prochaine fois j'aimerais qu'on me prévienne ! Learth ne semble pas avoir compris ce que je voulais dire. C'est quand Heinesy sort de la chambre de Lokian dans son peignoir en satin qu'il comprend. Il secoue doucement la tête en souriant.

- C'est pas possible, tu couches avec tout le monde sauf moi ?

- La ferme Learth ! J'ai pas eu de mec depuis plus d'un an ... et puis il m'a prise par les sentiments !

- Il t'a pas prise que par là d'après ce que j'ai compris...

Elle lui met un coup de poing sur l'épaule et vient prendre les miennes, des yeux paniqués.

- C'est pas ce que tu crois Numidia, on a...

- Couché ensemble ? Je suis vierge mais pas stupide Heinesy. Il n'y a aucun problème, c'est sa vie et la tienne. Vous faites absolument ce que vous voulez... enfin du moment que je ne vous revois plus jamais dans cette état.

Elle sourit et prend mes mains.

- Je te promets que tu nous reverras jamais dans cette état.

Puis elle descend les escaliers. Lokian sort de la chambre torse nu, son corps est couvert de marques rouges. Il tombe nez-à-nez sur moi. Il fait d'abord sa tête d'innocent sans crédibilité avant de prendre son grand sourire. Je lui tape le bras.

- Je t'avais dis de ne pas toucher à mes amies !

- T'en fais pas, je lui ai fait que du bien... tu peux lui demander.

Puis il se met à glousser. Je secoue la tête et retourne à ma chambre. Il me rattrape et agrippe mon bras.

- Hey, tu m'en veux pas, hein ? Je sais que j'aurais pu ne rien faire mais...

- Je vais te dire la même chose qu'à Heinesy : vous faites ce que vous voulez du moment que je ne suis pas impliquée.

- Ça va alors. Il essaie de m'embrasser la joue mais je recule avant.

- Je ne sais pas ce que tu as fait avec cette bouche cette nuit, alors tu ne me touches pas avant d'avoir pris une douche !

Il rit face à mon dégoût.

- Pas étonnant que tu ne m'ais pas entendu mourir cette nuit... je dis dans un souffle.

Je me fiche qu'ils couchent ensemble, mais je préfère ne pas les voir comme ça, c'est répugnant !

***

  Nous sommes en route pour le chalet, Lokian doit me déposer à une gare où je rattraperait le train pour arriver à destination. Je ne serais pas avec les autres, mais au moins je serais là à temps, avec seulement un quart d'heure de décalage par rapport à eux. Nesta a dit que tout le monde m'attendait à la gare pour que je ne sois pas perdue. Ensuite nous prendrons le bus pour aller jusqu'à la zone commercial de la ville où nous prendrons un autre bus. Ça risque d'être long et fatiguant, mais au moins nous resterons presque deux semaines.

- Donc tu ne peux pas venir avec nous ? je demande à Lokian.

- Non, j'ai pas de billet moi. Et puis j'ai prévenu des anciens potes que j'étais dispo quand tu seras là-bas, alors j'ai prévu d'aller les voir. Mais Heine a insisté pour que je vienne au moins pour quelques jours. Donc quand je serais de retour chez tes parents je vais demander à ton père de me trouver un billet pour la fin de vos vacances.

- Non, tu vas venir juste pour Heinesy ?

Il sourit en regardant la route et hausse les épaules.

- Je crois qu'elle m'apprécie, plus qu'elle ne veut bien l'admettre. D'ailleurs, tu savais qu'elle avait des piercings aux tétons et au...

- Stop ! Je n'ai rien entendu ! Vous n'avez rien fait et je n'ai jamais rien vu !

- Qu'est ce que t'es sainte nitouche, on a juste passé la nuit ensemble sans trop dormir. Et puis tu vas bien te taper un mec toi aussi.

- Moi ?

- Bah ouais, enfin j'espère pour toi. Je sais que t'as un temps plutôt restreint, mais c'est jouable.

- Il n'est pas question de ça. Je ne vais pas coucher pour coucher !

- Pourquoi pas ? C'est agréable et généralement tu prends grave ton pied. D'ailleurs ta pote elle assure.

- Tu te rends compte de ce que tu dis ?

- Oui je sais, j'arrête de parler de Heine.

- Non, pas ça. Tu me conseilles de prendre un homme lambda et de coucher avec ? C'est pas un peu moyenâgeux comme méthode ?

- Tu plaisantes ? C'est tout à fait moderne comme méthode. Ou tu peux te taper l'un de tes potes, celui qui a les yeux bleus bizarre.

- Learth ? Pourquoi lui spécialement ?

- L'un est en couple avec la brune et l'autre est complètement barré dans son univers. Et puis il a l'air cool, droit, célibataire.

- Il vient de quitter sa copine.

- Alors c'est l'occasion ! Une nuit, tu vas dans sa chambre en nuisette pour aller le consoler !

Il part en un fou rire grave et contagieux. C'est vrai que si je devais coucher avec un garçon je le choisirais sûrement, depuis hier j'ai vraiment l'impression de le comprendre. Et surtout après ce qu'il a fait hier, il n'était pas obligé. Mais... qu'est-ce que... ça y est, il m'a mis n'importe quoi dans la tête. Je secoue la tête.

- Non, si je couche avec quelqu'un, ce sera par envie.

- Et il te plaît pas ?

- Pas spécialement.

- Pourtant t'as une drôle de façon de le mâter.

- Parce qu'il est bizarre.

- Tu le regarde pas comme un mec bizarre, mais plus comme une espèce d'ovni fascinant. Je sais que t'as pas l'habitude de traîner avec des punks, des métalleux, des babacools ou des mecs chelous, mais je t'assure qu'ils sont vachement intéressant la plupart du temps.

Je regarde par la vitre de la voiture et souffle.

- J'aimerais tomber amoureuse, mais je n'ai jamais réussi, alors je perds espoir.

- Malheureusement, c'est pas le genre de chose qu'on peut maîtriser.

***

  Après pas loin de quarante minutes de voiture et trois quarts d'heures de train, j'arrive enfin à destination ! Quand je sors avec ma valise et mon sac à dos, Nesta je jette dans mes bras avant même que je ne la vois venir. Les autres viennent vers moi et nous allons directement hors de la gare pour prendre un bus. Je remarque qu'il manque quelqu'un.

- Et Learth ?

- Il a dit qu'il viendrait directement en voiture jusqu'au chalet. D'ailleurs il va peut être arriver avant nous.

- Pourquoi en voiture ?

- C'est plus pratique d'avoir son propre véhicule là bas, et puis il aime tellement conduire !

Le bus arrive dans les dix minutes et nous entrons après avoir mis nos valises dans la soute. Nous nous asseyons tout au fond. J'ai pour habitude de m'asseoir sur les premiers sièges, mais c'est plus agréable ici pour être honnête. Le bus démarre.

- Au fait, Lokian n'a pas pu venir ? me demande Nesta.

- Non, mais il va essayer de se libérer pour la fin de la semaine. Heinesy ne vous a rien dit ?

- Heine ? Pourquoi, elle était au courant ? demande Ekin.

- Vous nous laissez une seconde les gars... dit Heinesy avant de se lever et de me prendre par le bras.

Elle me tire doucement vers le milieu du bus, au niveau des places debout. Elle se colle contre la vitre alors que je me tiens à la barre de fer pour garder l'équilibre.

- Écoute Numidia, je comprends ta position... enfin t'as pas l'habitude... Mais je préfère que ça reste discret Lokian et moi. Tu comprends, c'est pas que j'ai honte de ce que j'ai fait, c'est juste que ça va faire beaucoup de bruit pour pas grand chose.

- D'accord, je comprends.

Elle me regarde intensément.

- Juste d'accord ?

- Oui, c'est ta vie privée, je ne me permettrais jamais de divulguer quelque chose que tu souhaites garder sous silence, et quelle qu'en soit la raison. Et puis j'ai l'impression que le courant passe vraiment bien entre toi et Lokian, alors si tu préfères être discrète il n'y a pas de problème.

- Merci Numidia.

Elle me sourit et lance un regard vers les autres.

- Quand tu dis que le courant passe bien... tu veux dire que je lui plais ?

- Bien sûr ! Je ne pense pas qu'il aurait risqué de couché avec une de mes amies juste pour s'amuser. Et il ne compte pas venir pour moi je pense.

Elle se met à rougir avant de remettre ses cheveux bouclés en arrière. Elle hoche la tête et réprime un sourire. Je lui souris.

- Pourquoi cette question, il te plaît ?

- Oh, tu sais... je suis pas à l'aise avec ce genre de sentiment... mais je dois avouer qu'il me fait un drôle d'effet. Et pour être honnête j'ai beaucoup aimé la nuit qu'on a passé... et pas seulement sexuellement. On a beaucoup parlé, ça fait du bien.

Je ne pensais pas qu'il y avait eu quelque chose d'aussi sensible entre eux. Qui sait, peut être qu'il vont finir ensemble ! Nesta vient vers nous.

- Alors, vous parlez de quoi vous deux ?

- De rien, c'est juste...

- J'ai eu un malaise la nuit dernière, plus de peur que de mal. Heinesy voulait être sûre que j'allais mieux.

- Un malaise ? Tu devrais t'asseoir alors.

- Tout va bien, je me suis reposée depuis et je vais bien mieux.

Heinesy semble aussi troublée que Nesta, elle me fait un signe de remerciement. J'aurais peut être dû en parler à Heinesy avant de l'utiliser comme alibi pour elle.

  Nous arrivons enfin au chalet après avoir grimpé tout en haut d'une rue remplie de chalets. Nesta met la clef dans la serrure mais la porte s'ouvre toute seule, elle n'en a pas l'air inquiète. Elle nous laisse entrer mais deux sacs sont déjà sur l'entrée. Je détaille l'intérieur : je n'ai jamais vu de chalet aussi grand. Le salon est presque aussi grand que la cafétéria du lycée. Une immense cheminée se tient dans un coin de la pièce. Un canapé énorme, des photos de famille sur tous les murs, des escaliers larges d'au moins deux mètres cinquante. La cuisine communique avec la pièce commune, celle-ci est moins grande mais tout aussi impressionnante, équipée au maximum. Ma maison est plus grande, mais ce chalet n'en est pas moins impressionnant. Nesta ouvre une baie vitrée qui donne sur un balcon avec une vue imprenable sur un lac et les montagnes. Sur le balcon est assis Learth en train de fumer.

- Je t'avais dit de fermer la porte derrière toi si tu arrivais avant nous.

- Ouais, bah la porte était fermée, non ?

- Pas à clef.

- Bah fallait être précise.

Elle lui jette son trousseau de clef au visage. Il réagit à peine. Il finit sa cigarette et retourne à l'intérieur. Il tend un autre trousseau à Nesta qui lui arrache littéralement des mains. Il sourit et prend ses affaires.

- On fait comment pour les chambres ?

- Tu vas dans la chambre de mes petits frères Learth. Moi et Ekin dans la mienne. Hely et Mano vous allez dans la chambre de mes grands frères. Heine et Numidia vous allez dans la chambre d'amis. Quand Lokian arrivera il pourra dormir dans la même chambre que vous, si ça te dérange pas Heine.

Heinesy rougit et secoue la tête de gauche à droite.

- Ça risque d'emmerder Numidia par contre. dit Learth en riant.

- Qu'est ce que t'insinues, la volaille ? lui dit Heinesy.

- Tu vois très bien ce que je veux dire.

Il continu de rire et monte ses affaires.

 Nous allons dans la chambre d'ami avec Heinesy, il y a trois lits superposés et un lit double, la pièce est à peu près aussi grande que ma chambre chez mes parents, soit un peu plus de vingt-cinq mètres carrés. Nous mettons nos affaires dans les placards vides avant de redescendre.

- Faut qu'on aille faire des courses, j'ai plus de clopes. dit Ekin.

- On a rien à manger de toute façon. dit Nesta.

- Je propose que les garçons aillent les faire ! dit Hely.

- Pourquoi les mecs ? C'est un truc de gonzesses de faire les courses, nan ? dit Mano.

Learth lui flanque une claque derrière la tête en le traitant de misogyne.

- De toute façon vous devez aller acheter des clopes, vous pouvez prendre de quoi se faire des sandwichs au passage. dit Hely.

- Personnellement, je sors de plus de deux heures de bagnole, alors retourner dans ma caisse pour aller faire des courses c'est pas vraiment un truc qui me fait envie.

- Je peux conduire. propose Ekin.

- Hors de question qu'on touche à ma voiture !

- Moi j'ai une mission, alors décidez-vous pendant que je fais mon devoir.

Sur ses mots, Hely me prend par la main et me tire vers l'étage où se trouve les chambre. Nous allons directement à la mienne. Elle me lâche enfin et regarde dans mon placard, l'air triste.

- T'as rien pris pour faire la fête ?

- Ce n'est pas grave, je vais faire comme toujours : un jean, mes tennis, un haut simple et du maquillage.

- Non, tu comprends pas ! Tu vas sûrement passer la soirée de ta vie cette semaine, tu dois être présentable !

- Je crois que tu n'as pas saisi ce que signifie ''être présentable''.

- On s'en fout, on doit aller faire du shopping !

***

  Après une petite crise de la part de Hely et un véritable déménagement de la voiture de Learth, tout le monde est parti pour le centre commercial. Les garçons vont acheter de quoi manger pour au moins la semaine et les filles me traînent dans les magasins... enfin Hely nous traîne dans les magasins, mais Nesta s'en réjouie. Nous allons dans une boutique spécialisé dans les vêtements pour fille. Hely me tire vers les tenues de soirée. Elle sort plus d'une dizaine de robes de leur rayon et me les tend au fur et à mesure. Elle me pousse ensuite en cabine pendant que Nesta et Heinesy regard d'autres tenues.

 Je fais un vrai défilé pendant au moins une demi-heure sans succès. La robe est soit trop petite, trop osée, trop courte, trop grande... ou simplement pas à mon goût.

- Il va falloir se décider, les garçons ont presque fini. dit Heinesy.

- Mais il faut qu'elle soit parfaite ! dit Hely.

- On peut se passer de la perfection, Numidia est très bien au naturel. me défend Nesta.

- C'est vrai, mais il faut qu'elle attire le regard des mecs, il faut qu'elle fasse bonne impression... imagine qu'elle rencontre l'homme de sa vie mais qu'elle n'est pas assez parfaite pour attirer l'œil !

- Tu pars en couille Hely. dit Heinesy en ricanant.

J'en essaie une énième, noire et grise, et sors de la cabine. Nesta vient vers moi, tout sourire.

- Elle te va parfaitement ! me dit elle.

- Il faut absolument que tu la prennes ! soutient Hely.

Je me tourne vers le miroir. Elle est très belle, elle a un effet de lambeaux et marque ma taille, un décolleté laissant paraître la forme de ma fine poitrine et les manches courtes. Non, ça ne va pas le faire. Je me retourne vers les filles et décline leurs affirmations. Nesta semble déçu.

- Elle te va si bien, c'est dommage.

- Elle ne me correspond pas.

- Si tu veux quelque chose qui te ressemble, tu peux y aller avec un gros pull et une jupe longue aussi.

Heinesy me sourit après m'avoir dit cela. Je me contente de hausser les épaules.

- Je préférerais quelque chose de moins découvert, j'ai l'impression d'être à moitié nue.

- Crois-moi, il faut quelque chose de frais, on va mourir de chaud là-bas.

- Qu'est-ce que font d'aussi belles filles ici ?

Nous nous retournons en entendant la voix de Gorka. Que fait-il ici ?

- Et toi, qu'est-ce que tu fous dans un magasin pour meuf ? T'es fétichiste maintenant ? demande Heinesy avec un trait d'humour.

- Je te retourne la question, je ne savais pas que les brutes achetaient de la lingerie.

Ses yeux se porte aux sous-vêtements que Heinesy a choisi. Elle les met dans son dos.

- Sois pas déçu, je réserve mon joli p'tit cul à un autre.

- Ça tombe bien, je compte moi aussi passer mes soirée avec une autre.

Il me regarde et sourit, puis il me détaille. Je me sens vraiment nue. Il vient vers moi et me sert délicatement la main.

- Tu es très belle Numidia.

- Merci... pourquoi es-tu là ?

- Les autres ne t'ont pas dit ? J'ai moi aussi un chalet dans le coin, j'y passe la plupart de mes vacances.

- Oh... et que fais-tu dans une boutique pour femme ?

- Gorka ! T'es où putain !

Zakia arrive dans notre champs de vision et se jette sur Gorka en le voyant me tenir la main.

- Pourquoi tu lui parles à elle ? T'es au courant qu'elle m'a frappé avec l'autre poil de carotte !?

- Arrête de mentir Zakia. Je n'imagine pas Numidia te frapper... par contre je connais ton coté tout feu tout flamme.

- On s'en fout, on se casse.

Elle tire son frère par le bras mais il reste face à moi encore quelques secondes.

- J'espère qu'on se verra à l'une des soirées. Je t'offrirai une danse. Il me fait un clin d'œil avant de se laisser traîner par sa sœur. Hely se jette sur moi.

- Rien à faire de ce que tu vas dire, je te la paie s'il faut mais tu prends cette robe !

Finalement, j'ai pris quelques autres robes que j'avais déjà rejetées et de nouvelles que Hely m'a ramenées.

***

  Après avoir vidé nos porte-monnaies, les garçons nous ont ramenées au chalet et sont tout de suite repartis en nous laissant les courses. D'après Nesta ils vont chez Gorka. Sachant qu'il y a Zakia chez lui, je crains le pire... mais je suis sûre qu'il ne se passera rien de grave. Il est dix-neuf heure, nous rangeons les courses et le ventre de Hely grogne. Nous décidons de nous préparer à manger sachant que nous n'avons rien avalé de la journée, excepté notre petit déjeuner et une barre de céréales dans le bus.

 Il est presque vingt heure, Heinesy sort une bière du frigo et Hely la harcèle pour faire un jeu. Nesta est dans le canapé à envoyer des textos. Je la rejoins.

- Tout va bien ?

- Oui, Ekin vient de me dire que Zakia les harcelait lui et Learth, du coup Learth l'a enfermé dans la salle de bain. Gorka l'a même remercié.

- C'est un vrai phénomène cette fille.

- C'est sûr ! Mais au moins je sais qu'elle ne peut plus me faire de mal.

Elle me sourit et verrouille son téléphone. Hely vient devant nous, toute excitée.

- C'est à quelle heure la fête ?

- Ça commence demain. Ce soir on fait les mémés à boire du thé devant la télé.

- J'ai une meilleure idée, on peut faire un défilé avec les fringues qu'on vient d'acheter ! Les garçons sont pas là avant des heures, c'est l'occasion !

- Tu as de ces idées farfelues Hely ! dis-je amusée.

- Ça peut être marrant, c'est mieux que ma soirée mémé. dit Nesta.

- Je suis partante à une condition ! On picole jusqu'à s'écrouler ! dit Heinesy.

- Peut être pas jusque là pour moi. je précise.

- Comme tu veux, mais c'est plus rigolo avec de l'alcool. affirme-t-elle.

  Après avoir descendu tous nos vêtements et une séance de maquillage de Hely, Nesta a mis la musique à fond et Heinesy a ouvert quelques bouteilles d'alcool que les garçons ont achetées. J'ai commencé à boire quelques verres, sans joie selon les goûts, et avec beaucoup de plaisir pour les cocktails de Heinesy. C'est tellement bon, on ne sent même pas le goût de l'alcool !

  Nesta a mis une playlist de musiques qui bougent. Je commence à boire de plus en plus sans m'en rendre compte. On s'amuse à échanger nos vêtements, hilares et à moitié soûles. Heinesy allume même une cigarette à l'intérieur. Hely lui prend pour tirer dessus alors qu'on est assise par terre dans le salon.

- C'est un peu dégueu, mais j'ai goûté pire !

- Genre quoi ?

- Genre... la bite d'un mec qui s'était pas lavé depuis plusieurs jours !

On rigole comme des hystériques, c'est vraiment sale ! Hely me tend la cigarette que je prends sans réfléchir. J'inspire une grande bouffée et me mets à tousser.

- C'est vraiment dégueulasse ! J'ai l'impression de respirer dans un barbecue !

- Ça passe mieux avec la bière. me dit Heinesy en m'en tendant une.

Je la prends et la finis en quelques gorgées. J'ai une descente incroyable ce soir ! Nesta prend la vodka et boit à la bouteille, Heinesy pousse la bouteille qui se vide sur elle. Nesta se met à crier et vide le reste de la bouteille sur Heinesy.

- T'es folle ! Ça brûle !

- Je sais !

Elle se mettent à rire. Hely leur reprend la bouteille avant qu'elle soit vide.

- Venez on fait un jeu d'alcool ! Genre action ou shoot !

- Graaaaave ! Si faut boire moi je veux ! dit Heinesy.

Hely prend une bouteille de bière vide et la fait tourner au milieu. Elle s'arrête devant Nesta.

- Action ou shoot ?

Nesta prend la bouteille de vodka et boit plusieurs gorgées.

- Je suis pas encore assez cuite pour faire des actions.

Elle fait tourner la bouteille qui s'arrête sur moi. Je prends la bouteille de vodka et bois avant qu'elle me pose la question. Moi non plus je suis pas assez soûle.

  Après une demi-douzaine de shoot, je crois que je suis soûle maintenant. Nesta fait tourner la bouteille qui s'arrête sur Heinesy.

- Une action pour moi !

- Tu vas pisser dans la baignoire, debout comme un mec !

- Ok !

Elle se lève et tombe presque avant d'atteindre la salle de bain où elle soulève la robe qu'elle porte pour uriner, les pieds en équilibre sur le rebord de la baignoire.

- Trop cool ! Moi aussi je veux pisser comme un mec !

Hely se lève et va faire comme Heinesy. Nesta et moi on arrive pas à s'arrêter de rire. J'ai mal au ventre. Heinesy revient et fait tourner la bouteille, ça tombe sur moi.

- Action !

- Ok, fait un slow avec Nesta !

Je me lève et Nesta aussi. Elle change la chanson et on joint nos mains pour danser comme dans les films romantiques. Nesta met sa main dans mon dos et la descend à mes fesses comme dans les films drôles. On se met toutes à rire. Heinesy met une chanson qui bouge et allume une cigarette.

 On se met toute à danser et Hely ramène une bière pour chacune. Hely prend la cigarette de Heinesy et tire dessus avant de la faire passer. Je danse collée à Nesta, on est hilare et je tire sur la cigarette en prenant plusieurs gorgées de bière. Heinesy a raison, ça passe mieux avec la bière.

 Alors qu'on faisait la fête avec pour seul éclairage la cuisine, la lumière du salon s'allume. Nesta va dans les bras de Heinesy et Hely devient ma cavalière de danse. On continue de danser quelques secondes quand la musique s'arrête. Hely se retourne.

- C'est qui qui fout en l'air l'ambiance !?

- On peut pas laisser les nanas seules plus d'une heure qu'elles foutent le bordel. dit Learth.

Nesta se tourne vers la chaîne hi-fi et voit Ekin.

- Mon amour ! Tu m'as manqué ! Je t'aime tellement mon cœur !

Elle tombe dans ses bras et blotti son visage dans son cou. Il lui caresse les cheveux et la porte dans ses bras.

- Toi t'es à point pour dormir.

- Je dois me laver, Heine elle a mis plein de vodka sur ma robe, ça pique trop !

- C'est cool de savoir qu'on achète de l'alcool pour des ivrognes qui boivent sans nous. dit Learth.

Hely va vers Learth et tombe avant de l'atteindre, puis se met à ronfler. Il se met à rire en la voyant à ses pieds. Heinesy est la mieux entretenue d'entre nous. Elle fait un signe de la main aux garçons et monte les escaliers.

 Moi je vais dans le canapé, je me sens pas de monter les escaliers. Je suis fatiguée d'un coup. Je me recroqueville dans le sofa en cuir. Je sens des mains passer sous moi et me soulever.

- Mano, tu t'occupes de Hely, moi je me charge de Numidia.

- T'es aux petits soins avec elle, dis-moi. dit Ekin.

- C'est sa première biture, gros. Je préfère autant qu'elle en garde pas un mauvais souvenir.

Il marche jusqu'à la cuisine et m'assoit sur une chaise. Je fond littéralement sur la table. Il s'éloigne et revient avec un verre d'eau. Je fais non de la tête.

- Si tu bois maintenant ce sera moins dur demain. Ça va te faire du bien.

Je prends le verre et le bois difficilement. J'ai l'impression que ça va me faire vomir. Il me rince le visage avec un torchon mouillé et me reprend dans ses bras. Il monte les escaliers et va dans ma chambre. Il me met dans le lit double et remonte la couverture sur moi.

- Essaie d'enlever tes fringues avant de t'endormir.

Puis il sort. Je m'endors dans la seconde.

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