Chapitre XII

22 minutes de lecture

 Il y a des moments dans la vie où tout se retourne contre nous : le passé, le présent et même le futur. Le passé m'est revenu en plein visage à cette époque, le présent était à la fois doux et amer et le futur était sombre, voire inexistant pour ma part. Mais quand les trois s'emmêlent, c'est pire que tout, un vrai cauchemar éveillé.

***

  Cette année, les vacances de la Toussaint tombent un mercredi soir et les cours reprennent le jeudi en huit, nous avons donc quatorze jours de vacances. Nous en sommes aujourd'hui à moins d'une semaine des vacances, j'ai parlé de mon escapade avec mes amis à mon père il y a une dizaine de jours, et pour l'instant je n'ai toujours pas son feu vert. Je commence à perdre espoir. Et puis je passe toujours le premier novembre avec ma famille, sans exception. J'aurais bien joué la carte du cancer avec ma mère, mais elle est capable de me dire que, justement, il n'est pas correcte pour une jeune fille malade et mineure de vagabonder loin du foyer familial. Ma seule chance actuellement c'est que ma mère reçoive un message divin lui ordonnant de me laisser y aller ou qu'elle tombe dans un coma de deux semaines. Mais mes deux options tiennent du miracle, et les miracles n'ont pas pour habitude de venir frapper à ma porte.

 Nous sommes vendredi matin et tout le monde attend ma réponse, je suis moi-même désespérée. Je vais à la cafétéria avec Nesta où nous retrouvons Hely et Heinesy. Lorsque nous nous asseyons, elles me fixent. Je lève la tête et hausse les épaule. Hely s'impatiente.

- Mais c'est pas vrai ! C'est quoi le problème de tes parents !

- Oh, mon père ça va, il fait tout ce qu'il peut pour me laisser partir, le vrai problème c'est ma mère. Je ne sais pas pourquoi elle fait tout pour m'enfermer. Déjà avant mes résultats à l'hôpital elle voulait me retirer de l'internat parce que « vous êtes des racailles et que vous avez une mauvaise influence sur moi ». Du coup j'ai peur qu'elle ne revienne sur cette idée si j'insiste trop.

- Quelle idée débile ! Franchement, on a pas l'air de racailles, sauf Heine peut être ! continue Hely.

- Je serais bien allée voir ta mère pour essayer de trouver un compromis, mais je pense pas que ça servirait à quelque chose. dit Nesta.

- Non, sinon elle va croire que tout le monde se ligue contre elle et ça va renforcer son envie de m'enfermer. En plus je dois aider une voisine à chaque vacances, elle est trop vieille pour s'occuper de sa maison et elle a besoin qu'on lui fasse des soins. Elle me donne un peu d'argent dans le dos de ma mère, mais je ne suis pas sûre que gâcher mes vacances pour trois euros la journée vaille le coup.

- Les boules... renchérit Heinesy.

- Je rentre ce soir de toute façon, je vais parler à mon père et je tenterais quelque chose, je préfère essayer quand même.

  Nous allons en cours d'anglais où nous retrouvons Learth. Lui aussi me demande chaque jour si je viens ou non, j'ai presque l'impression qu'il serait déçu de mon absence. Il nous dit bonjour, et le sujet vient directement sur le tapis.

- Alors, toujours rien ?

- Rien du tout. J'ai l'impression qu'elle attend la dernière minute pour me retirer le peu d'espoir et de plaisir que j'ai.

- Putain, ta mère est vraiment...

- Imbuvable. finit Nesta.

- Les vieilles cruches coincées du cul et autoritaire, je peux pas blairer.

- Je suis d'accord avec toi. Mais ça sert à rien de cracher sur elle, elle nous connaît même pas.

- Mais c'est très satisfaisant. Je me demande comment elle réagirait si je lui balançais ma façon de penser à la gueule.

Nesta se tourne vers moi.

- Toi, je t'envoie les coordonnées par texto ce soir, au moins si tu peux venir même en retard ça pourra le faire.

Je me contente de hocher la tête. J'espère vraiment que ça pourra le faire. Si Dieu est charitable, faites qu'il ait un minimum de compassion en voyant mon cas !

***

  Lorsque je rentre dans la maison, après trente minutes de train, je ne vois personne. Mon père n'est peut être pas rentré, mais ma mère est sensée être à la maison à cette heure-ci. C'est étrange. Je monte mes affaires dans ma chambre et commence à les ranger. Je prends mon linge sale et le mets dans la machine. Je descends dans la cuisine, le four est allumé, un poulet à l'intérieur. Elle est peut être sortie faire quelques courses.

 Je mets un pull en laine et sors de la maison. Je fais le tour du quartier, je ne fais que marcher. Il n'est pas encore dix-huit heure et le soleil est encore présent pour une heure ou deux. Il fait froid pour la saison. Je vais dans le jardin public qui est vide aujourd'hui. Je me dirige vers les balançoires et m'y assois. Je ferme les yeux, un vent faible vient glisser sur mon visage et mes cheveux s'envolent. Je respire longuement. J'aime ce silence, quand je rentrerais je devrais me battre contre ma mère, je n'aurais pas d'autre moment de calme avant un bon bout de temps.

 D'un coup, je reçois une pierre sur la jambe droite. Je regarde d'où elle vient : ce sont des garçons de mon âge, j'étais au collège avec eux, ma mère m'a mise dans un lycée privé où personne ne me connaissait à cause de ce genre d'individu. Je me faisais frapper et voler chaque jour, et quand mes parents en ont parlé au directeur, il a proposé de me changer d'école. Évidemment, au lieu de s'occuper de la source du problème, éloignons ceux qui en sont victime. Le monde est injuste.

- Hey, l'ampoule ! Qu'est-ce que tu fous là ?

Je hais ce surnom. Oui j'étais la meilleure de la classe, pourquoi me maltraiter pour une chose pareille ? Je n'avais aucun ami pour me défendre, ma mère me disait de n'avoir confiance en personne, que les amis finissent par nous utiliser, nous trahir, nous décevoir. Merci maman, aujourd'hui je suis détestée par la majorité des gens de mon âge dans cette satanée ville. Les garçons s'approchent de moi, ils sont quatre. Je ne me souviens pas de leur nom, je me souviens juste des sévices qu'ils m'ont fait subir. L'un se met devant moi et attrape mon menton pour que je le regarde.

- Mazette, t'es devenue mignonne. Dommage que tu ais l'air aussi conne qu'avant. Je t'aurais laissé bouffer ma bite !

Ils se mettent tous à rire. Je repousse sa main de mon visage et me lève pour partir.

- Hé ! Je t'ai pas autorisé à te lever !

Je me retourne sans réfléchir et ramasse une pierre pour lui jeter au visage.

- Vas te faire foutre Graygor !

Ça y est, je me souviens de son nom. Alors qu'il se tient l'œil, les autres commencent à me courir après.

 Je vais aussi vite que je le peux. Des images de mes années de collège me reviennent, la seule différence c'est que je n'aurais jamais osé m'attaquer à eux. Ils me courraient après parce que j'étais la fille la plus inoffensive de l'école et qu'ils leur fallaient bien une victime. Je vais à toute vitesse, je tourne dans ma rue, et alors que je suis à quelques patés de maisons, je trébuche sur une pierre. Je tombe la tête en avant, pour seul amorti mes bras. Je sens une main agripper mes cheveux et me soulever. Je ne cri pas, j'en ai assez de faire ce à quoi on s'attend. J'en ai assez d'être une pauvre petite poupée de chiffon que l'on manipule à sa guise. Je n'ai peut être pas le contrôle sur ma vie, mais je peux au moins contrôler mes réactions et mes décisions. Graygor me gifle violemment. Il me lève et me jette contre le sol. Je serre les dents. Il me relève.

- Tu te rebelles maintenant ? T'as cru que tu pouvais faire comme tu voulais dans ta vie ? T'oublies un truc : c'est ma ville et j'y fais c'que j'veux. T'as compris, salope !?

Je me contente de le regarder sans rien dire. Voir son œil boursouflé me fait sourire. Et dire qu'il y a encore trois ans c'est moi qui avait cette tête. Il me gifle encore.

- Ça te fait marrer d'te foutre de moi ?

Je hoche la tête en souriant. Peu importe ce qu'il va me faire, ça en valait le coup.

- Je vais de défoncer le cul grosse pute !

Il a un vocabulaire si riche que j'en ris. Il me lâche et commence à me mettre des coups de pied dans le ventre, il fait plus mal qu'avant. Je serre les dents, il est hors de question que je lui montre que j'ai mal. Un autre vient vers moi et me crache au visage. Les deux autres me tiennent alors que Graygor enlève sa ceinture. Non... il ne va par faire ça, par ici, en pleine rue. Je commence à me débattre. L'un des trois me frappe pour que j'arrête de bouger, alors je hurle aussi fort que je le peux. Graygor me frappe pour me faire taire, mais j'ai pris assez de coups pour supporter bien plus que ça. Je hurle encore, sans m'arrêter.

 L'un d'eux est tiré en arrière accompagné d'un son de grognement, le deuxième voit son ami au sol et part en courant. Ils ne sont plus que deux alors que j'entends quelqu'un racler sa gorge. Graygor et le dernier garçon lèvent la tête. Graygor se prend une branche dans le visage et l'autre reçoit un coup de pied au menton. Je vois des jambes passer à coté de moi.

- Putain, je vous jure, si j'avais un casier vierge je vous défoncerais la gueule !

Mon sauveur prend Graygor par le col.

- La prochaine fois que tu touches à ma cousine, je demande à mon chien de bouffer ta petite bite de lémurien. Maintenant retourne chez ta mère !

Un museau de chien vient renifler mon visage avant de le lécher. Je me relève et reste perplexe en voyant ce chien.

- Grougy ?

Le chien couine de joie et me saute dessus. Je vois son maître me tendre sa main.

- J'avais oublié que ce bled était rempli de cons.

- Lokian !

Je prends la main de mon cousin puis le serre dans mes bras. J'en ai les larmes aux yeux. Il est tellement grand que lorsque je blottis ma tête contre lui j'atteins à peine son torse. J'ai l'impression qu'il a encore grandit. Il recule pour me regarder. Il rit doucement.

- Je sais que tu m'adores, mais t'en as les larmes aux yeux.

- Tu es arrivé juste à temps. Je n'aurais pas dû sortir.

Il me caresse les cheveux et me serre contre lui.

- Viens, on rentre.

- Tu restes ?

- Ton père m'a appelé, il m'a dit que tu étais malade. D'ailleurs je sais pas comment il a fait pour me contacter, mon père m'a viré de la maison alors j'ai quitté le pays. Je voulais voyager. Mais quand il m'a appelé, j'ai tout de suite pris l'avion.

Je me serre contre lui et nous marchons vers la maison.

  À peine après avoir ouvert la porte, ma mère me saute dessus en me hurlant de ne plus jamais sortir sans sa permission. Et quand elle a vu Lokian, surtout dans sa tenue – on remarque sans difficulté qu'il est resté dans la rue un certain temps –, elle a demandé des explications. Et comme toujours ils se sont disputés. Lokian est le neveu de mon père, il n'a donc aucun lien de parenté avec ma mère. À chaque fois qu'il vient, il me dit « Désolé que tu ais un coté de la famille aussi con ». Il ne supporte pas ma mère. Par contre, sa présence fut une réelle et bonne surprise. Nous ne l'avions pas vu depuis plus de deux ans alors oui, c'est agréable de le revoir.

 À l'heure du repas, Lokian s'est mit à nous raconter ses dix-huit mois « d'exil ». Il a d'abord visité la plupart des pays d'Europe : le Royaume Uni, l'Écosse, l'Irlande puis il a prit un bateau pour l'Islande avant de revenir sur le continent et d'aller dans les pays du nord. Il a visité la Laponie, la Finlande, les Pays-Bas. Il n'est pas allé plus au Sud avant un long moment. Il est aussi allé en Asie voir quelques pays jusqu'au Japon. Il comptait aller aux États-Unis mais mon père l'a appelé à ce moment là.

- D'ailleurs, comment t'as fait pour me retrouver ?

- J'ai demandé à mes meilleurs informaticiens à mon travail. Il ont suivit tes coordonnées bancaires et ils m'ont donnés un moyen de te joindre.

- Effectivement, tes employés n'ont que ça à faire. Pourquoi se fatiguer à faire leur travail et gagner de l'argent pour l'entreprise quand on peut aller à la chercher d'un SDF qui préfère faire le tour du monde plutôt que faire quelque chose de sa vie. dit ma mère d'un ton sarcastique.

Le silence retombe. Lokian était en train de me faire voyager, mais elle a tout gâché, comme toujours. Le moment est peut être mal choisi, mais je me lance. Qui ne tente rien n'a rien.

- En parlant de voyage... J'ai ma colocataire qui a un chalet dans les montagnes. Elle m'a proposé de venir pour les vacances de Toussaint. Donc je me disais...

- Pardon ?

La façon dont ce mot sort de la bouche de ma mère laisse penser qu'elle vient d'entendre une blague, ou une insulte. Je continue de la regarder et hausse les épaules.

- Je ne suis jamais partie en vacances... et encore moins avec des amis... alors je...

- Non, c'est non. Catégoriquement non.

- Mais pourquoi ?

- Il n'y a pas de mais. La discutions est close.

- J'aimerais juste savoir pourquoi je n'ai aucune liberté.

Elle pose violemment ses couverts sur la table, faisant cliqueter des plats et les assiettes sur la table.

- Tu oses dire que je ne te laisse aucune liberté. Je t'ai inscrite à l'internat, et bien que tu sois une enfant irrespectueuse et têtue je t'y ai laissé, par charité. Et aujourd'hui tu oses me dire que tu n'as aucune liberté ?

- Je ne vois pas où j'ai été irrespectueuse. Et oui, je maintiens ce que j'ai dis : je n'ai que très peu de liberté comparé à la plupart des gens. Et je trouve cela injuste. Je mérite beaucoup plus que la majorité des gens qui eux ont tout ce qu'ils veulent. Je ne fais que demander deux semaines de répit.

- Deux semaines ? À quoi pensais-tu lorsque tu t'es imaginé que je cautionnerais une chose pareille !?

- Deux semaines sur une espérance de vie qui ne dépasse pas la vingtaine, je trouve ça plutôt normal que n'importe quelle personne sensée les réclame !

Je finis ma phrase presque en criant. Ma mère arbore son fameux regard meurtrier. Mais je n'ai plus peur, j'en ai assez. Elle inspire bruyamment et ferme les yeux.

- Dans ta chambre, tout de suite.

- Non, je ne vais nulle part ! Je n'ai jamais rien demandé à part l'internat, aujourd'hui j'apprends que je vais mourir avant d'entrer dans le monde du travail, le monde des adultes ! J'ai eu une enfance horrible et une vie minable au nom d'un Dieu qui a eu la bonté de me tuer prématurément !

- Ne parle pas du Seigneur de cette façon Numidia !

- Je n'ai jamais eu d'amis, aujourd'hui j'ai faillie me faire violer par des garçons qui me tabassaient au collège ! Je n'ai jamais demandé à venir au monde ! Alors si c'est pour vivre encore même pas une décennie de cette façon, je préfère mourir ce soir !

Mes mots coupent le souffle de tout le monde à table. Je me lève sans débarrasser ma table et sors sans rien dire.

 Il fait nuit, le vent s'est intensifié et l'air s'est refroidi. Je marche jusque sur le trottoir où Grougy est roulé en boule et m'assoie. Ma mère ne veut pas de « bête puante » dans sa maison si belle et si bien entretenue. Je hais cette maison. Ma poche vibre, je sors mon téléphone. J'ai un message de Nesta, elle m'a envoyé les coordonnées de son chalet. Mais je pense avoir grillé toutes mes chances maintenant. Grougy se lève pour se coller à moi. J'ai envie de pleurer, mais je n'y arrive pas. Je sens une main se poser sur mon épaule. Lokian vient s'asseoir à coté de moi et gratte la tête de Grougy.

- C'est bien ce que tu as fait. Tu lui as tenu tête jusqu'au bout. Je pensais pas vivre assez longtemps pour voir ça.

Il me sourit en disant sa dernière phrase. Je lui rends son sourire. Puis je hausse les épaules.

- C'est vrai que c'est génial, je voulais passer les vacances avec mes amis et au final je vais sûrement être séquestrer dans ma chambre jusqu'à ma mort prochaine. Enfin, au moins je me suis fait entendre, c'est déjà ça.

- Au moins maintenant elle a une petite idée de la haine que tout le monde a pour elle.

Je lui souris et me mets à pleurer. Il me prend dans ses bras. Grougy s'affale sur nous en poussant un grognement de satisfaction.

- Grougy, t'es un boulet, comme si t'étais pas assez gros comme ça. Déjà que tu m'as coûté une blinde dans l'avion.

Grougy est un gros chien aux énormes babines, il bave tout le temps. Mais il est trop beau avec ses grands yeux et ses oreilles tombantes sur sa grosse tête. Les gens pensent que c'est un chien dangereux parce qu'il a des airs de pitbull, mais c'est un très gros nounours. Il n'attaque que s'il sent le danger. Il n'a que quatre ans, c'est la troisième ou quatrième fois que je le vois, mais il est toujours très câlin avec moi.

 Je lui gratte le museau alors qu'il s'endort sur moi. Lokian me tient toujours dans ses bras, je me sens bien. Je ferme les yeux.

- Je t'y amènerais moi au chalet de ta copine.

J'ouvre d'un coup les yeux et le regarde.

- Tu es sérieux ?

- Tu plaisantes ? Comment je peux te laisser toutes les vacances avec cette grognasse tarée et cruelle ? Elle t'as volé ta vie, Numidia. Je te promets que, tant que je serais là, je la laisserais plus te faire du mal.

Je le prends dans mes bras et me blottis dans son cou.

- Merci ! Merci ! Merci ! Merci ! Merci !

Je me remets à pleurer, mais de joie cette fois-ci. Il rit dans sa barbe.

- Rhalala, t'es toujours aussi sensible toi. Tu seras la seule à me manquer, tu sais.

Puis il embrasse ma joue. Heureusement qu'il est là. J'ai l'impression de rêver.

***

  Nous sommes dimanche soir. Aujourd'hui je n'ai pas parlé au Pasteur Daniel, je n'en avais pas envie. Et puis, qu'aurais-je pu lui dire ? Que j'ai sali le nom de Dieu ? Que je comptais partir en virée avec des amis dans le dos de ma mère ? Non, je n'avais rien à dire. Alors je me suis tue. Mon père a insisté pour que j'aille au confessionnal et ma mère ne m'a pas adressé la parole depuis vendredi soir. Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'elle ne m'ait pas puni. Mais c'est sûr qu'à mon retour des vacances, j'aurai la punition de ma vie... j'espère au moins que ça en vaudra le coup.

 Alors que je fais mon sac pour les trois jours que je vais passer en cours et ma valise pour le chalet, on toque à ma porte. Lokian entre doucement, une main devant les yeux.

- Je peux entrer, t'es pas à poil ?

Je m'approche pour retirer sa main et lui souris. Puis je retourne vers mon sac. Il ferme la porte derrière moi. Il vient s'asseoir sur mon lit et regarde ma valise ouverte.

- Si j'étais toi, j'éviterai d'être trop en avance.

- Pourquoi ?

- Si ta mère voit qu'il te manque trop d'affaires elle va comprendre que tu comptes filer en douce. Je sais de quoi je parle, c'est comme ça que la mienne me grillait quand j'étais ado.

- Tu es toujours ado, tu vas sur tes vingt-quatre ans. Techniquement l'adolescence s'arrête entre vingt-quatre et vingt-cinq ans chez les hommes, dix-neuf pour les femmes.

- Ça va, je suis ''jeune adulte'', ça te convient ?

Je lui souris et continue mon sac.

- Tu veux dire que je devrais plutôt laisser mes affaires ici, revenir mercredi soir et partir dans la nuit, comme toi ? Je ne risque pas de me faire prisonnière de cette façon ?

- Au pire, réuni toutes tes affaires dans un tiroir et je les mettrais dans ta valise avant de te les amener mercredi soir.

- D'ailleurs, comment tu vas m'y amener ?

- Je peux pas dire, sinon tu vas me gronder. Je compte faire un truc que tu vas désapprouver alors autant ne pas savoir tout de suite. Disons que c'est une surprise.

- Une surprise, hein ? Généralement je regrette tes surprises... à mes trois ans tu m'as offert une grenouille morte alors...

- Hé oh, j'avais neuf ans, alors juge pas !

Nous nous mettons à rire. Ça a vraiment été le pire cadeau que l'on m'ait fait, mais aussi le plus drôle. J'aimerais vraiment présenter Lokian à Nesta, et aux autres aussi. Je suis sûre qu'il pourrais s'intégrer plus rapidement que moi ; tout le monde aime Lokian.

 Il a tellement changé, physiquement. Il est beaucoup plus mince et costaud qu'avant, les cheveux relativement longs, une barbe en vrac et épaisse. Il a de gros cernes, il doit être épuisé à force de voyager, sachant qu'il ne trouve pas toujours un toit pour la nuit.

 Je ferme mon sac et sors toutes les affaires je j'avais mis dans ma valise pour les réunir sur mon bureau. Lokian se penche dessus avec un petit sourire. Son regard est pesant, je finis par me tourner vers lui, le fixant à mon tour.

- Pourquoi tu me regardes ?

- Parce que tu m'as manqué.

- La vraie raison.

- C'est vrai, tu m'as manqué !

- Je n'en doute pas, mais tu me l'aurais dis tout de suite, là tu as l'air d'avoir une question suspendue à tes lèvres.

Il se lève, le visage vers le sol et les bras le long du corps. Il se met face à moi, prend ma main et m'offre un immense sourire aussi ridicule que contagieux comme il est le seul à faire en me regardant droit dans les yeux.

- C'est quoi son nom ?

- Pardon ?

- Alleeeer ! Tu peux me le dire à moi !

- De quoi tu parles ?

- Bah de ton mec, c'est qui ?

J'en reste coite de surprise. Il pense vraiment que je suis en couple ? Je pensais qu'il se doutais que j'étais une éternelle célibataire. Je me reprends et lui souris.

- Désolée de te décevoir, mais je n'ai personne.

- Ah, alors c'est juste un mec qui te fait craquer, c'est ça ?

- Non... Je n'ai de vue sur personne.

- Je peux pas le croire ! T'as vu la façon dont tu t'es rebellée face à la vieille l'autre soir ? Y'a forcément un mec là dessous !

- Et pourtant, il n'y a que mon envie de profiter de la vie.

- Je vois... en fait t'es même pas au courant...

- Mais au courant de quoi ?

- Tu es amoureuse qu'un gars mais tu le sais pas encore, ou alors c'est parce que c'est un pauvre con... ou peut être qu'inconsciemment tu l'aimes et que tu repousses cette idée. Ou c'est juste sexuel.

- Attends, tu me fais un cours de psychologie là ?... Comment ça, ''juste sexuel'' ?!

- Numidia, ma petite Numidia. Regarde-toi ! Je t'ai jamais vu aussi belle et souriante. Peut être que la puberté joue, mais je t'assure que tu es rayonnante, j'ai même du mal à croire que tu es mourante. Tu es magnifique !

- Arrête, on croirait entendre Nesta.

- Nesta ?

- Ma colocataire.

- Ah, d'accord, tu aimes les filles, c'est ça ?

- Ça ne va pas !

- Ok, j'ai rien dit !

Il met son doigt sur sa bouche et recule d'un pas. Je me mets à rire. Quand j'étais petite, j'étais amoureuse de lui, il était tellement beau et gentil, drôle, présent... J'ai dit à mon père que, plus tard, j'épouserai Lokian, puis il m'a expliqué que c'était impossible. Aujourd'hui je sais bien que c'est légal, mais je n'ai plus tellement envie... après tout, aussi parfait qu'il puisse être, il reste mon cousin ! Et dire que j'étais à un cheveux de connaître l'âme sœur, comme quoi Dieu aime bien la torture psychologique.

***

  Je monte les escaliers du bâtiment I à toute vitesse, mon sac à dos sur l'épaule. J'ai pris le train plus tôt que d'habitude pour être là trente minutes en avance. J'ai hâte de raconter mon week-end à Nesta. Je lui aurais bien envoyé un texto, mais je préfère lui dire de vive voix... et puis je ne suis pas encore à l'aise avec mon téléphone, même si j'ai fait de nets progrès ! Je suis devant la chambre, je mets la clef dans la serrure et ouvre la porte à toute vitesse sans prendre le temps de regarder dans la chambre.

- Nesta, j'ai une super nouv...

Je vois Ekin tomber du lit, nu, et Nesta, nue elle aussi, remonter sa couverture de sorte à se couvrir. Je fais immédiatement demi-tour pour sortir.

- Oh mon Dieu ! Pardon pardon pardon ! Je suis vraiment désolée ! Je ne savais pas que tu étais là Ekin !

Je reste dos à la porte, hors de la chambre, encore en état de choc. Seigneur, heureusement que je n'ai pas eu le temps de voir quoi que ce soit ! Je viens de les interrompre en train de... mon Dieu, je suis tellement gênée ! J'aurais dû prévenir Nesta de mon avance.

 Quelques minutes plus tard, Nesta ouvre la porte, une grimace souriante au visage mêlée à de l'hilarité.

- Euh... bonjour donc... je suis désolée que tu ais vu ça Numidia.

- Je suis moi aussi désolée d'avoir vu ça. Mais je n'ai pas vu grand chose, juste de quoi me laisser penser que vous... enfin...

- Oui. Tu peux entrer.

J'entre doucement. Je vois Ekin assis sur le lit de Nesta, en train de remettre ses chaussures. Il se relève d'un coup et me sourit, aussi gêné que moi.

- Bon, désolé Numidia.

- Ce n'est pas grave, ça peut arriver à tout le monde.

- Oui, bon... donc je m'en vais.

- Oui, va t'en. Tu en as assez fait aujourd'hui.

Ekin prend Nesta par la taille et l'embrasse avant de sortir. Quelques secondes s'écoulent dans le silence avant que je ne le brise en riant. Nesta me suit dans l'instant. Aussi gênante qu'à pu être cette scène, elle fut aussi assez drôle. Nesta s'essuie les yeux.

- Le pauvre... quand je t'ai entendu entrer je l'ai poussé hors du lit par réflexe !

Je n'arrive plus à retrouver mon calme. Je dois m'asseoir pour ne pas tomber de rire.

 Nous nous calmons enfin après plusieurs minutes de rire. Nesta met ses lunettes et me sourit.

- Je suis rentrée chez moi ce week-end, histoire d'aller chercher quelques affaires pour les vacances. Je suis rentrée il y a une heure et il a débarqué une minute après avoir reçu mon texto. Dès qu'il est entré il m'a sauté dessus en me disant « Tu m'as manqué mon cœur »... j'ai pas pu lui dire non.

Et pousse un souffle de rire et s'essuie encore les yeux sous ses lunettes. Elle laisse des bras tomber mollement sur ses genoux et me sourit.

- Du coup, tu disais quoi quand tu es entrée ?

- Je peux venir.

Elle ouvre grand ses yeux bleus et agrandit son sourire jusqu'à dévoiler ses dents.

- Sérieux... mais comment t'as fait ?

Je lui raconte l'arrivée surprise de mon cousin face à Graygor et ses larbins puis la dispute avec ma mère. Elle ferme sa bouche, ouverte depuis un moment, toujours les yeux grands ouvert et les lèvres closes mais plus étirées que jamais. Puis elle joint ses mains.

- C'est génial ! Donc il vient avec nous ?

- Quoi ? Non, enfin... je ne me suis pas permise de l'inviter sans ton accord...

- Tu aurais dû ! Comme je l'ai dit l'autre soir il y a assez de place pour toute une troupe ! Il y a largement la place pour une personne de plus ! Et puis il a l'air super cool, j'ai trop envie de le rencontrer.

Ça alors, moi qui voulais le présenter aux autres... je lui souris à mon tour et sors mon téléphone.

- J'envoie un message à mon père pour lui demander s'il veut venir.

- J'ai mieux. On comptait tous se retrouver mercredi après les cours chez Ekin, il n'a qu'à venir, au moins on saura à quoi s'attendre et il pourra donner sa réponse !

- Super idée ! J'envoie le message à mon père pour qu'il transmette.

- Il a pas de portable, ton cousin ?

- Plus maintenant, il a beaucoup voyagé alors son téléphone l'encombrait plus qu'autre chose.

- Et il voyage en plus ? Cool... je vais peut être me débarrasser de Ekin pour ton cousin finalement !

Elle se met à rire pendant que j'envoie le message à mon père. Je sens que ça va être les meilleures vacances de ma vie.

***

  À la cafétéria, nous retrouvons Heinesy et Hely qui me sautent dessus quand je leur annonce ma présence au chalet. Désormais, Hely appelle mon cousin Mon Seigneur et Heinesy l'appelle Le Sauveur. Nesta leur dit qu'il sera sûrement là mercredi et Hely me demande de décrire Lokian.

- Je ne vois pas en quoi c'est important.

- Parce que s'il est beau je l'emballe !

- Tu penses vraiment qu'aux mecs toi... dit Heinesy moqueuse.

- De toute façon tu vas forcément emballer là où on va aller. la rassure Nesta.

- Oui mais ça ne sera que pour deux semaines, alors que le cousin d'une amie je peux le voir tout le temps.

- N'en sois pas si sûre, il va peut être repartir. Il est revenu pour me voir mais il va certainement retourner en Asie ou aller directement aux États-Unis...

- Aux États-Unis !? Il est trop classe ton cousin ! hurle Hely en extase.

- L'Asie ? Tu es en train de me dire qu'il fait ce genre de voyage ? Moi je pensais plutôt au tour de la France, un truc comme ça... dit Nesta rieuse.

- J'adore ! Je me suis promis de faire un tour du monde à la fin de mes études, mais j'ai encore du taff... C'est officiel ; j'ai super hâte de le rencontrer. Ça doit être un mec super intéressant. dit Heinesy.

C'est super, avant même de le rencontrer les filles l'aime déjà. J'espère vraiment qu'il pourra être là au moins pour mercredi.

  Devant la salle d'histoire-géographie, c'est à peu près le même scénario. Learth nous voit arriver et vient vers nous. Nesta lui dit que je viens avec eux et il semble agréablement surpris. Elle commence à lui parler de mon cousin « Le Sauveur » mais je suis étrangement moins à l'aise face à Learth. Il se contente de hocher la tête de temps à autre. Quand Nesta finit de faire des louanges à mon cousin, Learth me regarde avec un faible sourire.

- En tout cas c'est cool que tu puisses venir. Et puis Nesta aurait passé les vacances à pleurer ton absence.

- Oui, et alors, je pleure qui je veux ! dit Nesta l'air boudeuse en lui tirant la langue.

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