Piastre

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Entier.
Dans l'entrelacement de leurs bras, Piastre discernait avec difficulté quelle peau était la sienne. Où commençait et où se terminait ce qui lui appartenait. Il convint après quelques secondes que cela n'importait pas, tant ils ne faisaient qu'un. Elle visait juste et droit. Rien de ce qu'il ne faisait ne l'était à moitié. Peut-être est-ce lorsque l'on tient à quelqu'un, qu'on le retient. Peut-être est-ce lorsque l'on tient à quelque chose, qu'on le prend pour cause.
Sensible.
La faute à la vie. La faute à pas de chance. La faute à Elles. La faute à tout ce qui est entré et sorti. La faute à tout ce qui est arrivé et tout ce qui ne l'est jamais. La faute à cet espoir. La faute au Piastre. C'est une quête éternelle, que celle de l'amour et de l'acceptation. Trouver sa place, s'y accrocher, la défendre. Composer sa vie, tisser des liens et les choyer. Amitié. Amour. Haine. Le vieil homme ne laisse pas de place à l'indifférence.
Impulsif.
Un excès, qu'il soit bon ou mauvais, est toujours double. Tenir si chèrement à une idée et la défendre aussi ardemment force ou impose une réaction. Ainsi, Piastre ne fait pas dans la demi-mesure. À chaque action sa réaction. À chaque choix sa conséquence emportant dans l'instant la retenue du vieil homme. L'envie, le choix, le regret parfois. Il en est ainsi de sa volonté, remisée, pour une plus ardente urgence qui se doit dès lors d'être assouvie. Vous embrasser. Vous honorer. Vous disputer. Vous rassurer.
Jaloux.
N'en faut-il pas un peu ? L'inverse de l'amour n'est point la haine aussi qu'importe la raison, si l'on aime on jalouse. Quand on tient à quelqu'un, tout devient inopportun. Quand on tient à quelque chose, tout se décompose. Si l'on la laisse s'imposer bien sur, rien ne perdure. Tout s'effrite, comme la mer berce le sable et ne laisse aucun château indemne. Un excès, qu'il soit bon ou mauvais, est toujours double. A toute jalousie se joint la tempérance. Propos mesuré, exempt d'impulsivité. Regret assuré en dépit du bon sens. Jaloux, mais point trop.
Borné.
Au sens propre ou figuré. Le vieil homme se place ses propres limites qu'il ne peut dépasser. Séparations de deux mondes qui ne peuvent entrer en collision car incapable de résonner. Le vieil homme se place ses propres œillères qu'il ne peut retirer. Précision sur une direction qui ne peut être que la bonne car impossible de se tromper. Piastre est borné c'est un fait. Ce qu'il veut il l'aura. Ce qu'il n'a pas il le voudra. A bon entendeur salut.

La blonde dans ses bras ne mâchait pas ses mots et abondait d'un verbe affûté. Elle visait juste et sonnait bien, tant et plus que le regard de l'Éclopé ne pouvait s’empêcher de se poser sur elle. Sur leurs peaux nouées, sur leurs bras collés, sur leurs mains réunies. Il contemplait sans l'ombre d'un doute, sans que ne plane une seule indécision, sa magnifique chevelure paille qu'un rai de lumière venait désormais caresser. Elle venait de faire le tour du Pi,, avouant ses bons et ses mauvais côtés sans pour autant les définir réellement ainsi. Dans sa voix, le vieil homme percevait le ton réel. Aucun de ses défauts n'en était pour elle. Un défaut le reste-t-il dès lors qu'il est accepté à sa juste valeur ? Elle enchaîna dans la foulée.

Boudeuse.
Un sourire étira la barbe grisonnante de Piastre qui ne pu qu'abonder en ce sens. Boudeuse oui mais là encore, un défaut qui n'en est plus un. Car loin d'en être désappointé, le vieil homme raffole de ces instants où, jouant de son caractère, il l'attire dans ses bras, loupe un battement de cœur à ses lèvres pincées, et rassure une Chataigne décortiquée.
Impatiente.
Tout vouloir tout de suite. Oui. Pourtant ensemble, ils cultivent la patience. Le désir de ses lèvres. Le désir de ses baisers et de ses caresses. Le besoin de ses mots, auxquels nuls maux ne résistent. Tout vouloir maintenant. Son retour à Saintes. L'officialisation de leur relation. La mise en route d'un enfant. Le mariage imminent. Le troisième et quatrième bambin. L'équipe de soule en devenir. Non. Ils patientent bien assez. Mais pour ce qui est de la pratique : elle ne supporte pas devoir attendre ne serait-ce que le soir, pour jouir de leur réunion et tout ce qui en découle. Impatiente. Tant mieux.
Possessive.
Tant mieux aussi. Elle peut. Ce qui lui appartient n'est qu'à elle. Ce qu'elle désire, elle le garde précieusement. Et quand quelque chose lui échappe, impatiente, elle boude ! Tout se complète. Que manque-t-il. Elle est sienne. Il est sien. Ils forment un nous qui n'a plus de place au vous, du joug des armes rompues, aux larmes taries des joues. Elle peut bien être possessive. Lui n'a aucune autre envie que d'être sien. Nul besoin de marchander, nul besoin de négocier car Piastre a déposé dans ses mains sa Clé.
Joviale.
Est-il besoin de le prouver ? A tout sourire son entrain. Et dans la morosité de son quotidien, le vieil homme a trouvé son refrain. Au détour du chagrin, le deuil a laissé place au matin. Nouvelle journée d'une vie retrouvée, dans le coin d'un sourire, dans l'abondance d'une humeur. Boudeuse à ses heures perdues, toutes celles retrouvées ne sont que joie et rire. Dans ses bras, dans son dos, à califourchon et à l'écrit. Bonté d'âme et deux cœurs en un.
Énergique.
Sans doute est-ce la rançon de son jeune âge. A raison d'avoir la moitié de celui de Piastre, elle ne peut qu'être ce qu'il était à l'époque. C'est d'ailleurs salvateur pour son compagnon qui use et abuse de sa jeunesse pour retrouver la sienne. Au risque de l'en épuiser, d’abîmer ses poignets et ses genoux. Énergique à l'excès, elle déborde d'enthousiasme contagieux qui s'infiltre en tout un chacun avec plus de virulence que la terraconensis. Tant mieux encore. Le vieil homme voit son couple comme une figure de balance. D'un côté la fougue de sa jeunesse et de l'autre la sagesse de son grand âge. Deux antipodes qui se tournent autour, se frôlent par leurs caresses, s'unissent d'esprit et de corps, pour ne faire qu'un. Ensemble.
Généreuse.
Comme sa poitrine. Flutain qu'elle dirait. Quand bien même le mot ne s'applique pas qu'à ses courbes, il convient de revenir quelques instants sur ce que le Très-Haut lui a offert. Loin des modèles du siècle précédant l'extinction de l'humanité, c'est une jeune femme bien vivante, au ventre lisse mais pas maigre, à la poitrine gorgée de lait, aux hanches larges et fécondes, à la croupe douce et charnue, une bouche à la cerise qui croque tout ce qui passe à portée de dents.

Entre temps, la jeune femme aux délices multiples à changer la donne, sans quitter sa proximité. Face à face, à califourchon, sans que le drap ne suive. Deux corps qui font front commun, tandis qu'un abricot hors saison vient nourrir le vieil homme. Son tour vint comme convenu plus tôt et pourtant il n'avait pas eu le temps de réfléchir. Sous le flot volubile de sa compagne, c'est un Piastre sous le charme qui l'avait écouté et câliné, qui l'avait entendu et compris. Avant de répondre, il tendit le bras pour s'emparer derrière elle d'un godet de jus de pomme. Bien que le soleil soit déjà haut et la journée entamée, ils ne boiraient pas au lit de bière. Pas pour petit déjeuner. La coupe alla droit aux lèvres du fruit à coque assoiffé pour l'étancher.

Je pensais devoir vous contredire mais point n'est besoin. Vous m'avez cerné tout autant que vous vous connaissez. Je suis un grand sensible à l'impulsivité entièrement bornée de jalousie. Néanmoins vous avez oublié une qualité et deviez me l'avouer à la fin. Vous auriez du préciser que j'ai la mémoire erratique. Gros défaut qui m'empêche de mémoriser des dates de naissances mais qui me permet de vous rappeler d'insignifiants détails. Vous êtes une généreuse et énergique boudeuse à la possessivité impatiente et joviale. Voilà pour le résumé.

Sourire aux lèvres, Piastre reposa la coupe de jus sur la table de chevet juste à côté d'une bougie morte. Lorsque sa main revint entre eux, elle gagna sa joue pour s'y agripper et tout redressé qu'il est l'embrassa avec tendresse. Un simple baiser s'il en est qui lia néanmoins leurs lèvres mais aussi leurs souffles l'espace d'un instant. Un instant éternel qui maintint en haleine les deux cœurs perturbés. Un baiser pour retrouver le goût. Un baiser pour retrouver sa texture, la pulpe de ses lippes et la chaleur de son âme.

Si je dois ajouter ma touche à l'exercice. Je dirais qu'en plus d'être tout ce que vous avez dit, je suis également grossier arrogant à la rancune douce et pragmatique. Je dirais également qu'en plus d'être tout ce que vous avez dit, vous êtes une imprudente dépensière d'une humilité lucide et loyale.

Nouveau sourire, fier de sa tournure. Elle saura à coup sur séparer les qualités des défauts, bien qu'il en manque un de chacun à droite à gauche. Davantage un ajout qu'un avis différent, ses mots sauront trouver résonance dans ce qui a déjà été dit, donnant davantage de profondeur à certains points soulevés. Comme l'est alors sa croupe de ses deux mains saisie, qui relève la fameuse et généreuse poitrine au regard de Piastre. De quoi simplement satisfaire son appétit matinal outrancier. Un simple baiser. Ou deux peut-être, bien placés.

Racontez-moi désormais votre vie en trois dates. Je veux les dates et les événements qui les concernent. Je peux au moins en deviner une.

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