20. Seth

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Ariane riait. Des éclats cristallins résonnèrent dans son esprit lancinant. La robe saumon de sa sœur disparaissait dans les couloirs et les impasses des souterrains d’Ophis. Dénudé, la main refermée sur une bouteille de rhum arrangé vide, Seth était sur les talons de son fantôme.

« Ariane, hoqueta-t-il. Où es-tu ? Où es-tu ? »

Les rats fuyaient ses cris. Il titubait, son épaule s’écorchant contre le mur rocailleux contre lequel il s’appuyait. Le pendentif de sa sœur pendait sur son torse halé où perlaient de grosses gouttes de sueur. Un goût pâteux infectait sa bouche. Ses pieds nus laissaient dans leur sillage une traînée de sang frais.

« Ariane… Je t’en supplie. »

Sa sœur ne l’attendait pas. Elle courrait dans les couloirs voûtés et humides, elle enjambait les douves d’eau stagnante. Ses dents du bonheur formaient un sourire malicieux, pervers, quand elle laissait Seth la rattraper pour mieux le distancer d’une large foulée.

« Attends… Attends-moi… Je veux partir, je te jure. Je voulais partir. Je t’en prie… J’ai menti. Pars avec… moi. »

Des doigts de feu se resserraient sur son cerveau. L’eau trouble se troubla encore. Les murs de pierre devinrent cotonneux, intangibles, distants. Seth accéléra. Sa course asymétrique se mut en ruades désarticulées.

La marque gravée dans sa paume le rongeait. La peau se flétrissait, il le sentait. Il contint un râle, un mugissement, un hurlement. Sa sœur vivait. Elle vivait et l’attendait. Quelque part. Où ? Au fond de ces catacombes. Seth pressa le pas, les dents serrées.

Que se passerait-il s’il ne la découvrait pas à temps ? Elle était malade, mourante, faible, fragile. Il devait la retrouver. Cette enflure de Julian voulait l’en empêcher, cette sotte de Gaella souhaitait lui prouver qu’elle était bien morte. Des idiots, des égoïstes, des monstres. Il la trouverait. Et il la conduirait loin d’eux et de leurs magouilles. Ils ne la méritaient pas. Lui non plus d’ailleurs mais il valait mieux qu’eux.

« Tu es la voix, je suis la tête. » Madame Vautour le répétait sans cesse. « Je suis pile, tu es face. Une même… Une même pièce. »

Il s’arrêta subitement. Ses ongles griffèrent la pierre chaude et tracèrent un cercle ; un cercle rouge, brun, noirci. Le pentacle de sa main s’embrasa ; une douleur terrible, aigüe mais qu’il ignora. Ses bras dansaient contre le mur, mimaient des ronds, des rondes, des ballets.

« Dis-moi… Où… Où tu es. Ariane. »

Sa tête heurta la pierre avec violence, tandis que ses doigts fouillèrent, comme possédés, et se refermèrent sur le pendentif d’argent. Ils le plaquèrent au centre du cercle de sang, puis se crispèrent, se tordirent et pianotèrent à même la roche dans une danse digitale que Seth ressentait jusqu’au plus profond de son échine. Les yeux fermés, il laissait ses phalanges le guider. Elles écrivaient. Quoi. Il le sentait. Il l’ignorait.

Quand il rouvrit les yeux, Seth découvrit l’inscription. Une phrase, noire, cabossée par l’irrégularité de la façade. Lisible, toutefois.

« Ils ont cru voler toutes les clés mais j’ai trouvé la dernière et j’ai quitté ce monde pernicieux. »

Seth comprit. Ils l’ont séquestrée. Ils savaient qu’elle partirait. Ariane était malheureuse, seule, sans soutien. Elle lui avait envoyé une lettre lui ordonnant de revenir et avait nié quand il était venu la trouver, dans ses appartements, un mois plus tôt.

Elle avait nié, car la vérité trop dure, la rendait trop faible. Elle avait fait mine de rejeter son frère. Une semaine plus tard, à peine, elle le suppliait de l’accompagner, de quitter Ophis à ses côtés, de regagner la réserve de séquoias qu’ils avaient arpentés, adolescents. Des larmes dévalaient ses joues, des sanglots déformaient son corps. Et pourtant, Seth ne l’avait point aidé. Il l’avait regardé, de loin, et lui avait dit.

« Non. »

Un spasme lui contracta la paupière. Non. Comme il le regrettait maintenant, ce mot de rien du tout.

Suis-moi.

Seth releva la tête. Ses yeux bondirent de l’autre côté du tunnel. Les bras écartés, Ariane lui sommait de la suivre de nouveau. Elle ne souriait plus.

Dans un renfoncement mural, une fissure baillait. Une crevasse maigrelette, assez large pour laisser passer un gamin de six ans, pas plus. Seth ne parvint à y glisser qu’un bras. Il y trouva de la poussière, de la poussière et des gravats et des toiles d’araignées…

Ainsi que du cuir. Un rectangle rigide. Un carnet ? Seth le tira vers lui. L’ouvrage lui pesait. Sa couverture reliée affichait des moulures finement tressées. Un élégant cobra décorait son centre. Un cobra et un titre.

« Dans l’ombre de moi-même. »

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