18. Seth

4 minutes de lecture

« J’ai un cadeau pour toi. »

Gaella fronça les sourcils. Sa sœur ne sursautait même plus, quand il venait la réveiller, à quatre heures du matin. Elle s’était habituée à entendre le tableau coulisser ou sentir le courant d’air. Elle se contentait d’ôter son foulard, de glisser ses sandales sous le lit et de s’asseoir sur la taie, face à lui. Les deux s’apprivoisaient, à leur façon. Seth se demandait même si sa cadette était digne de confiance, après tout.

« Qu’est-ce que c’est ? » l’interrogea-t-elle.

Seth lui envoya un élégant petit coffret, noir et poli. L’intérieur était rembourré de mousse rouge, sur laquelle trônait un…

« Pistolet ? »

Gaella examina la minuscule arme à feu.

« Colibri calibre deux, corrigea Seth. Essaie-la pour voir.

— Maintenant ?

— Elle est chargée à blanc.

— Mais, ma garde…

— Fais-moi confiance. »

Gaella hésita avant de viser Seth, le bras tremblant, et d’appuyer sur la minuscule gâchette. Il ne se passa rien, rien sinon un bruit sourd, maigrichon. Un bruit semblable à un claquement de langue.

« Silencieux, expliqua Seth. Technologie insulaire, fruit d’années de recherche menées par les Kaedredin. Il est à toi. Garde-le toujours à portée, peu importe où tu vas. Entre tes nichons s’il le faut, dans ton chignon si tu en as le courage. »

Un sourire illumina le visage fatigué de sa sœur.

« Merci, je…

— En échange, je veux que tu transmettes ceci. » Seth lui tendit une lettre scellée. « Sans le lire.

— Tu peux me faire confiance. »

Elle accepta le rouleau. Son sourire se décomposa en une moue circonspecte quand elle lut le nom de la personne à qui il était destiné. Seth dressa un sourcil.

« Je peux te faire confiance, n’est-ce pas ? »

Gaella hocha timidement la tête.

« Ce sera fait. » Sur ces mots, elle inspira profondément, se pinça le nez et remonta les manches de sa chemise de nuit. « J’ai réfléchi aux raisons qui pousseraient Père à déclarer Ariane comme morte. »

Seth pencha la tête.

« Oh, voyez-vous cela.

— J’avais beau me creuser la tête, l’ignora Gaella, je ne trouvais rien. J’ai donc fouillé partout et j’ai trouvé ceci dans les archives de Tante Sheeva. »

Elle se leva d’un bond et tira un couloir de sa commode. Seth s’empara du dossier qu’elle lui tendit.

« Un acte de vente ?

— Oui. D’une île, l’île d’Elidlid, un bout de terre à quelques kilomètres au large de Fort Kharsen. Julian l’a offert à Ariane contre un billet symbolique, pour qu’elle puisse y implanter une maison de repos. Sauf qu’entre-temps… »

Sans le bouger des mains de son frère, Gaella ouvrit le dossier et dévoila une page de journal de Qu’Oth arrachée, datée du 14 octobre 1909.

« Découverte d’importants puits de pétrole autour de l’île d’Elidlid, lut Seth. Ariane Venator refuse son exploitation.

— Père est ruiné, ajouta Gaella. Il m’a confié avoir besoin d’une grosse somme d’argent, et ce rapidement. Il entend peut-être vendre ces puits à l’Empire où à Qu’Oth, qu’en penses-tu ? »

Sa théorie se tenait. Seth s’apprêtait à argumenter quand Gaella détailla sa pensée.

« Sans compter que la moitié de son palais appartient à Ariane et que notre sœur jouissait d’une petite fortune. Père a dû penser que notre sœur avait fui pour de bon, qu’elle ne reviendrait jamais et il ne veut pas prendre le risque que ses possessions se perdent. Ariane avait fait écrire un testament il y a peu. »

Seth tendit le dossier à sa sœur qui le rangea aussitôt.

« À qui lègue-t-elle sa fortune ? demanda Seth.

— Ni à toi, ni à moi, si c’est cela la question. Elle lègue tout à son pays. Or son pays…

— C’est Julian. » L’argent d’Ariane, Seth s’en moquait. Il s’attendait tout de même à jouir d’une petite partie de ses possessions, ne serait-ce qu’en l’honneur des neuf mois qu’ils ont partagé dans le ventre d’Adalyn. Il aurait voulu voir la tête de son père si Sheeva avait lu son nom sur le testament de sa jumelle. Il aurait voulu… Cela n’arriverait pas. Inutile de se morfondre. « Hm…, grogna-t-il. Et que se passe-t-il si elle revient ? Julian doit tout lui rendre ?

— Il faudrait qu’elle revienne, déjà. » Gaella avait pris un ton défiant. « Mais, en théorie cette décision revient à la défunte. Si elle arrive à prouver son identité, bien-sûr. C’est beaucoup de démarches compliquées mais j’ai trouvé un fait divers, publié dans la gazette des Requië sur une femme qui avait usurpé l’identité de…

— Et si les procédures s’éternisent ? » coupa Seth.

Gaella démêla ses cheveux d’un geste nonchalant.

« Eh bien, c’est aux bénéficiaires du testament de prouver que la personne qui leur a légué ses possessions est bien morte. Sans quoi, l’Ordre de la Déesse les saisi, passé un délai de cinquante jours. »

Évidemment, les prêtresses avaient leur nez là-dedans.

« Il n’en perd pas une miette. »

Gaella, elle, ne s’en amusait pas. Ses yeux vitreux s’étaient perdus dans la contemplation de ses paumes.

« Tu ne crois pas que Père a fait disparaître Ariane pour son argent ? »

L’idée ne lui avait même pas traversé l’esprit. Seth la rejeta en secouant la tête.

« Si elle était prête à tout lui léguer, il lui aurait suffi de demander pour qu’elle l’aide.

— Elle n’était pas aussi altruiste que tu l’imagines. »

— Elle l’est. Seulement avec les personnes qui le méritent. »

La bouche de Gaella s’entrouvrit, ses yeux se murent en deux billes embrumées. Des tâches pourpres envahirent ses joues comme si Seth l’avait frappée. Ce dernier se leva sans s’en soucier.

« Si tu oublies de transmettre mon message, je t’égorge dans ton sommeil, petite sœur. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Romain G ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0