Seth tripotait fébrilement le bout de sa cigarette.

Il avançait parmi les tombes ombragées par les arbres asséchés et les statues de prophètes inquisiteurs. Parfois cabossées par le temps, leurs plaques anonymisées par la rouille, elles jaillissaient de la terre infertile comme des ongles de caillasse, rongés, inégaux. De temps à autres, des stèles plus lisses et élégantes apparaissaient. Sur leurs pierres tombales se devinaient des noms importants, parfois vandalisés à coups de pied par les passants. Marchands, riches notables et anciens royalistes, leur dépouilles barbarisées gisaient là, dans les décombres.

Le Cimetière de Lyndra s’étendait à perte de vue, à quelques pâtés de maisons à peine de la tour de Jade, aussi désert qu’un canyon aride de l’Est. Seul, le paria avait le loisir de s’agenouiller pour effleurer l’ivoire chaude des tombeaux de vieux amis. Il ignorait que Karyne était morte. Elle était, avec Vimily, Gadelle et Candys, l’une des quatre servantes d’Ariane. Seth n’avait vu aucune d’elles aux funérailles. Lèvres mi-closes, il prononça une prière sans dieu.

Un grand mausolée de pierre noire attira son regard en contrebas. Intrigué, Seth s’avança, ignorant sur son sillage les fontaines sans eau et les fleurs flétries par le soleil. De fines gravures ornaient la façade du bâtiment construit en colonnade. Il ne l’avait jamais vu. Sculptée au-dessus de la devanture, une déesse d’argent de trois mètres déployait ses bras ; le genre de décors qui attiraient les pilleurs, d’ordinaire. Des guirlandes de roses noires, rouges et mauves s’écoulaient des mains de la divinité reluisante. Seth en cueillit une. Il la défeuilla lentement. C’étaient de vraies fleurs, changées régulièrement sans quoi le soleil aurait eu raison d’elles.

Les jambes pesantes, Seth poussa la porte du mausolée et franchit le seuil. Au centre de la pièce circulaire éclairée par des vitraux multicolores, était érigée une unique pierre tombale. Des pétales encore vifs la parsemaient. Seth s’accroupit, sourcils froncés. Il commença à ôter les pétales, un par un, puis de plus en plus vite. Une fois la pierre blanche et lisse découverte, il se raidit. Son doigt parcourut les lettres d’or gravées sur la stèle.

« Pour Seth, Ariane et Geb car je les ai tués tous les trois », lit-il.

Seth plissa les yeux. Il ne connaissait pas de Geb.

Il y avait de la place pour trois là-dedans. Le nom d’Ariane y était inscrit pourtant personne ne montait la garde. Cela signifiait que son corps reposait ailleurs.

Son doigt caressa de nouveau les étranges inscriptions.

Car je les ai tués tous les trois, songea-t-il. Qui avait écrit ces mots ?

Seth se redressa. Lentement, il replaça les pétales en priant.

À peine s’était-il retourné que Seth s’arrêta aussitôt. Deux soldats à tuniques noires et pantalons verts patrouillaient, fusils en main. Les shakos d’écailles vissés sur leur crâne rappelaient le serpent noir des Venator tatoués sur leurs cous. Seth tendit son bras droit vers eux. Le Paria hésita. Il n’avait besoin que d’un souhait pour se débarrasser de ces hommes.

Ils s’approchaient dangereusement, à l’affût du moindre bruit. Seth gardait le bras levé. Il ignorait tous de ces soldats, de leurs vies. C’étaient sans doute des malfrats sanguinaires qui avaient rejoint l’armée pour se défouler. Ou alors, il s’agissait de pères de famille, veufs et désespérés, qui n’avaient pas trouvé mieux pour nourrir leurs deux enfants. Peut-être, s’agissait-il d’un couple ou de deux frères.

Seth serra le poing et abaissa le bras, avec une lente inspiration. D’un geste, il tira la porte du mausolée et attendit à l’intérieur, quelques instants. Les bruits de pas s’éloignaient.

Seth regretta, tout à coup. Il aurait dû les massacrer.