5. Seth

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Seth fredonnait.

Depuis la cérémonie, l’air que sa sœur avait écrit pour lui raisonnait dans son esprit. Elle l’avait intitulé Libre, liberté. C’était une ode à l’indépendance, au libre-arbitre et à la différence, jointe d’une partition au piano en la majeure. Ariane chantait, lui l’accompagnait au piano ; ensemble, des nuits durant. Toute leur vie s’ils l’avaient pu, si elle ne lui avait pas été arrachée.

Elle lui manquait terriblement.

Huit ans durant, il avait arpenté les déserts, les canyons et les îles tropicales du Royaume Tricéphale de Qu’Oth, sans nouvelles de sa part. Jusqu’au jour où, trois semaines plus tôt, il avait reçu une lettre cachetée. Le sceau, l’écriture, l’effluve d’Ariane. Une phrase.

« Retrouve-moi. Rejoins-moi. J’ai besoin de te revoir. »

Il s’était aussitôt mis en route. Il l’avait vue. Deux fois. Puis, elle était morte, après des mois de souffrance, d’hallucinations et de délires, disait-on. Malade, comme lui on le disait malade.

Quand ils ôtèrent le sac autour de sa tête, Seth prit un moment pour recouvrer la vision. Une brute plus épaisse qu’un tronc lui avait assené un violent coup sur la tempe, dès que les pions l’avaient conduit dans les souterrains de la tour, loin des regards indiscrets.

Ils se trouvaient dans une antichambre impersonnelle, aux murs de pierre gris, au sol gris, au plafond gris, éclairée par un vieux chandelier guère plus coloré. Seule une chaise, au centre, meublait la pièce. Une chaise et une table striée d’ustensiles que Seth ne distinguait pas. Il était menotté et son père se tenait devant lui. Le Cobra Borgne ne lui avait pas adressé un mot depuis leurs retrouvailles et, là, il lui tournait le dos.

« Sortez, ordonna-t-il de sa voix calme et rauque.

— Tu es sûr, mon frère ? »

Sa tante n’avait pas changé. Grande, svelte et élancée, Maria-Luisa gardait la même prestance féline et le même visage calciné et tatoué. Ses yeux luisaient comme deux émeraudes bridées lorsqu’elle dévisagea Seth avec dégout. S’il n’était pas bâillonné, il lui aurait volontiers craché au visage.

« Je suis sûr, Luisa. Renforce les patrouilles, bloque les issues. Procédure critique, alerte rouge, tu sais ce que tu as à faire. »

Elle hocha la tête et invita ses sbires à la suivre.

« Je savais que ça arriverait », grommela Julian.

Il ouvrit une sorte de coffre, contempla son contenu et le repoussa. Puis, il se retourna, la main sur le pistolet à sa ceinture. Son œil valide scruta le visage de son fils, impassible. Seth refusait de tomber dans son piège, de se soumettre, de pleurer comme il l’avait fait pendant son procès quand sa famille avait refusé de lui dire pourquoi il était jugé ; quand Adalyn s’était insurgée ; quand Maria-Luisa avait proposé de l’exécuter, ou du moins de le jeter dans le quartier Syralzar avec la racaille et quand Julian, l’homme qu’il tenait en si haute estime, n’avait pas contredit. Pire, quand il s’était tu. Un silence glaçant, lourd de sens. Seth aurait préféré qu’il approuve et assume.

« L’exil », avait finalement proposé Sheeva. Sheeva la bonne poire qui trouvait tous les compromis. Là, Julian avait acquiescé. « Qu’il meure, oui, mais loin de moi. », Seth avait-il interprété.

La dernière once de respect qu’il avait pour son père était morte avec ce qu’il avait vu, lors de cette cérémonie d’aujourd’hui. Si bien que le voir maintenant, avec le même mépris blasé dans le regard que huit ans plus tôt, ne provoquait plus rien chez son fils. Rien sinon une vive envie de le passer à tabac.

Julian s’approcha, Seth recula la tête.

« Arrête de bouger, crétin. »

Il arracha son bâillon.

Seth songea à mordre, il songea à lui donner un coup de tête, à lui crever son deuxième œil même. Pas pour fuir, pour l’humilier, comme lui avait souffert. Il se retint et garda le silence.

« Ils t’ont coupé la langue à Qu’Oth ? » se moqua Julian.

Julian attendit, un long moment.

« Des informateurs à tes trousses me tenaient au courant de tes moindres faits et gestes. Ce qu’ils m’ont raconté m’avait contenté… au début. Apparemment, tu avais ta ferme, dans le Canyon d’Ava. Tu cultivais des avocats, tu baisais, tu marchandais, ainsi va la vie. »

Il s’éclaircit la gorge.

« Puis, on a commencé à me dire que tu te la jouais aventurier, pilleur de tombes et chasseur de sorcières. On m’a aussi confié que tu fricotais avec des Kaedredin et t’en étais mis d’autres à dos. Après, j’ai perdu ta trace. Je t’ai cru mort. Manifestement, tu vas bien. C’est pour = fuir le courroux de ceux que tu as provoqués que tu es revenu ? Pour me supplier de t’accorder l’asile ?

— Vous savez pourquoi je suis là, murmura Seth avec un sourire, et ça n’a rien à voir avec les Kaedredin. »

Le front de Julian se plissa.

« Les funérailles ? Conneries. Tu ne serais jamais arrivé à Ophis à temps.

— Pour ma sœur, je suis prêt à faire des miracles. »

Julian tira une sorte de faucille rouillée de la table.

« La plupart des gens ici croient que tu es Perihite en personne. J’en ai entendu certains t’appeler l’Autre. Moi, j’ai toujours cru que tu n’étais qu’un gamin troublé. Mais maintenant, je le vois, le démon dans tes yeux. Tu n’as même pas la décence de t’excuser.

— Je suis innocent. Je n’ai rien à confesser.

— Ah oui. Tu n’as aucun remord à te pointer aux funérailles d’une pauvresse que tu as violée ? »

Seth sentit la colère l’empourprer. Il devait résister. Julian le provoquait. Au fond de lui, il n’y croyait pas non plus.

« Je n’ai violé, personne.

— Ce n’est pas ce que disent les témoins.

— La parole de votre fils ne compte pas pour vous ?

— Non. »

Le poing de Seth se crispa. La marque sur sa paume s’embrasait, lui susurrait à l’oreille des ordres et des tentations.

« Tue-le. Qu’il souffre. Qu’il meure. »

Seth haletait. Ses dents serrées crissaient les unes contre les autres. La moiteur de la pièce devint insupportable. Adossé contre le mur, le spectre d’Ariane, éthéré, comme délavé, se mit à rire.

« Il sait ce qui m’est arrivé. Mais il s’en moque. Il ne pense qu’à ton pauvre exil, petit frère. »

Derrière Julian, un bistouri lévita, lentement. Il s’orienta, la lame vers le Cobra Borgne. Son tranchant luisait, luisait, luisait…

Avant de retomber net avec un cliquetis à peine audible. Julian reposa la faucille.

« Si ça ne tenait qu’à moi, je te tuerais sur le champ. Seulement, dans sa folie, Ariane a rédigé une série de dernières volontés, parmi lesquelles, celle de te pardonner. Je ne peux pas faire cela, pas entièrement du moins. Tout comme je ne peux pas demander à mes soldats de te reconduire à la frontière. Aussi discrète l’opération soit-elle, la nouvelle s’ébruiterait sans le moindre doute. Mon favoritisme causerait le bordel. Donc, en la mémoire de ma fille, je vais te faire une faveur. Je vais te libérer et tu vas aussitôt quitter la ville par tes propres moyens. Sache que si par hasard je te retrouve, je ne montrerai aucune pitié. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Seth ricana. Le Cobra Borgne en était réduit à de misérables concessions. Il avait peur de l’infanticide.

« Pourquoi ne pas simplement avouer au monde qu’Ariane voulait me voir libre ? Ils comprendraient tous. Ils l’adoraient.

— Parce que je ne veux plus jamais te revoir. C’est à prendre ou à laisser. »

Sur ce, il se retourna. Seth, menotté, n’avait plus qu’un mot à dire.

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