De Jeanne à Marie

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Très chère Marie,

Voici trois semaines que j'attends de pouvoir t'écrire. J'espère que rien de fâcheux ne t'es arrivé depuis ta dernière lettre car, de mon côté, les avantages se cumulent. Des avantages pourquoi, vas-tu me demander. Pour certaines actions que j'ai pu faire ce dernier mois. Lesquelles, continueras-tu. Je te répondrai par ce qui suit : comme tu le sais déjà, il y a voilà trois mois, je fus engagée par Monsieur Souberbielle afin de nourrir de mon lait l'enfant qu'il m’amènerait. Je ne savais pas de qui cet enfant proviendrait, mais il devait être d'une haute naissance pour que le médecin personnel de Robespierre se charge de la requête ! Evidemment, j'ai accepté.

Il y eu cependant un petit problème : au lieu d'un enfant, ce furent deux bébés qui naquirent. Monsieur Souberbielle arriva dans une luxueuse voiture. Il en sortit en portant une sorte de petit berceau en osier dans les bras. Il marchait avec attention, très doucement (et je peux comprendre parfaitement, son chargement était très fragile). Il entra dans la maison, posa le couffin sur la table. Comme tu le sais, je suis curieuse, je m'approchai. Je ne vis qu'un amas de couvertures roses et bleues. Leur texture semblait soyeuse, c'était là assurément des tissus d'excellentes factures (raison de plus pour la théorie de l'enfant de haute naissance). Monsieur Souberbielle se pencha, souleva avec beaucoup de précautions les couvertures. Et ce fut à ce moment là que je vis les bouilles des deux nourrissons. Ils étaient encore un peu rouges (rappelle-toi, on me les a amenés juste après leur naissance) mais ils étaient déjà adorables. Des bouches fines, un léger duvet blond se dessinant déjà sur leur crâne. Monsieur Souberbielle m'annonça leur nom en me les désignant, de sorte que je puisse les reconnaître. Louis-Athanase (ce nom en l'honneur du roi, je ne sais pas quelle famille royaliste lui a donné mais ce petit devra apprendre à ne pas divulguer son nom complet), endormi au fond de sa couverture rose, me sembla plus calme que sa soeur, Sophie-Elisabeth, qui me fixait avec de ses grands yeux scrutateurs, iris curieusement assortis à sa couverture azur. Aucun des deux n'avaient encore faim, Monsieur Souberbielle se tourna alors vers moi. Il me tendit une lourde enveloppe (contenant un certain nombre de billets).

- C'est un dédomagement pour les deux enfants, précisa-t-il. Nous essaierons de trouver une seconde nourrice pour que vous n'ayez pas sous votre charge trois enfants.

Il coula un regard vers mon adorable Bénédicte qui dormait tranquillement dans un coin de la pièce.

- Vous serez certainement logées de façon temporaire, Monsieur souhaite que les enfants ne soient pas séparés, pour des aspects logiques et sécuritaires. Peut-être iriez-vous chez Monsieur ou chez moi-même, je ne le sais encore, mais vous serez prévenue dans les moindres délais.

La façon déférente dont il prononçait Monsieur me fit penser que ce dernier devait être son maître - ou du moins le père des bébés. L'un deux se mit à pleurer - Sophie-Elisabeth - et Monsieur Souberbielle s'inclina devant moi. Je me dépéchai de la cueillir dans mes bras pour la nourrir.

Pendant la semaine qui suivi, le rythme de mes journées fut pour le moins... intéressant. Trois bébés en très bas âge à allaiter, ce n'est pas une mince affaire. Heureusement, six jours après l'arrivée des nouveaux-nés, je reçus une convocation signée de la main même de Monsieur de Robespierre (imagines-tu ? Quel honneur !) afin de rejoindre une maison qui m'était assignée jusqu'au sevrage des enfants. Une voiture tirée par une très jolie jument m'y conduisit. J'étais évidemment accompagnée de Louis, Sophie et Bénédicte. Mon mari devait rester chez nous (notre maison étant plus proche de son lieu de travail) mais Rose, ma fille aînée me rejoindrait sous les deux jours. Quand nous arrivâmes, une femme à la gorge généreuse nous attendait. Elle portait un enfançon appuyé sur sa hanche et nous regardait arriver. J'appris qu'elle se nommait Pierrette et qu'elle était la nourrice chargée de me seconder. Pendant un instant, j'eus peur qu'elle ne soit de ces femmes sans parole, mais j'appris rapidement que, bien timide pourtant, elle était franche et agréable au quotidien. Dès le premier jour, nous installâmes un système d'alternance entre nous. Si, la nuit, Pierrette était de "garde" (pour reprendre un de ces termes que tu portes dans ton coeur), elle nourrissait les enfants qui se réveillaient, que ce soit Louis, Sophie, Camille (son fils) ou Bénédicte (mon ange, comme tu le sais). En retour, je me chargais de la matinée et du début de l'après-midi, puis elle de la fin de l'après-midi, et moi de la nuit. Et ainsi de suite. De cette façon, il y avait toujours au moins l'une de nous de réveillée afin de satisfaire l'appétit de nos petits.

Ainsi ont passé les quatre dernières semaines. Pierrette et moi avons formé une solide amitié mais, ne t'inquiète pas chère Marie, elle est loin de te remplacer. Nous avons pas ailleurs constaté que Louis faisait ses nuits dès sa deuxième semaine, évènement incroyable qui ne nous laissait plus que deux bouches à nourrir la nuit (Camille est le plus âgé, il a presque quatre mois et par conséquent dort plus). Mais, comme pour rétablir un certain équilibre, Sophie reste de plus en plus éveillée et il n'est pas rare que je me retrouve avec la petite dans les bras, à une heure fort avancée, alors qu'elle me regarde de ses yeux bleus avec un grand sourire. Au moins, elle semble heureuse d'être là, c'est le principal.

L'évènement le plus marquant de cette dernière semaine fut la visite de Monsieur de Robespierre. Monsieur de Robespierre s'est déplacé jusque dans notre logement pour prendre des nouvelles des enfants. Incroyable, non ? Mais après tout, Monsieur Souberbielle étant son médecin, Louis et Sophie sont peut-être des enfants nés illégitimement. Mais il ne m'appartient pas de faire des hypothèses sur ce sujet. En outre, Monsieur de Robespierre m'a parut fondre devant la bouille rosée de Sophie, ce que je comprends parfaitement, ce bébé est d'une beauté que j'ai rarement vue chez un enfant de cet âge. Monsieur de Robespierre n'est pas resté longtemps mais il m'a fait une forte impression : après tout, ce n'est pas tous les jours qu'un personnage si important se penche sur les enfants que tu nourris de ton sein !

Très chère Marie, j'entends à présent l'un des bébés pleurer. Je suppose que Sophie s'entraîne à crier, je vais devoir aller la nourrir le plus vite possible si je ne veux pas qu'elle réveille tout le monde.

Je t'embrasse Marie,

Ta soeur, Jeanne.

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