Charlotte à Renette

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Ma tendre amie,

Tu me manques déjà. Un mois à peine a passé, mais déjà ton souvenir se fait trop loin. J'espère que ton retour c'est bien passé. Chaque jour je me languis de ta présence. Je m'étais plus qu'habituée à toi, dans la tour du temple. A tout jamais je me rappellerai de ce que tu as fait pour moi.

Mon arrivée à la cour de mon cousin fit vague. A peine ma voiture passa-t-elle les grilles qu’une armée de jeunes caméristes m’entourèrent, me portèrent presque jusqu’à la chambre qui est mienne depuis. Elles m’assirent, ottèrent chacun de mes vêtements sans me laisser faire un geste. On remplit une grande baignoire, je m’y installai, et deux des demoiselles se chargèrent de débarasser ma peau des crasses accumulées durant le voyage. Quand je sortis de l’eau chaude, ma peau était plus rose que celle d’un bébé, et toute sensible. Quel changement après les longs mois au Temple ! Mes aides me séchèrent, me vêtirent d’une grande robe verte et blanche, me coiffèrent, me poudrèrent… Bref, elles me préparèrent à faire mon entrée. Oui, directement aprés mon arrivée. Mais imagine, ce n’était que le début.

Un valet vint me chercher puis, m’indiquant le chemin, me laissa parcourir le palais de mon cousin François. C’est immense, Schönbrunn, un peu comme Versailles, mais en plus froid. Je rencontrai de nombreuses femmes peinturées et d’hommes fardés. Que c’était étrange, après les visages nus des “sans culottes” qui accompagnaient ma vie depuis voilà des années…

J’arrivai enfin dans un cabinet privé. Mon cousin m’attendait. Il me sembla tout aussi froid que son château. Assis sur un fauteuil plaqué or, il ne daigna pas se lever, se redressa un peu, mais à peine, et me lança un coup d’oeil. J’étais mal à l’aise dans mon corset, je n’avais plus l’habitude, et Dieu seul sait à quel point c’est serré. Tout ce luxe me parraissait étrange.

“Ainsi vous voilà, cousine, a commencé François. J’allais m’impatienter.”

Son ton, décidai-je, était presque plaintif. En tout cas, il n’était guère plaisant. Je fis une révérence un peu maladroite (ce n’est pas comme si j’avais eu beaucoup d’entraînement ces derniers temps).

“Cousin.

  • Avez-vous fait bon voyage ?” soupira-t-il.

J'acquieçai et, immédiatement, il me renvoya. Je regagnis avec soulagement mon appartement et l’explorai. Deux pièces, une chambre à coucher et un petit salon pour recevoir un ou deux pairs. Dans ma garde robe, une quantité d'habits comme je n’en ai pas vue depuis mes années de Madame Royale.

Mais ce n’est pas que pour ça que je t’écris. Je dois te faire part d’une nouvelle qui m’est venue, ou plutôt, que j’ai surprise. Je ne puis la garder pour moi, et j’espère que jamais ma lettre ne tombera dans d’autres mains que les tiennes.

J’étais arrivée depuis moins d’une semaine lorsque l’information parvint à mes oreilles. C’est par un heureux hasard que je me promenais entre deux salons que j’entendis mon cousin parler tout bas. Il était avec l’une de ses soeurs et lui demandait conseil. C’est si rare que je n’ai pu m’empêcher d’écouter. Et ayant compris mon nom, je n’en n’étais que plus attentive :

“ Il va falloir qu’on lui dise tu ne crois pas ?

  • Mais crois-tu vraiment qu’elle nous en remerciera ? Non, les deux petits sont très bien avec leurs nourrices.
  • Oui mais… j’ai ouïe dire qu’ils n’étaient guère heureux avec elles. Ils préféraient d’avantage leurs nourrices de naissance…
  • Ils n’ont pas le choix. Des enfants pareils, je ne sais pas ce qui m’a pris. Faire autant de démarches, libérer des prisonniers, tout ça pour une adolescente froide et renfermée et deux morveux qui pleurent tout le temps. Et dire que le petit le plus interressant est mort en prison… Une grande perte. Mais après tout, j’avais promis à leur mère… Et c’était ses dernières volontées…
  • Mais oui, tu as bien fait. Mais as-tu réfléchi à ce que tu vas dire à Charlotte ?
  • Elle ne doit rien savoir, répondit François d’une voix plus ferme qu’au début de la conversation. Jamais. J’enverrai les jumeaux en campagne, et ainsi nous n’en entendrons plus jamais parler. Leur soeur ne doit jamais rien savoir.”

Ce fut le mot de fin. Bien évidemment, comme tu le sais toi même, je n’ai jamais eu de jumeaux dans ma fratrie, aussi ai-je été surprise. Des enfants mystères ? Peut-être nés de l’adultère de l’un de mes parents ? Mais rapidement ai-je chassé cette idée de ma tête, mes parents étaient fidèles, et ils s’aimaient sinon passionément, au moins tendrement. Et je ne pense pas qu’ils nous auraient caché l’existence de petits frères et soeurs.

La tête pleine de question, je quittai rapidement le couloir. Je menai une enquête. Oh ! Ce fut compliqué, mais je réussis enfin à apprendre ce que je voulais : les deux petits, âgés d’à peine 3 ans, étaient nés quelques jours avant l’execution de maman. Ainsi avais-je un nouveau petit-frère, Louis-Athanase, et une petite soeur, Sophie-Elisabeth. J’appris que Robespierre s’en était occupé, avait financé les premières nourrices des deux bébés. Mon cousin François avait démarché pour les réucpérer afin d'honorer la dernière volonté de ma mère.

Et, tu me connais, je n’ai pas dit mon dernier mot. Si mon cousin veut les envoyer à la campagne, alors j’irais avec eux. Il n’est pas question, après avoir perdu deux frères et une soeur, de perdre ces deux là.

Je t’embrasse ma Renette,

Charlotte

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