XVI. On savait.

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Mais, si ! C'était un gars du coin. Oui… Il était cheminot.

— C’était quoi son nom déjà ?

Le public attentionné tendait l’oreille. Le père de Petit-Jean aurait-il une identité ? L’homme ne serait pas qu’un fantôme errant dans les registres d’état civil, l’amant aurait nom, la notoriété publique l’atteste. Il ne serait pas qu’une pâle figure égarée dans la mémoire de nos aînés, et que les cousins cousines pensaient devoir cantonner à leur imaginaire.

Et à une table, quelqu’un de lâcher : « c’était un nom en “o”, ou quelque chose comme ça… ». Les têtes se tournèrent vers la personne qui avait prononcé ces mots.

Comme les braises sur lesquelles on souffle, la mémoire s’éveillait et reprenait vie. Au travers du fil des paroles, on pouvait percevoir des images du passé qui s’agitaient. Un nom en  « o » , oui, Rano, quelque chose comme ça… ou plutôt Ragnaud ou Rainiaud ?

L’information nous provenait d’un descendant de Marcelle. Visiblement, cette dernière avait su qui était le père, puisqu’elle avait raconté qu’il s’était installé à Alise Sainte Reine, qu’il y était cheminot, qu’il avait même fondé une famille... Mais le tabou autour de cette histoire avait interdit à Marcelle, sa vie durant, de révéler le nom de l'amant de sa sœur.

Il semblerait donc qu’à l’époque de “l'incident”, dans la famille proche, plusieurs connaissaient le nom du père. On savait.

Toujours à la même table des descendants de Marcelle, une autre anecdote fit surface.

— Souvenez-vous du facteur !
La phrase lâchée prenait des allures de télégramme que l'on avait envie de lire -promptement.

Le facteur s’en mêle - STOP -
Marcelle veut renvoyer sa fille Nicole - STOP -
Parce qu’elle va avoir un bébé sans être mariée - STOP -
Tu vas pas faire comme ta mère - STOP et FIN

Marcelle et Célestin se marient en 1928. De cette union naît Nicole qui grandit à la ferme de Torcy. Quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, devenue jeune femme, Nicole tombe amoureuse du valet de ferme, un dénommé Marcel Rat. Leurs différences sociales, ils n’en ont cure. Ils sont amoureux. Mais Nicole tombe enceinte, un « accident » malvenu aux yeux de sa mère. À l’annonce de la nouvelle, Marcelle n’aurait pas été tendre avec sa fille. Il n'est pas question d’un mariage avec un simple valet de ferme ! Allons donc ! Rappelons que Marie vit encore sur place, comme il est courant dans ces années-là. Est-ce la présence de la mère, ou le fantôme de sa sœur qui la hante ? En tout cas, Marcelle parle bel et bien de mettre sa fille dehors.

Jusqu’au jour où le facteur…

Le facteur, c’est l’homme qui fait du lien dans la communauté. Tout en distribuant le courrier, il prend le temps de discuter, d’écouter. On peut lui confier ses peines comme ses joies. Et ce jour-là, le facteur décide de mettre son grain de sel :

« Tu ne vas pas faire comme ta mère ? Dis-moi que tu ne vas pas faire subir à ta fille... ce que ta mère a fait à ta soeur ! »

Voilà les mots qu’il aurait lancés à propos de la situation de Nicole. Des mots pleins de sous-entendus. D’abord Marie n’était pas montrée comme l’exemple à suivre, ce qu’elle avait fait n'était pas digne d’une mère. Et l’évidence : si le facteur était à même de porter un avis sur le comportement de Marie, alors il connaissait l’histoire d’Isabelle. Rappelons que Françoise, l’aînée de Nicole, est née en 1951. Trente ans après le “drame”, le facteur se rappelait de l'histoire d'Isabelle ! Cette histoire semblait habiter ce coin de bourgogne comme un conte qui peuple l’imaginaire au travers des générations.

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