XV. Machine arrière

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Le secret découvert lors de la cousinade de ce jour de juin 2014 avait donc pris des allures de tragédie. Le personnage de Marie Domino concentrait toute la méchanceté et l’ignominie de la marâtre dans les contes de fées. Tout le combustible nécessaire était là pour alimenter une réelle rancœur vis-à-vis de l’aïeule. Toutefois, il y avait lieu de se méfier des jugements à la hâte. Ils sont souvent basés sur des déductions à l'emporte-pièce, un peu rapides, sur des arguments peu fiables ou pas (encore) vérifiés, quand l'ensemble n'est pas biaisé par les émotions suscitées par les révélations qui s'enchainent.

« Parfois, ce qui semble une énigme est une banalité
qui dans l’obscurité a pris une couleur insolite »
Extrait d'un poème de Hans Henny Jahnn

Quand un peu de temps aurait passé, la récolte de la parole d’anciens établirait une autre vérité, beaucoup moins dramatique et somme toute bien plus réaliste.

La première fable déconstruite allait concerner cette fuite ratée numéro deux (la tentative pour prendre le train). Lors d’une rencontre avec Janine Canat, durant l’été 2021, une autre trame est apparue, bien différente. Janine Canat est la fille de Gabrielle, autrement dit la nièce d’Isabelle (à ne pas confondre avec Janine Arbault, la quatrième sœur Massé).

Oui, Isabelle a pris le train. Mais elle n’était pas seule. Petit-Jean partait avec elle pour la grande ville. Comme la maman était bien jeune et peu expérimentée, il avait été décidé qu’une sage-femme les accompagnât. C’est en substance ce que raconte Janine.

Pourquoi partir, quitter la Bourgogne ? Une simple réalité économique en serait la cause. Isabelle devait travailler pour subvenir aux besoins de cette nouvelle bouche à nourrir. La décision aurait été prise de partir pour la ville où un emploi l’attendait, un travail au service d’une famille bourgeoise. Ces pratiques courantes permettaient d’assurer un revenu stable tout en ayant un toit.

Quant au voyage de noces de François et Gabrielle, transformé en expédition de secours pour sauver Isabelle... François et Gabrielle se sont mariés en 1923. Isabelle est morte en 1920. Tout s’écroule. Les dates…

L’inconscient familial aurait-il fantasmé ce voyage ? À quelle fin ? Difficile à dire. Ce jour de cousinade, emporté par l’allure tragique que prenait l’histoire d’Isabelle, nous nous étions laissé berner par quelques bribes d’histoire, allant jusqu’à recoller maladroitement les éléments d'un puzzle, disons plutôt, en construisant un château de pseudo vérités, balayé par un simple recoupement de dates. Les dates, encore elles...

D'autres informations viendraient confirmer que cette version dramatique était erronée. Ce n'est pas à Lille, mais au Havre qu'Isabelle était partie travailler, dans une maison bourgeoise, rue Carnot à Harfleur, Seine Inférieure, au service de M. et Mme Bréard, jeunes mariés en janvier 1919. Une fois la jeune fille installée, Isabelle ne pouvait pas s’occuper de Petit Jean, et la sage-femme aurait ramené le bébé à Torcy. La famille Massé aurait alors cherché une nourrice pour Petit-Jean. Une première tentative aurait échoué, le petit n'ayant pas assez à manger. Puis Petit-Jean aurait ensuite été confié aux bons soins de la famille Corot. Marius et Marie Corot, à Montzeron. Au sein de cette famille, une autre partie du destin d’Isabelle allait se jouer.

Mais, n’allons pas trop vite en besogne et revenons le 24 juin 2014, pendant la cousinade. Les histoires les plus rocambolesques étaient échafaudées par les uns et les autres. Mais cela signifiait surtout que progressivement le mystère entourant Isabelle se lézardait. Dans la famille Massé rassemblée, chacun détenait un morceau de souvenir du passé. Et par conséquent, nous nous prenions à espérer que le mystère entourant le nom du père de Petit-Jean allait, à son tour, vaciller. Maintenant que l'on avait admis que notre aïeule (mariée, puis veuve) avait été davantage une victime qu’une indigne fille-mère, le barrage qui retenait la mémoire semblait prêt à céder.

Et puis tout d’un coup, comme une bulle qui remonte à la surface de l’eau, on acceptait de se souvenir...

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