Assise en tailleur dans son vieux fauteuil, mère-grand était en train de bouquiner. Les trois œufs pondus par Anna étaient bien au chaud entre ses cuisses et son bas-ventre.

 Ça faisait deux jours qu’elle était plongée dans ce roman. L’intrigue était passionnante, et depuis quatre heures, la vieille dame tournait les pages avec avidité. Elle voulait connaître le dénouement de cette sordide histoire !

 Le téléphone sonna, elle tendit la main pour décrocher le combiné. Après l’avoir plaqué quelques secondes contre son oreille, elle le raccrocha aussi sec et pesta :

— Putain de démarchage téléphonique !

 Avant qu’elle ne repose les yeux sur son bouquin, la porte d’entrée s’ouvrit brusquement et gaiement, sa petite-fille lança :

— C’est bon, journée de cours terminée ! Mère-grand, je prends le relais !

 La vieille dame se leva lentement et délicatement Anna la remplaça.

 Heureuse de couver ses œufs, la jeune femme les contempla longuement. Quand allaient-ils éclore ? À quoi ressembleraient ses petits canards ? À chaque fois qu’elle posait la question, mère-grand restait très évasive sur le sujet.

 Lorsqu’elle releva la tête, vêtue d’un long manteau, sa grand-mère était déjà sur le seuil de la porte, et d’une voix rauque, elle annonça :

— Je vais me dégourdir les jambes ! J’en n'ai pas pour longtemps !