Chapitre 3

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C'était avec un pincement au cœur qu'Aleth s’apprêtait à quitter son havre de paix. Elle aurait tout donné pour pouvoir rester ne serait-ce que quelques jours de plus, cela faisait pourtant bien longtemps qu’elle aurait dû partir, la règle instaurée par l’ancien était claire : pas plus de trois mois dans la même cache.

Mais l’absence de forces impériales et la relative tranquillité des lieux l’avait poussée à y rester près du double. Et cela aurait sûrement continué pendant un moment s’il n’y avait pas eu l’attaque de la veille. Maintenant qu’ils connaissaient sa position, elle n’avait plus le choix.

Aleth avait beau y penser, c’était bel et bien la première fois que la jeune fille se sentait autant en sécurité. Une vie de fugitive l’avait obligée à rester constamment sur ses gardes, mais ici elle pouvait se permettre de se relâcher un peu.

C'était dans ce climat paisible qu'elle avait finit par prendre ses habitudes. L'ensemble de la matinée était réservée à l'exploration du village et de ses alentours. Au premier abord, cet exercice semblait long et fastidieux mais sa soif de découverte arrivait toujours à le lui faire oublier.

Au début, elle s’était assurée de parcourir chaque habitation à la recherche de vivres et de nouveaux vêtements pour remplacer ceux qui étaient trop usagés. Faire le tour de ce petit village ne lui pris pas longtemps. Elle avait dû se résoudre à s’en éloigner de plus en plus, au fur et à mesure que sa réserve de vivres s’amenuisait.

À l’extérieur, elle ne trouvait pas grand chose et devait concentrer ses recherches sur la grande autoroute desservant le sud. Elle y trouvait là-bas différentes carcasses de voitures laissées à l’abandon qui contenaient parfois de précieuses provisions.

Vers le soir, juste avant que le soleil ne se couche, elle avait pour rituel de se rendre à l'église en haut de la colline. Le sanctuaire était l’un des plus beaux bâtiments qu’elle n’ait jamais vu, et il possédait quelque chose d’unique, son accoustique.

Elle avait remarqué que lorsqu’elle se posait en face de l’autel de prière pour parler, son discours prenait un côté dramatique.

Cela l’aidait grandement à créer une bonne ambiance pour son hobby favori qui consistait à jouer les scènes de l’Aile d’Ébène. Le livre étant marqué par de nombreuses visites de Tristan à l’église afin qu’il puisse y confesser ses crimes, ce bâtiment était tout désigné pour se faire.

Accroché à son sac, le tigre blanc en peluche était le seul souvenir qu'elle garderait de cet endroit. Elle se doutait bien qu'elle n'aurait sûrement pas de répit avant un moment. Les soldats Ûriens connaisseaint désormais sa position et il faudrait ruser pour avoir une chance de leur échapper.

Aleth réfléchit. Si elle était à leur place, elle orienterait ses recherches vers l’Est. Il y avait un autre petit village près de celui qu’elle allait quitter, il aurait donc été évident qu’elle se dirige par là.

Quels étaient les autres itinéraires ? Le Nord était à exclure, Ûr se trouvait dans cette direction et les chances d’y rencontrer des soldats étaient donc très importantes.

Quant à l’Ouest, c’était une zone bien trop dangereuse du fait de l’accident de la centrale nucléaire qui était survenu au début du siècle. Les fortes radiations ne pardonnaient pas aux fous qui osaient s’y aventurer et puis de toute façon, l’Ancien lui avait toujours dit que le temps était toujours pluvieux là-bas.

Aleth choisit donc d’emprunter l’autoroute au Sud, elle devait forcément mener à une ville. D’un pas décidé, elle emprunta la chaussée descendante sans prêter une seule fois attention à la terre désolée qui entourait la voie. Là-bas tout n’était que cailloux, poussière et désolation. Il n'y avait rien. Juste elle et un silence oppressant uniquement brisé par le bruit de ses pas.

La jeune fille continua d’avancer pendant plusieurs jours sans rien trouver. Seule l’obscurité de la nuit était en mesure de la stopper. Les banquettes arrières des voitures abandonnées lui offraient alors de confortables couchettes et si elle n’en trouvait pas, elle devait se résoudre à dormir à même le goudron, près des glissières de sécurité.

Sa réserve d’eau diminuait mais elle avait encore de quoi tenir une semaine de plus. Ses préoccupations étaient donc d’un tout autre ordre.

La jeune fille soupira. Ce n’était pas comme cela normalement. Où était donc passé le vent ? Ce maudit vent brûlant qui l’obligeait à se pencher pour progresser, qui ramenait d’innombrables saletés dans ses yeux et qui fouettait sa peau de toute part.

Le vent avait pour elle une dimension quasi sacrée. Il était le souverain des ruines, celui qui insufflait la vie dans ces paysages de mort. Petits objets et tissus légers étaient ses marionnettes qui dansaient au gré de ses envies. C’était un spectacle dont elle ne se lassait jamais.

Mais le souverain se faisait encore désirer. Il en était de même pour les sombres nuages qui recouvraient le ciel et menaçaient de libérer un déluge tant attendu. En résultait un air extrêmement lourd qui la faisait suer à grosses gouttes ainsi qu’une chaleur humide qui imprégnait en elle une sensation de mal être.

Quelques minces rayons de soleil percèrent les imposants nuages gris. Atténuant la chaleur étouffante, la caresse de la lumière douce sur sa peau apaisa Aleth qui resta immobile quelques secondes, appréciant cette sensation inhabituelle.

Au fil des minutes, les nuages se dispersèrent et laissèrent leur place à l'astre solaire, maintenant en mesure de briller sans rien pour le dissimuler.

Gardant sa main à hauteur des yeux comme une visière, elle continua sa route. Contrairement à l’Ancien, Aleth détestait le soleil. Lorsqu’elle le lui disait, il lui répondait toujours que ce ne serait pas le cas si elle avait pu le contempler avant que Sîn ne descende du ciel.

Mais ce soleil jaune dont il lui parlait souvent, cette autre étoile qui réchauffait les cœurs n’avait jamais brillé pour elle. Tout ce qu’elle avait c’était un astre de sang dont l’éclat révélait les cicatrices d’un monde en ruine.

Même aveuglée par sa lumière, elle n'était pas diminuée. Sa vie de fugitive avait développé ses sens pour lui permettre de repérer le danger dans n'importe quelle situation. C'est pour cette raison qu'elle s'immobilisa quand son ouïe capta un très léger bruit.

Il s'agissait de cliquetis métalliques, comme si que quelqu’un raclait le sol de ses chaînes. Aleth connaissait l’origine de ce bruit, ce ralement, cette plainte stridente d’un être qui semblait en vouloir au monde entier ne pouvait la tromper.

La jeune fille déploya son ombre et fit volt-face. Les pans du manteau en lambeau du spectre flottaient dans une sorte de danse alliant crainte et envie. Dissimulé derrière une sombre capuche et un éternel masque au sourire inversé se trouvait son vrai visage : le néant de la mort, le dernier frisson d’une âme s’accrochant à la vie.

Aleth s’intéressa à sa poitrine, là où se trouvait son coeur. C’était là le seul point faible de ces créatures, un fragile noyau, faible lueur violette scintillant à travers le manteau de la créature. Il fallait le percer au moyen de la mortelle pointe de lame de sa rapière.

Aleth se mit en position de garde, prête à recevoir la première offensive de son adversaire qui ne tarda pas. Imprégnée d’une sombre aura violette, une chaîne jaillit de sa manche gauche et fondit sur elle. D’un gracieux pas de côté elle esquiva et la pointe aiguisée vint se planter dans le sol à quelques centimètre de son pied.

Aleth entama une rapide contre attaque et fonca sur son adversaire. Ce dernier ne s’avoue pas vaincu et fit jaillir une lame de sa manche droite avant de l’abattre sur la jeune fille. Les sens transcendés elle vit le coup arriver au ralenti et effectua une rotation de son corps qui la ramena juste derrière son adversaire. Elle prit ensuite un puissant appuis sur sa jambe droite et tendit le muscle de son bras droit en arrière avant de porter un fulgurant coup d’estoc à son adversaire.

Alors que la lame transperçait le coeur violet de la créature un bruit d’éclat de verre se fit entendre et elle émit un hurlement de douleur. Son corps commença alors à s’affaisser et elle chuta brutalement au sol.

Ereintée, Aleth rengaina sa rapière et posa un genou au sol. Sa respiration était saccadée et son coeur battait la chamade. Cela faisait deux fois qu’elle utilisait l’ombre en quelques jours. Et son corps semblait avoir des difficultés à le supporter.

Une fois son coeur remis, elle prit appui sur le fourreau de son arme afin de se relever mais vacilla instantanément vers l’arrière. Ses appuis stabilisés elle poussa un énorme soupir de soulagement.

Elle aurait pu certes éviter ce combat bref mais physique, mais elle n’aurait alors pas pu bénéficier de la récompense qui l’attendait.

La jeune fille s’avança vers le cadavre du spectre. Elle pouvait ressentir le désir brûlant de l’ombre dans son dos. À peine se fut elle approché de la créature que le manteau d’obscurité qui l’entourait grandit. Il continua de s'étendre, jusqu’à recouvrir entièrement son adversaire.

Un bruit de succion se fit entendre, la créature n’était pas encore morte et émettait un faible râle à mesure que la vie quittait son corps.

Accroupie, Aleth laissait l’ombre finir son repas, elle savait que la faim le tenaillait depuis plusieurs jours. Cela se ressentait dans la hargne et dans son comportement de plus en plus taciturne. Fermant les yeux, Aleth laissa la vie du dévoré parcourir son corps. C’était comme un nouveau souffle, une inspiration tant attendu après tous ces moments oppressants .

Lorsque l’ombre en eut fini, il rentra progressivement dans son corps et finit par s’évaporer. Comme c’était le cas à chaque fois, Aleth était gagné par un fort sentiment de puissance. Les pouvoirs de l’ombre avaient augmentés et dans cette situation cela ne pouvait que lui être bénéfique.

S’autorisant un moment de rêverie, Aleth contemplait le soleil déclinant. Elle se rappela une fois de plus les paroles de l’Ancien. Avant, juste avant la nuit, l'astre abandonnait son glorieux éclat et se teintait de rouge . Mais il n’y avait pas de glorieux éclat en ce Monde, tout n’était rien qu’un éternel crépuscule destiné à laisser place à l’obscurité de la nuit.

Aleth se demandait si elle pourrait un jour contempler l’aube. Pas une aube de sang, une jaune et lumineuse, pure et éclatante. Cela arriverait peut être le jour où Sin tombera. Mais qui le ferait tomber ? Qui dans ce monde était assez fou, assez fort pour faire plier un dieu ? Pas elle en tout cas.

Plongée dans la pénombre, la jeune fille reprit la route. Elle n’avait pas envie de dormir par terre, pas aujourd’hui.

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