Chapitre 4

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Aleth frissonna. Encore un peu somnolente, elle jeta un coup d'oeil à travers la vitre de la voiture, mais constata qu'elle était recouverte de buée. Intriguée, elle la nettoya de sa main gauche afin d'observer la situation à l'extérieur.

Un épais brouillard enserrait l’autoroute. Il s'agissait là d'un climat inhabituel pour la région, et c'était tant mieux d'ailleurs, Aleth avait horreur du froid. Plus que la chute de température ambiante, ce qui la dérangeait c'était la visibilité réduite que provoquait ce genre de phénomène.

Même les rayons écarlates du soleil peinaient à franchir l'imposante couverture de nuages sombres qui tronait au dessus d'elle. C'était un temps à rester au lit un peu plus longtemps, mais ce luxe ne lui serait probablement pas accordé.

Se basant sur la position de l'astre, Aleth estima à sa grande surprise qu'il devait être approximativement neuf heures. Elle aurait pourtant pensé qu’il était beaucoup plus tôt, la faible luminosité ambiante avait dû l'induire en erreur.

Grognant de fatigue elle résolut à se lever, mais le fit trop brusquement et sa tête rencontra le plafond du véhicule. Se massant la tempe gauche, elle jura. La douleur lancinante l’avait bien réveillée en tout cas.

Avec la précision de gestes répétés des milliers de fois, la jeune fille réunit ses maigres affaires et ferma son sac une fois l'examen de son contenu fait. Aussitôt la portière ouverte, une rafale glaciale vint lui fouetter le visage, lui arrachant par la même occasion un puissant frisson.

Vu de l'extérieur, la situation était pire que ce qu’elle imaginait, la brume réduisait drastiquement toute visibilité et elle parvenait à peine à reconnaître les environs. Continuer dans ces conditions allait s'avérer difficile, mais elle n'avait pas d'autre choix, ses réserves de vivres n'étaient pas illimitées et elle ne pouvait pas céder la moindre heure de plus à attendre.

Le fait de marcher l'aidait à se réchauffer un peu, mais ce n'était pas suffisant. Le corps de la jeune fille commençait à trembler, au niveau de sa mâchoire notamment. Afin d’y palier elle sortit un léger manteau noir de son sac et l'enfila par dessus son t-shirt.

Aleth adorait ce "trench" (c'était ce que l'étiquette du magasin indiquait). Conçu dans un tissu léger, son effet plongeant et le fait qu'il enveloppe ses jambes lui donnait l'impression de porter une authentique cape de chevalier. L'inconvénient étant qu'il n'était pas vraiment efficace lors des périodes de grand froid.

L'idée de prendre un vêtement plus adapté une fois arrivée en ville germa dans son esprit. Mais ce n'était pas forcément la chose qui siait le mieux à son train de vie. Les températures descendaient rarement aussi bas, et ce genre de tenue prenait énormément de place dans son sac.

Prendre un nouveau sac s'avérait cependant être une bonne idée. Le sien commençait à s'user et elle en avait marre d'essayer tant bien que mal de le rafistoler avec ses maigres talents de couturière.

Aleth soupira. Elle regrettait les habiles mains de l'ancien, il lui aurait arrangé cela en deux ou trois mouvements. Il cousait souvent quand le temps ne se prêtait pas aux sorties. L'air un peu grincheux cependant, tel un animal en cage. Ces jours si ternes rimaient avec immobilité pour eux deux, comme si que la grande horloge du temps s'arrêtait alors.

Le froid avait cette prodigieuse capacité de geler la moindre parcelle de vie qu'il touchait. Mais son aparente lenteur n'était pas à prendre à la légère, c'était un ennemi impitoyable qui ne laissait aucune chance aux faibles.

Les souvenirs d'Aleth la ramenèrent douloureusement à cette fameuse nuit dans le chalet. Agenouillée devant le lit de l'ancien elle priait pour lui. Avec le recul elle se rendait compte à quel point elle était alors désespérée.

La jeune fille avait tout tenté pour le réchauffer, avait craint chaque quinte de toux, pleuré et supplié jusqu'au dieu de son grand-père dont elle avait toujours nié l'existence. Mais rien n’y pouvait faire, pas même les sourires douloureux qu'il se forcait à lui offrir. La maladie avait anéantie toutes ses défenses face une nuit algide à laquelle il ne survivrait pas.

Le même sort l'attendait probablement, à moins qu'elle n'ait la "chance" de tomber sous les mains d'un chasseur. Aleth trembla, mais cette fois ce n'était pas le froid. Tel un poison sinueux, la peur s'insinuait dans son esprit.

Fier chevalier noir...

L'arrachant à ses souvenirs, un mystérieux chuchotement fit écho dans la brume. Aleth tourna la tête de tous les côtés mais ne discerna rien d'inhabituel.

Était-ce l'ombre ? Posant sa main au niveau de sa poitrine, elle ressentit plus que jamais la présence du spectre en elle. Lui dont le contact était toujours glacial, semblait lui rappeller à sa manière qu'il était là pour elle.

...relève la tête...

Aleth serra le poing, l'ombre avait raison, rien de bien ne pourrait arriver si elle continuait de se morfondre. Imitant Tristan, elle bomba le torse afin de montrer sa détermination.

Ce geste eut un effet inespéré lorsqu'elle remarqua qu'au loin plusieurs formes commençaient à émerger de la brume. Aleth plissa les yeux et accéléra sa cadence pour en avoir confirmation mais il s’agissait sans l’ombre d’un doute d’immeubles. Des élements de paysage urbains ne tardèrent pas à apparaître, lui donnant confirmation qu'elle avait enfin atteint son objectif.

En temps normal elle aurait sauté de joie devant cette nouvelle, mais l'atmosphère de mort qui planait la rendait beaucoup trop mal à l’aise. Elle se contenta donc de prononcer des remerciements pour son seul ami et avança l'esprit un peu plus serein à mesure que les contours de la ville se dessinaient.

Cela avait tout l'air d'être une de ses villes modernes qui dominaient avant l'arrivée de Sîn. Les nombreux conflits déchirant la région ne l'avaient cependant pas laissée intacte. Un nombre anormal de voitures accidentés jonchait la grande avenue, elle aperçut même un trou béant dans la façade d'un immeuble. La brume l'empêchait cependant d'avoir une meilleure vue d'ensemble. D'ailleurs cette dernière n'était-elle pas plus dense ?

Elle pouvait à peine aperçevoir les habitations bordant l'avenue. Quant à ce qu'il y avait au delà, ce n'était même pas la peine. C'était comme si qu'on lui avait tracé un chemin duquel elle ne devait strictement pas s'écarter. La jeune fille n'aimait pas cela.

Elle descendit donc l’allée d’un pas vif, mais resta sur ses gardes. L’ombre fourmillait en elle, il semblait sentir quelque chose lui aussi. Peut être un spectre, voire un chasseur. Aleth grimaça à cette idée.

Au fur et à mesure qu’elle avançait, l’espace autour d’elle se refermait de plus en plus. La grande avenue et ses espaces ouverts laissèrent vite place à une rue plus étroite où foisonnaient différents commerces. C'était comme entrer dans la tanière du dragon, une odeur de danger flottait dans l'air, mais paradoxalement elle ne ressentait aucune crainte.

Longeant l’allée en traînant le pas, Aleth notifia plusieurs commerces intéressants, dont notamment une armurerie, mais fait assez inhabituel, elle n'y prêta pas vraiment d'intérêt. Un désir inexplicable d'avancer trottit dans sa tête, comme si qu'elle savait que quelque chose l'attendait plus loin.

Une légère nausée commençait à la prendre. Elle avait un peu de mal à réfléchir et son désir d'avancer et de continuer prenait petit à petit le pas sur sa raison. S'abandonnant à ce dernier, elle finit par déboucher dans ce qui devait être la place centrale de la ville.

Elle fut immédiatement subjuguée par l’impression de gigantisme qui s'en dégageait. Impression grandement due à l'imposant autel de ville qui trônait à sa gauche. D’architecture ancienne il dominait majestueusement les lieux, tel un petit palais. Accroché à sa facade, des drapeaux en partie déchirés flottaient tristement au gré du vent glacial, comme une dernière preuve de la vie qui fourmillait jadis ici.

Par ici

Sans qu'elle ne sache réellement pourquoi, son regard se dirigea instinctivement vers l’oeuvre au centre de la place. Une créature de pierre cauchemardesque semblait la dévisageait d'un air envieux. Tout chez lui, de ses cornes, de sa peau d'apparence rugueuse, ou encore de ses crocs et de ses griffes indiquait une menace. Le terme de "démon" flottait dans son esprit.

Poussée par une curiosité anormale, la jeune fille s'approcha, comme fascinée, et tendit la main. La statue cligna des yeux. C'était amusant, le concept lui plaisait beaucoup. Elle ne percuta que trop tard que cela n'avait rien de normal. Son cerveau endormi ne réagit pas à temps lorsque le bras de la statue tenta d'attraper sa main avec hargne. L'ombre qui semblait elle bien active se déploya en urgence et elle à parvint à esquiver de justesse d'un pas en arrière qui la fit retomber sur les fesses.

Une part d'elle refusait d'accepter ce qui se déroulait devant ses yeux tandis que la statue, animée par une forcé mysérieuse , décollait difficilement les pieds de son socle. Une vive lueur violette émanait de ce qui devait être son coeur.

Le spectre se mit à hurler d'une voix puissante et stridente qui lui perça les tympas. Serrant les dents, elle essayait de focaliser son esprit embrouillé sur son ennemi. Plus question de lui laisser une seule ouverture. Les vitres des immeubles autour d'elle éclatèrent succesivement tout autour d'elle, et de nombreux débris tombèrent au sol dans un bruit cristallin qui dura beaucoup trop longtemps.

La brume couvrait désormais toute la place et se faisait de plus en plus dense. La peau de la créature miroita, et elle s'effaça dans la brume tel un fantôme.

Tentant de ne pas céder à la panique, Aleth examina les différentes sorties qui s'offrait à elle, mais tout n'était plus que brume autour d'elle. Foncer dans le tas n'était sûrement pas la meilleure des options, elle avait de plus besoin de connaitre la position exacte du spectre.

Un rire moqueur fit éclat juste derrière elle, Aleth frappa mais sa lame ne faucha que la brume. Une goutte de sueur perla sur son front, elle ne tiendrait pas longtemps si la créature continuait à se jouer d'elle ainsi.

La créature tournait autour d'elle sur un rythme irrégulier. Impossible cependant pour elle de déterminer sa position, c'était comme si sa perception des bruits était altérée, elle entendait plusieurs fois les sons et ceci à différents endroits. Serrant douloureusement la poignée de son épée, la jeune fille focalisa toute son attention afin de réveiller son esprit embrumé.

Un caillou ricocha à sa gauche. Aleth se retourna subitement et aperçut les yeux jaunes luisant du spectre qui fonçait sur elle à toute vitesse. Pas d'effet de surprise cette fois. La jeune fille se courba légèrement et se prépara à l'attaque de son adversaire qui fut quasi immédiate.

Emegeant de la brume, la statue qui avait perdu son invisibilité bondit sur elle. D'un large pas de côté, elle esquiva et se repositionna tandis que les griffes de la créature labouraient hargneusement le béton, laissant une terrifiante marque au sol.

La jeune fille étant trop loin pour attaquer avec sa rapière, elle eut l'idée de sortir le couteau du soldat ûrien de sa poche et le lança. La précision mortelle accordée par l’ombre n'accordait à son adversaire aucune chance et l'arme vint se planter en plein coeur. Ses mucles se détendirent et elle expira de soulagement.

Grave erreur. Elle ne remarqua que trop tard que son couteau s'était contenté de traverser ce qui s'apparentait à une illusion. Le temps de prononcer un juron et déjà des griffes se resséraient douloureusement autour de sa cheville gauche.

La jeune fille vut violemment tiré en arrière et son visage rencontra sans ménagement le béton. Le temps de comprendre ce qui lui arrivai que la créature la retournait sur le dos avec une force surhumaine. Ne pouvant détacher son regard de la bête affamée, Aleth chercha à tâton sa rapière tombée au sol. Alors que ses doigts effleuraient la poignée de l'épée, la griffe du démon vint s'enfoncer légèrement au niveau de son thorax lui arrachant un cri de douleur.

Il se passa alors quelque chose d'étrange. Son corps s'arrêta subitement et tous ses muscles se détendirent d'un coup. Aucun de ses membres ne voulait plus répondre.

Non !

Grognant de satisfaction, la créature apposait son souffle glacial sur sa nuque. C'était fini, la créature allait la dévorer. Curieusement, elle n'avait pas peur au contraire, elle se sentait rassuré. Elle pouvait lire dans les yeux du démon que tout serait pour son bien. Plus besoin de lutter, plus besoin de souffrir, tout était sur le point de se terminer.

Les crocs de la créature s'approchèrent avant de se planter dans sa gorge, mais il n'eurent jamais le temps de pénétrer sa peau. Une puissante détonation perça la place et un projectile toucha son adversaire en plein coeur, faisant exploser l'ignoble statue en milles morceaux.

La bouffée d'air qu'Aleth prit alors lui fut salvatrice. La mécanique de son corps repartait de plus belle, y compris son sens du danger qui avait semble t-il était inhibé par la créature.

Aleth sentait son coeur battre au niveau de ses tempes. Quoique la créature lui ai fait, elle en ressentait encore les effets. Se mettant sur les genoux, elle réussit tant bien que mal à se retenir de vomir.

-- Ca va ?

Le teint encore blême, Aleth retourna la tête. Elle aperçut le regard à demi vide son sauveur en haut des marches menant à la mairie, son fusil de chasse fumant.

-- C’est de mieux en mieux par ici… dit-il en dévisageant avec dégoût les restes de la statue démoniaque.

D'apparence frêle, l'homme semblait assez âgé. Les nombreux poils blanc recouvrant sa peau d'un ton plus mât formaient un contraste jusque alors inédit pour la jeune fille.

Craignant un autre chasseur ûrien, Aleth se releva dans la précipitation et pointa sa lame en direction de l'inconnu, mais ce dernier n’esquissa même pas un geste.

Les yeux de la jeune fille croisèrent alors le regard puissant et acéré de l'homme. Il semblait sonder les moindres recoins de son âme et elle n'aimait pas cela.

-- Du calme, je ne suis pas ton ennemi dit-il il, en lui tendant sa main gauche en signe d'apaisement.

La jeune fille lui offrit un regard intrigué. Son manteau rapiécé semblait avoir subi l'épreuve du temps. Il s'agissait a priori d'un des rares survivants parcourant la région. La jeune fille resta néanmoins sur ses gardes, l'hypothèse d'un piège n'était pas à exclure.

-- Tu dois venir avec moi… Il ne nous reste plus... beaucoup de temps… articula t-il difficilement

-- De temps pourquoi ? Aleth serrait la poignée de sa rapière, elle était de moins en mois rassurée.

-- Pour... tuer Sîn…

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