La rage

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Il m'arrive de me demander si nous ressentons et percevons les émotions de la même manière. Peut-être appelons-nous tous la tristesse par ce nom parce qu'on nous a indiqué que les larmes en étaient la manifestation. Peut-être, pourtant, que dans chacun de nous, cette émotion a un goût différent, avec plus ou moins d'amertume, plus ou moins d'angoisse.

Je crois avoir ressenti de la rage plusieurs fois, mais il est possible que d'autres qualifient simplement cela de colère réelle. Je suis quelqu'un qui s'énerve très peu, qui encaisse jusqu'à ce que tout ressorte d'un coup. Peut-être que dans ces moments là, je suis simplement prise d'un accès de colère, que certains ont l'habitude de ressentir dès que quelque chose les agace.

Cette explosion du coeur, ce trop-plein du vase, cette libération de toute la noirceur accumulée, ce mélange de larmes et de cris, c'est ma définition de la rage. MA rage. Je ne sais pas si j'emploie le bon mot, mais c'est fort.

Je pense que chez moi, cette émotion peut se manifester de deux manières différentes : à l'extérieur, ou à l'intérieur.

La dernière fois que j'ai extériorisé ma rage, c'était il y a plusieurs années. Je me souviens de chaque détail de la situation, comme de ce que j'ai ressenti, comme si tout était encore gravé sur mon coeur. C'était la première fois que je lâchais vraiment tout sans me retenir, j'ai frappé un radiateur jusqu'au saignement de mes mains, hurlant en sanglots incontrôlables. En y repensant, je ne sais pas pourquoi cette situation en particulier m'a provoqué un tel mélange de haine et de désespoir, alors qu'à mon sens j'ai vécu pire sans broncher. C'était durant une période très tendue du point de vue familial, où lun de mes parents faisait sans cesse des crises de paranoïa dont j'étais souvent la cible. Je me suis vue traiter de peste, de sorcière, de machinatrice, d'ingrate et de bien d'autres choses qui m'ont profondément marquée étant donné mon jeune âge. On m'a frappée pour des choses que je n'avais pas faites, allant jusqu'à justifier cela par des " pourquoi tu ne souris pas", "fais pas ta tête de cochon", ou d'autres accusations tirées par les cheveux. Dans ces moments-là, je pleurais, j'argumentais, mais je n'ai jamais senti en moi cette étincelle qui déclenche l'explosion de la rage.

Pourtant, un soir d'automne, je me suis sentie profondément révoltée, comme si un torrent brûlant était sur le point de déferler hors de mon être. J'ai quitté les lieux en prononçant des mots dont je n'ai plus le souvenir, je suis passée devant ma mère inquiète et j'ai frappé ce radiateur en tempêtant comme si le monde entier méritait de finir en miettes. Je ne me sens pas autorisée à décrire la cause exacte de cette fureur soudaine, mais avant cet incident je n'avais jamais traduit mon amertume par la violence réelle.

Le puls souvent, ma rage prend la forme d'une tempête intérieure, et des mots que je ne saurais aligner à l'oral s'entrechoquent dans mon esprit, je hurle dans ma tête ma haine passagère pour tout et rien, je pleure silencieusement en mordant l'oreiller. A la lumière de ma lampe de chevet, j'écris en pleine nuit des lettres où je déploie toute ma rancoeur et tous mes reproches, des lettres que je ne donnerai jamais à quiconque. La plupart du temps, cette tempête intérieure souffle tard le soir. Le lendemain, lorsque je retombe sur ces furieux écrits, je me dis que j'en fais trop, que c'est passé, je referme le cahier et tout est terminé.

On pourrait, d'une manière générale et sans forcément parler de rage, représenter un "cycle de pétage de plombs" qui correspondrait à un cercle à priori sans fin. Tout d'abord, j'encaisse les chocs, puis j'en stocke de plus en plus, jusqu'au fameux pétage de plombs qui se manifeste le plus souvent par des pleurs la nuit. Puis, je dédramatise la situation , me sens prête à tout affronter de nouveau, et le cycle recommence. Lorsqu'un bon nombre de cycles se sont enchaînés, j'ai les nerfs à vif, et c'est là qu'intervient la rage.

La rage est donc pour moi une manifestation physique de la douleur psychologique, qui oscille entre colère et tristesse, et mêle parfois les deux en un mélange aussi explosif que libérateur et douloureux.

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