Laps 1 après le deuxième effacement

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Je ne sais pas qui tu es, toi qui seras à ma place dans cette cellule, mais si tu me lis, si tu comprends ce je que j’écris sur ce mur, peut-être appartiens-tu à mon peuple.

Je suis Aranaé. Avant, j’étais une libre fille du désert de Tahāré.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici. Le premier jour, j’ai cassé l’un des deux seuls objets qui se trouvaient dans ce cachot, un gobelet de grès. Avec un morceau, j’ai fait un trait sur le mur sous la lucarne, le lendemain, j’en ai fait un second, et j’en fis un nouveau chaque jour.

Un matin lorsque je me suis éveillée les marques de dénombrement, représentant mes jours d’incarcération, avaient été effacées.

Personne n’était entré dans ma cellule pour les effacer, personne n’entrait jamais dans ma cellule. Elles avaient été effacées par magie.

J’entrepris de reconstituer mon calendrier de détention : quatre traits verticaux, le cinquième horizontal, barrant ceux-ci, et je recommençais. Un espace après cinq blocs de cinq et je recommençais cinq blocs de cinq. Puis je passe à la ligne suivante.

Chaque ligne représentait donc, 5 × 5 × (5 × 2) = 250 jours.

Après cinq lignes – soit mille deux cent cinquante jours –, je laissais l’espace d’environ une ligne vide.

La veille, après ce bloc de cinq lignes, j’avais tracé une treizième marque, j’en traçais donc quatorze.

Chacun des jours qui suivirent, j’ajoutais une marque. Moins d’une vingtaine plus tard, je commençais à douter de cette notion de jour.

Avant le premier effacement, ma vie était rythmée par trois événements, l’apparition de la lumière à la lucarne, son remplacement par l’obscurité et le repas.

Je suppose que rien n’a changé, mais au cas où. De mon temps, il n’y avait dans la cellule qu’un bas flanc, un bac – incrusté dans un mur – surmonté d’un robinet, des latrines – un trou dans le sol –, une écuelle métallique et le gobelet de grès, jamais remplacé, que j’avais cassée.

Le premier jour, lorsque retentit la cloche et que le guichet de la porte s’ouvrit, j’entendis dans ma langue : « mets l’écuelle vide sur la tablette, sinon tu n’auras rien à manger ». C’est la dernière fois que j’ai entendu une voix, autre que la mienne.

Sauf si tu souhaites mourir de faim, obtempère. Si tu ne mets pas rapidement l’écuelle en place, le guichet se referme sans délivrer de nourriture. J’ai essayé à deux reprises. La seconde fois, j’ai tenu cinq jours avant de mettre l’écuelle sur la tablette, lorsque le mécanisme a pivoté, l’écuelle n’était pas plus emplie qu’à l’habitude, et le morceau de pain avait la même taille. Je crois que si l’on mourait cela les arrangerait.

Dans mon souvenir avant le premier effacement, les intervalles entre chacun de ces trois événements étaient réguliers. Les périodes diurnes et nocturnes étaient égales à celles de la veille, et égales entre elles. Elles ne variaient jamais, paradoxalement cela ne m’avait pas choqué. La cloche retentissait au milieu de la période diurne.

Une vingtaine de jours après le premier effacement, la période diurne a duré si longtemps que la cloche a retenti six fois avant que la lumière ne disparaisse. Les durées de chaque période se mirent à varier de façon aléatoire.

La notion de jour n’avait plus aucune signification, je l’ai remplacée par la notion de laps de temps entre deux repas. Notion théorique, car si la cloche sonnait bien avant que je n’aie faim, je ne faisais pas de marque pour toutes les sonneries. A contrario, quand je souffrais longuement de la faim entre deux repas, j’ajoutais un laps sur mon calendrier. Ni l’alternance ni la durée des périodes diurnes et nocturnes n’intervenaient dans mon décompte. J’avais gardé ces appellations – bien qu’à l’évidence elles ne correspondaient pas à la réalité –, car elles sont moins sinistres que pénombre et obscurité. Pénombre, comme tu as pu le constater, dans la cellule, c’est tout ce que produit la lumière qui pénètre par la lucarne.

Hier, il y avait deux blocs de cinq lignes, une ligne complète et deux traits. Cela faisait donc (250 × 11) + 2 = 2 752 laps, que j’étais détenue !

Ce matin, il n’y avait plus rien sur le mur.

Recommencer à compter des laps, dont j’ignore totalement combien de temps ils représentent, si tant est qu’ils aient approximativement la même durée – ce dont je ne suis absolument pas certaine –, n’a pas de sens.

Ils cherchent à me faire perdre tous mes repères, aussi j’ai décidé d’écrire qui je suis. Curieusement, alors que j’avais peur de ne plus savoir écrire, cela m’est revenu très vite.

***

Note : les mots, qui sont soulignés ici, sont sur le mur des corrections situées légèrement au-dessus du texte entre deux traits se rejoignant à l'endroit où doit être inséré le mot.

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