Chapitre 9

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 À voir la réaction du Fraté, on retapisse immédiatement que son enthousiasme préliminaire vient de passer à la lessiveuse. Jouer les seconds rôles ça lui humecte pas le devant de slip. Faut le comprendre, mettez-vous à sa place. Déjà que vous meuglez quand le bus dont à propos duquel vous attendez a le malheur de se pointer trente secondes trop tard, visualisez maintenant les grognements dont vous seriez capables si votre turbin consistait seulement à compter les broquilles en louchant vers une baraque dans l’espoir qu’elle en vomisse deux zigs qui ont une place à part dans votre palpitant. Croyez-moi, chaque instant passé sans nouvelles dispute l’inquiétude à l’ennui, et y’a rien de pire que de se ronger en même temps les ongles et les sangs. D’ailleurs l’attente fait se ronger les ongles comme la tante fait se ranger les oncles.

 Dans le genre, les salles d’attente des cabinets médicaux me foutent toujours le moral à bernique. Ça nous rappelle trop à notre propre déficience pour qu’on s’en tartine le fondement. À fréquenter de trop près des éclopés, des grippeux, des en-sang, des morveux, des fêlés du cerveau ou des côtes, des cancéreux qui se savent, des cancéreux qui s’ignorent, des eczémateux, des constipés, des coliqueux, des qu’ont une chaude-pisse, des hypoglycémiques, des hypocondriaques, des gosses varicelleux, des trop gros pour être honnêtes, des trop maigres pour être obèses, des trop chlamydiés pour être aux baises, des sidaïques, je sais pas vous mais moi ça m’alourdit la pensarde. Dites-moi si ça vous fait le même effet les potes mais j’ai jamais bien pigé pourquoi on cloque tous les malades dans la même pièce. Si on foutait devant moi une tripotée de contagieux différents dans le but de les guérir, mon premier réflexe ce serait d’insérer entre eux le plus grand nombre de particules d’air possible, manière qu’ainsi ils aillent pas distribuer par mégarde leurs afflictions aux autres muches. Au lieu de ça, on te sape l’humeur en concentrant dans le même lieu tous les malades et on te colle entre les mains le Paris Match de janvier 1259 sur lequel mille-trois-cent-douze personnes ont déjà éternué, soixante-huit ont vomi et cinq ont tourné les pages après s’être gratté le dargif.

 Mais je m’égare (de Lyon). Faut pas perdre de vu l’objectif qu’on poursuit. Jamais. Moi tout ce dont je désire, c’est que lorsqu’on mettra les bouts avec le magot, Rodolphe mette pas une minute à passer la seconde. Si ça implique que je doive lui pourtourer du bout du nez l’étoile de Shériff avec des compliments en pommade, j’hésiterai pas un instant. Il aime être flagorné, qu’on lui lustre le crâne au cirage. Aussi l’entreprends-je dans ce sens :

-  Écoute Dolphe, tire pas une bobine comme si on avait enseveli toute ta famille et planté des glaïeuls par-dessus. D’une j’aurais été au courant, et de deux ton taf dans ce coup va être des plus cruciaux.

-  Ah oui ? sardonise le Pépère.

-  Certifié, je le rassure. Mais peut-être sa ducherie veut-elle que je m’en aille quérir quelque tabellion ? Redescends eh ! Va donc plutôt orbiter autour du mot « Duo » dans ton dico préféré. T’y apprendras notamment qu’une paire n’en est plus une dès qu’on lui ablationne un des deux éléments. Alors viens pas jouer du sécateur et restons en famille. Ça sera plus confort, tu crois pas ?

-  T’as vraiment besoin de moi ? renifle le Douillet.

-  Comme un meuble Ikea de sa notice, lui assuré-je.

 Au premier signe d’affection, ce saint oublie ses griefs et se jette dans mes bras. Ce faisant, il trébuche sur la pile de la télécommande qui avait roulé sous la table basse pendant son sommeil. Je vous entends ricaner… Comparer mes textes à des veaux-de-ville ! Moi je me contente de retranscrire. Si ça vous plaît pas que le fraternel se rétame, que le coup de la peau de banane vous fait l’effet d’un laxatif sur un cadavre, allez vous faire rafistoler le roudoudou par votre voltigeuse favorite et laissez-moi prolonger. Rodolphe tombe. Ça pourrait arriver à vos frères alors ne venez pas me faire de mauvaise pub, ne disait-on pas naguère par ailleurs qu’il n’était nul besoin de dépliants lorsque les bros churent. Dans son élan, il brise avec son genou en morceaux le plateau en verre de la table. Heureusement le Mollasson n’a rien et se relève avec quelques égratignures bénignes. Malgré la confusion, il me serre et me déclare de façon humide « Nass, c’est une belle preuve de confiance que tu m’accordes là. Tu peux me considérer comme ton Pégase, et je t’emmènerai où tu voudras. Quand il s’agit de toi, faire le planton ne me dérange pas ». C’est beau l’amour familial, hein, les potes ? Sur ces effusions, je vous laisse le temps qu’il faut pour que vous fassiez un aller-retour à la salle de bains pour sécher au fer à lisser la larme qui a coulé sur cette belle page. On se retrouve chez Soulet !

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