chapitre v - la pré-rentrée

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Le reste de l’été n’offrit rien à raconter qui soit notable, sauf que nous fûmes acceptés dans notre formation. Cependant, à deux jours de la rentrée des classes, j’étais allé rendre visite à Ethan, avec qui je discutais dans sa chambre, au rez-de-chaussée. Nous étions couchés sur son lit et je lui demandais :

— Comment te sens-tu ?

— J’ai hâte ! Je suis confiant pour cette nouvelle année. J’espère que nous allons pouvoir faire ce qui nous plaît, ne plus suivre les cours de math, ne plus devoir attendre le prof à la salle de classe…

— Oh, je crois que ça va pas changer !

— Ouais, mais là on est adultes ! Adultes ! C’est trop chouette !

— Je ne sais pas… J’ai l’impression de ne pas avoir vu ma jeunesse passer…

Je me tournais vers lui, à demi-couché :

— Comment ? Tu n’a pas encore vingt ans !

— Mais j’en ai eu six, neuf, douze, quinze ans… Et le temps est passé si vite, j’ai l’impression que c’était hier que j’entrais au collège. J’ai beau avoir eu des cours barbants où le temps s’écoulait lentement… Ça me rend mélancolique.

J’essayais de le motiver :

— Oh, allez ! Nous allons vivre de nouvelles aventures, avec de nouvelles personnes ! Nous allons nous faire de nouveaux amis et de nouvelles amies. Bon… Il y aura Samuel, mais il ne nous embêtera pas — j’y veillerai.

Ethan se releva et me dit, au bord du lit :

— À ce propos…

Je sentais arriver une révélation qu’il avait du mal à garder pour lui :

— Quoi ?

— Quoicoubeh !

La réponse d’Ethan, qui éclata de rire, avait fusée. Je restais consterné ; à la fois agacé et hilare, je suppliais :

— Non, Seigneur, s’il te plaît, non ! Plus de quoicoubeh, apinayan et commandant de bord, on est à la fac maintenant ! Allez, c’est quoi le secret à propos de Samuel ?

— Pardon, dit mon ami en reprenant son sérieux. Le secret est que Samuel et moi avons décidé de faire, si on peut dire, une trêve.

Je le regardais maintenant avec des yeux tout à fait rond. Je me répétais intérieurement ce que je venais d’entendre, pour être certain que j’avais bien compris ce qu’il venait de me dire. Un soulagement traversa mon être et je criais, m’étonnant moi-même de ma joie :

— Ah, enfin !

Ethan gloussa, sans doute ne s’attendait-il pas à un tel cri du cœur. Il reprit :

— Nous avons décidé de cela il y a trois jours. Comme ma fenêtre est en face de la sienne, il en a profité pour m’interpeller : « — Qu’est-ce que tu veux ? — Te parler, qu’il me dit. — Pourquoi faire ? J’ai rien à te dire. — Mais moi, si ! Je veux qu’on fasse une trêve parce qu’on va encore se supporter pendant deux ans. C’est peut-être le moment, on est grand maintenant. »

— Eh bien, je le félicite d’avoir prit les devants !

— Alors tu penses bien, au début, j’étais surpris. Je m’attendais pas à une proposition pareille alors que ça fait cinquante ans que nos familles se tirent la bourre, surtout que c’est la mienne qui est un peu beaucoup en tort.

— Effectivement, il s’agirait de grandir.

— C’est ça, OSS 117 ! (Nous rîmes.) Donc… Samuel me dit ça et je finis par accepter. Au fond, ça m’arrange : s’il veut faire la paix, il demandera pas des dommages et intérêts pour ce que mes aïeux ont fait aux siens.

Je me souvenais de la discussion que j’ai surprise entre un couple et un autre hommes, durant la fêtes mondaine en plein air pour son retour.

— D’ailleurs, hasardais-je, j’ai entendu dire que Sarah Zadoc n’appartenait pas à une famille du même statut social que Simon. Je me demandais comment elle avait put l’épouser alors que les Zadoc sont une famille qui marie plutôt les gens de son rang.

— Oh si, c’est une fille de la haute société ! Avant d’épouser Simon Zadoc, elle était la famille de Marie.

— Quoi ? C’est une Chartres ?!

Je ne revenais pas d’une telle découverte. Marie ne m’avait jamais parlé de cette branche juive de sa famille.

— Hum, pas exactement : à la Belle Époque, une fille de Chartres avait épousé un comte allemand qui était juif — vu le contexte germanophobe et antisémite de la France, je te raconte pas le scandale. Suite à la politique répressive envers les Juifs durant l’entre-deux-guerres, la famille allemand s’est installée en France et est venue à G… Mais en raison de leur germanité, elle a dû fuir en Suisse, où elle est restée depuis. En discutant avec Samuel, j’ai crus comprendre que ma mère fut à la cité scolaire internationale de Ferney-Voltaire en même temps que la sienne. Simon était là-bas depuis trois ans, puis de fil en aiguilles, il a épousé Sarah.

— Et… tu lui en a parlé de ce que Samuel t’a dit ?

— Parlé à qui ?

— Bah, ta mère !

— Oh, non ! s’exclama Ethan en se raidissant tout d’un coup. Si elle apprend que j’adresse la parole au fils du voisin, je va me faire disputer.

Ethan me supplia de garder ces informations pour moi et de lui laisser le temps pour en parler à Marie la prochaine fois qu’il la verra. Je promis puis, après plusieurs heures, je rentrais chez moi. J’avais au moins la confirmation que Sarah et Charlotte étaient allées dans la même faculté. Je ne savais toujours pas, en revanche, jusqu’où allait leur relation.

Le jour de la pré-rentrée arriva. J’avais revêtu un costume qui fit dire à Ethan :

— Tu ressemble au comte de Montesquiou dans le portrait de Boldini… Sans la moustache et la canne, ha ha !

Nous nous étions retrouvés devant sa maison avec Marie, que nous découvrions avec un vélo en main.

— Tu ne prends pas les transports en commun ? lui demanda son cousin.

— Pensez-vous ! En vélo, je dois mettre vingt minutes jusqu’à Science Po, alors que j’en mettrais trente avec le tram 2 qui va au campus. Puis, à partir de 7:20, c’est bon-dé, on ne peut plus y mettre un pied sauf si on aime les odeurs d’aisselles pour se réveiller.

— Oh, c’est dégueu… me plains-je. Nous allons quand même prendre le tram 1, il n’est pas loin et je pense qu’il sera moins chargé.

Marie enfourcha son vélo :

— Passez une bonne journée les garçons, n’oubliez pas qu’on se voit Chez Mémé ce soir, autour d’un bœuf bourguignon.

Après vingt minutes, nous arrivions dans la rue du conservatoire. Le bâtiment actuel datait des années 1960 ; il ressemblait à un doigt d’honneur, avec son gros bloc de béton carré rattaché à un long bâtiment rectangulaire, au bout duquel se trouvait une tour ovale à l’horizontale. Face au conservatoire trônait une laide sculpture en acier, comme découpée par des ciseaux ; elle était aussi vieille que le bâtiment. Sous le préau de l’entrée, on pouvait lire : « Conservatoire de G… » en lettres bleues ; on devinait encore, grâce aux traces laissées par les lettres précédentes, l’intitulé précédent : « Conservatoire national de région ».

La salle du cours de théâtre était un bunker de béton avec une scène, ses lumières et plusieurs rangées de confortables sièges rouges. En attendant l’arrivée du professeur, je comptais distraitement du regard les élèves qui étaient en CPES-CEPI. Je demande pardon d’interrompre mon récit pour une précision : le CEPI est le nom de la formation pour se lancer professionnellement dans la musique, la danse et le théâtre ; l’enseignement des CPES consiste en des ateliers en plus pour passer des concours de grandes écoles.

Je regardais donc tout ce beau monde ; personne n’osait parler avec personne, sinon les gens que chacun connaissait déjà. Il n’y avait pas de ségrégations, les élèves des années précédentes se mélangeaient avec nous. Les uns qui ne discutaient pas regardaient en l’air, les autres faisaient les cents pas, plusieurs étaient sur leurs téléphones. Nous étions assis avec Ethan dans les sièges rouges, comme les autres, sans nous dire quoi que ce soit, ne trouvant ni l’envie ni la pertinence de le faire. C’est alors qu’arriva, un sac de cours négligemment jeté sur son épaule gauche, ce bon Samuel. Il ne sembla pas nous remarquer, mais nous le vîmes s’installer à côté d’une fille rousse et de l’embrasser sur le front passionnément. Je regardais Ethan incrédule, et lui de même. Il retourna même la tête une seconde fois pour être certain ne pas avoir rêvé.

— Samuel… En couple ? chuchota-t-il étonné.

— Faut croire… (Je jetais un coup d’œil furtif.) Elle est plutôt jolie, non ?

Ethan inspira en faisant la moue :

— Oh, moi, les femmes… Je n’aime pas ça.

J’eus un mouvement de surprise, ce qui le fit rire. Je lui demandais discrètement :

— T’es gay ?

— Bah oui, tu le sais bien !

— Mais non !

Ce fut au tour d’Ethan d’être surpris. Il se redressa dans son siège et me regarda, véritablement stupéfait :

— Mais… Je pensais que tu l’avais deviné ! Si ni toi, ni Marie ni moi nous intéressons vraiment aux choses de l’amour, je pensais que vous aviez remarqué que je préférais regarder les garçons.

— Mais pas du tout, mais je tombe des nues !

Il y eut un instant de malaise, Ethan se sentait un peu gêné.

— Bon, bah, voilà… Maintenant, tu sais.

— Ça fait un choc !

Comme ce que je venais de dire pouvait être mal interprété, je dis encore, en plaisantant que je pensais pas qu’il m’avait sérieusement demandé en mariage quand on avait quatre ans. Ethan éclata de rire et se cacha le visage. Il commença à se souvenir de cette gênante promesse de mariage que sa mère avait enregistrée avec la caméra il y a des années.

— Non, tu t’en souviens aussi ?

— Et, ajoutais-je avec fierté, j’ai même gardé les bagues en papier qu’on avait fait. Elles sont dans la boite des choses précieuses que j’ai constitué en maternelle.

— Ha, ha, ha ! Mais in-cro-yable !

— Mais alors, repris-je, tu sais depuis quand que t’es gay ?

— Je dirai depuis treize ans. J’avais commencé à me poser des questions un peu, mais sans vraiment plus chercher, et vers quinze ans, j’ai commencé à préférer regarder les mecs dans les magazines, ha, ha !

— Et tes parents sont au courant ?

— Oui, ils le savent mais alors… C’était un moment extrêmement gênant ! Punaise, faut que je te raconte mais pas ici !

D’ailleurs, les professeurs et professeuses de théâtre venait arriver. Il s’agissait de six personnes, quatre femmes et deux hommes, ayant entre trente et cinquante ans. Nous commencions par une bonne nouvelle : cinq des huit cours de l’année se passeront dans la salle 111, au premier étage, tandis que les cours de techniques vocales, de chorale et d’atelier corporel seront dans trois autres salles du conservatoire. Nous avions un atelier caméra le vendredi matin, une préparation au concours le jeudi après-midi, le cours d'interprétation le mardi après-midi, le jeudi matin et le vendredi après-midi. Enfin, le lundi après-midi était réservé à un atelier spécifique, et le suivi pour le Diplôme d’Études Théâtrales était le vendredi après-midi. Nous n’avions pas cours le mercredi ni le samedimanche.

— Nous ne sommes pas prêts de nous ennuyer, murmurais-je à moi-même, tout en notant le flot d’informations.

La réunion de rentrée dura deux heures en tout, des choses tellement assommantes que j’allais plus régulièrement que d’habitude sur mon téléphone. En notant les horaires, je remarquais avec joie que je pouvais aller à la courte messe de huit heure sans risquer d’être en retard puisque nous n’avions jamais cours avant neuf heure trente. J’avais hâte d’entendre Marie nous raconter sa pré-rentrée ce soir.

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