Chapter 1

7 minutes de lecture

« Vous reprendrez le thème du héros romantique, trahi et abandonné. »


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Blue Rock, Caroline du Nord,

Le 15 mars 1975 en fin d’après-midi.


Les grilles étaient lourdes, noires, et ornées de deux croix blanches. J’ouvris l’un des ventaux et fis disparaître, ombre grise entre les allées, un chat pelé qui avait connu des jours meilleurs. La brise cinglante de mars agitait ici et là quelques pots de chrysanthèmes échoués au bord des stèles de marbre. Je resserai le col de ma veste avec bonheur, cette fraîcheur m’avait tellement manqué. Le gravier crissa sous mon poids et le son feutré habilla pour un instant ma solitude et celle du lieu. Avec ma démarche bancale je dus prendre mon temps bien sûr mais je finis par trouver ce que je cherchais, une tombe laide, terne, semblable à toutes les autres... à un détail près, il s’agissait de la mienne.


Au Lieutenant Commander Matt Linkford

Il a donné sa vie pour notre pays

Qu’il repose en paix.

Sa famille éplorée, ses amis Hélène et Eric Holder.

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Quelques années en arrière au large d’Hanoï (Nord Vietnam)

Sur le Porte-avions Oriskany,

Le 20 octobre 1970 à 6 :30 AM

- Debout ! Ramassis de bon à rien !

Le sifflet et la voix de fausset de l’enseigne de vaisseau Collin me transperça littéralement les tympans. Je pris ce qui me servait d’oreiller et je le balançais d’un geste aussi rageur qu’inutile sur le haut-parleur de la chambrée.

- Non d’un chien Eric, fais-moi penser à lui apprendre à vivre, à cet empêcheur de dormir en rond !

Je l’entendis rire doucement. Je n’avais pas besoin de le regarder pour savoir qu’il était déjà debout et prêt à prendre sa douche.

- Bouge-toi plutôt Lieutenant !

- Pas avant que tu m’aies dit comment tu peux faire la fête la veille et être debout avant tout le monde ? Moi ma langue reste collée à mon palais. Et je ne te parle pas de l’odeur ! dit-il en exhalant dans sa main.

- Je la sens d’ici...

- Que veux-tu, je me devais de fêter ma petite merveille !

- Tu ne parles pas d’Hélène j’espère ?

- Un peu de respect mécréant ! Hélène Keagan n’est pas une merveille, c’est une déesse ! Je parlais de mon bébé, de mon magnifique SkyHawk. Avec son nouveau moteur, je vais pouvoir le pousser jusqu’à Mach 1 !

- Il n’est pas conçu pour ça Matt.

- Ça il ne le sait pas...

- Ne commence pas à faire des folies pendant les essais ok ?

- Non, ma poule... T’angoisse pas, j’ai des projets que je ne veux pas mettre en danger. Pourtant ça me titillerait bien de savoir ce qu’il a dans l’estomac.

- Hum, grogna Eric.

J’adorais voir Eric inquiet, sans doute parce qu’en dehors de lui et d’Hélène, personne ne l’aurait été pour moi. Son amitié était un pilier essentiel à ma vie et remontait au moment où j’avais emménagé dans sa ville natale. Pour une raison inconnue, mon père avait décrété que cette ville allait lui permettre d’enfin réussir. Je n’avais personnellement aucune illusion à ce sujet et le lycée de Blue Rock n’était qu’un endroit de plus à ajouter à mon parcours.

Les circonstances précises de ma rencontre avec Eric m’échappent à présent, mais je me souviens encore de ma fascination lorsqu’il me raconta le passé de pilote de chasse de son paternel. Leur amitié et leur bienveillance changèrent ma vie. C’est grâce à leur soutien indéfectible que j’avais pu accomplir mon rêve et rentrer dans l’aéronavale.

Le haut-parleur se mit soudain à diffuser le Venus des Shocking blue, et interrompit mon excursion dans le passé. Je sautais de ma bannette et commençait à enrouler mon couchage. Je souris ; la vie était magnifique. Le bateau sur lequel j’étais affecté était impressionnant de puissance, je faisais ce qui me passionnait et surtout, oui surtout, j’allais avoir droit à une permission assez longue pour faire le grand saut. J’avais du mal à tenir en place tant j’avais hâte de passer la bague à Hélène. J’ouvris ma cantine pour regarder une fois de plus les alliances que j’avais achetées lors d’une escale.

- Tu vas finir par les user à force de les regarder Linkford !

Je jetais un coup d’œil à Eric qui revenait les cheveux encore dégoulinant de sa douche.

- Tu ne te rends pas compte de l’enjeu !

- Je crois que si...

Je voulus répliquer mais une annonce me coupa la parole.

Les lieutenants Landers, Holder et Linkford sont attendus par le Commandant en salle de briefing dans dix minutes.

Je fis la moue et remis intrigué et disons-le vaguement inquiet, ma douche à plus tard. D’un pas plus décidé qu’il ne l’était vraiment, Eric et moi arrivâmes dans la coursive qui menait à la salle. Landers était déjà là. Je lui jetais un regard qui se voulait rassurant, mais le secrétaire du commandant, une espèce de lèche-botte à tête de fouine, me regarda avec une telle suspicion que je dus arrêter assez vite. Le capitaine de frégate James Hattaway*, plongé dans un volumineux dossier, leva la tête à notre arrivée.

- Venez ici les trois rigolos !

Notre Pacha était un cinq galons d’une belle prestance qui avait été cloué au sol quelques années auparavant par un mauvais atterrissage sur le tarmac. Étrangement, il n’en semblait pas amer et dominait toutes les situations, ou presque, car tandis que je le saluais, un monceau de paperasse sur son bureau menaçait clairement d’avoir sa peau. Il glissa son regard sur chacun d’entre nous, peut-être plus particulièrement sur Landers, mais garda le silence. Me doutant un peu que cette petite réunion se produise à cause de moi, je pris la parole.

- Monsieur, je prends l’entière responsabilité de ce qui s’est passé.

- Et vous pensez à quoi Linkford ?

Là, il m’avait eu.

- ... Aux crickets mon Commandant ?

- Bonne pioche Linkford ! Mais n’en doutez pas je finirai bien par découvrir le reste de vos pièges à cons !

- Oui Monsieur.

- Vous êtes une tête d’ahuri Linkford !

- Oui, mon Commandant.

J’entendis à coté de moi un gloussement.

- Ça vous amuse Holder ?

- Non monsieur.

- Parce que je vais vous faire passer l’envie de rire moi ! Si l’idée est de lui, dit-il en pointant un doigt rageur sur moi, la mise en œuvre de ce bordel c’est vous, n’essayez pas de me la faire ! Quant au troisième pitre, oui Landers je parle de vous. Je sais parfaitement que vous complétez le trio ! Nom de Dieu, mais d’où vous est sorti l’idée de parier sur de foutus sauterelles ?

- Crickets, Capitaine...

Le commandant se leva d’un bond de sa chaise en écumant de rage.

- Je vais vous les faire bouffer ces bestioles, vous m’entendez Linkford ? C’est par les trous de nez que vous allez les avaler !

- Oui mon Commandant.

- Jetez-moi ces putain d’insectes par-dessus bord et donnez-moi les sommes extorquées aux triples buses de ce bateau ! Que vos conneries servent au moins aux orphelins de la Navy.

- Capitaine... essaya d’intervenir le lieutenant Jack Landers.

- Fermez-la ! Je dois préparer le briefing de notre prochaine mission sur Hanoi, alors les choses en resteront là pour l’instant mais croyez-moi vous ne perdrez rien pour attendre. Comptez sur moi pour m’amuser avec vous à votre retour ! Et ça commencera par le nettoyage complet de toutes les latrines de ce foutu rafiot ! Rompez !

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Cimetière de Blue Rock,

Caroline du Nord,

Le 15 mars 1975 en fin d’après-midi.

Planté là, aussi inutile que les murs qui m’entouraient, je cherchais à ressentir une absurdité, un contresens, n’importe quoi, mais j’étais aussi vide que la tombe devant moi. Je restais un long moment à la contempler, mais seul un gros cafard mâtiné de boue me fit l'aumône d'une réponse.

Je refermais la grille sur ce cimetière imbécile et regagnais les abords de la ville. Un crépuscule bleuté teintait de mélancolie les maisons et les arbres endeuillés par les derniers frimas de l’hiver.

J’avais choisi, le matin même, un motel discret en périphérie de la ville, idéal pour passer inaperçu. La propriétaire Meggy McKeen, une quadragénaire bavarde qui avait depuis longtemps perdu son combat contre les kilos m’avait accueilli en pinçant les lèvres comme un banquier qui déniche un compte à découvert. Nul doute que mon apparence négligée ne trouvait aucune grâce à ses yeux.

Cherchant la discrétion avant tout, je n'avais pas mentionné mon nom véritable sur sa fiche mais tout le reste était vrai, y compris mon statut d’ancien combattant et cela avait changé la donne.

Elle voulu alors, avec acharnement, que je visite avant de partir le cimetière de sa ville, en particulier sa partie réservée aux « héros ». J'eus même droit, afin de m'y encourager, à l’histoire de ce pauvre pilote de chasse, disparu en mission, qui avait laissé un ami désespéré et une pauvre fiancée éplorée. Les hasards de la vie peuvent parfois être aussi douloureux que surréalistes.

Bref, je n’avais aucune envie de la croiser à nouveau pour des détails supplémentaires. Mon expédition au doux pays des sacrifiés m’avait largement suffi comme épreuve.

Heureusement, occupée à noyer quelqu’un d’autre sous son flot de paroles, je pus récupérer discrètement ma clé et monter me reposer un peu. Manger un morceau ne m’aurait sans doute pas fait de mal, mais mon estomac avait pris l’habitude de se contenter de peu. Je pris donc ma douche et m’allongeais sur le patchwork qui recouvrait le lit.

* Le personnage principal de Trahison Intime

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