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Ce fut la sensation des draps faits d’une matière que son corps ne reconnut pas qui le réveilla. Sans doute devait-il être en phase de sommeil léger, car il n’y avait aucune autre raison qu’il fut gêné par le tissu. Toujours était-il qu’Alexandre s’éveilla dans un grand lit confortable à baldaquins mais sans voilage, avec des draps et une taille confortables, qu’il n’identifia pas tout de suite. Les yeux fixes sur un plafond gris clair, il lui fallut quelques temps pour se souvenir où il était. Tournant la tête de droite à gauche il observa le lit comme s’il le voyait pour la première fois. Il survola ensuite la chambre du regard.
  Une pièce spacieuse. Face à lui se dressait une grande cheminée à foyer ouvert, à gauche du lit des fenêtres d’une taille respectable fermées par des volets imposants en persiennes qui laissaient passer quelques rais de lumières et éclairer la pièce d’une demi-pénombre du matin. Sur le même mur, entre le foyer et la fenêtre, un bureau de deux mètres de long et un de large, en bois massif, avec un fauteuil en cuir assez ancien. Le sol était en parquet d’époque et on pouvait voir quelques lames qui avaient travaillé, certaines gondolées, d’autres légèrement écartées. Sur le mur d’en face une simple porte en bois, sculptée. Et un peu plus loin, une commode. La cheminée était encadrée de deux grandes bibliothèques en bois. En fait, Alexandre trouvait cette pièce tellement clichée qu’il se serait cru dans une adaptation de Poe de Vincent Price.
  Au bout de quelques instants les souvenirs lui revinrent. Il porta la montre qu’il avait au poignet, et qu’il ne quittait jamais, à ses yeux : 07:30. En ce qui le concernait, il pouvait considérer avoir fait une grasse matinée.


  La veille au soir, après que Julie avait proposé de repartir, il avait décidé de rester sur place.
  - Tu es sûr ? Demanda Renaud, inquiet. Tu peux venir dormir chez moi si tu veux. J’ai de la place. On pourrait reparler du bon vieux temps devant un bon verre et se remémorer des souvenirs.
  - Se remémorer des souvenirs ? Tu y tiens vraiment, sérieusement ? Le ton était légèrement sarcastique.
  - Alex… On ne va pas se quitter fâché.
  - Je ne suis pas fâché Renaud, avait-il répondu calmement. Je veux dormir ici. Si cette monstrueuse bâtisse m’appartient, il faut bien que je l’apprivoise. Tout le monde à quelque chose à apprivoiser non ? Dit-il sans regarder son interlocuteur.
  Il y avait dans sa voix comme une pointe de provocation que Renaud préféra ignorer.
  - Oui. Tu as raison. Tout le monde à quelque chose à apprivoiser. Mais avec des amis on arrive à tout surmonter. Tu es bien placé pour le savoir.
  Renaud savait qu’il avait touché Alexandre. Ce dernier ne broncha pas pour autant. Il se contenta de tourner son regard vers l’escalier, et plus loin, vers le haut. Il se perdit dans l’immensité de l’étage. Oui. Il fallait qu’il reste là, qu’il dorme là. Ne serait-ce que pour se retrouver lui-même.


  Alexandre avait abandonné une partie de ses souvenirs et de sa vie quand il avait quitté le Gévaudan. Etrangement, tout ce qui avait trait à cette région, et a fortiori à ce lieu, avait complètement quitté sa mémoire. Certaines personnes oublient une partie de leurs souvenirs mais se souviennent d’autres marquants. Bons ou mauvais. Lui… Non. Rien. Pas la moindre trace d’une vie dans cette région.
  Les légendes du Gévaudan se mélangeaient d’autres images. Impossible de faire la part des choses.
  En réalité, les seuls souvenirs qu’il lui restait étaient assez désagréables. Ils concernaient Renaud et leur amitié. Il se souvenait qu’une dispute avait eu lieu entre eux, mais il ne parvenait pas à s’en remémorer la cause. Quelques flashes lui revenaient en mémoire à l’occasion mais c’était flou et mélangé. Il se revoyait se battant violemment sans aucune raison avec celui qui était son frère. Il revoyait leurs deux pères se jauger du regard mais sans échanger un mot, chacun rentrant ensuite chez soi avec son rejeton sous le bras.
  Il espérait que dormir ici réveillerait sa mémoire et lèverait le voile sur un certain nombre de souvenirs.
  Cette maison était immense. Il comprenait mieux pourquoi l’ancien notaire hésitait entre manoir et château. Mais cette maison était au-delà de tout cela. Elle semblait être une juxtaposition d’excroissances de pièces. Une pièce donnant sur une autre pièce, donnant sur une autre pièce, et encore une autre, et une autre… Il avait le tournis rien qu’en y pensant.
  Oui il fallait définitivement qu’il reste là. D’une certaine manière cette maison l’appelait, l’accueillait, le remerciait d’être rentré chez lui. Comme une vieille amie qui lui aurait dit : « Tu m’as manquée ».
  Il se frotta le visage de ses mains pour se réveiller tout à fait. Les souvenirs de la veille l’ayant plongé dans une sorte de léthargie où défilaient devant ses yeux ouverts, projetés sur le plafond par la caméra de sa mémoire, les images des derniers jours.
  Quand il fut complètement réveillé, il se redressa et se leva. Il sentit sous ses pieds les lames de parquet, le toucher naturel du bois. Et cette sensation l’apaisa tout à fait. Ca c’était bien réel. Il se souvint que petit il aimait ce contact quand il se levait le matin. L’irrégularité du bois, sa chaleur naturelle qui tranchait avec… Avec la froideur du carrelage de la salle de bains ! Oui c’était bien ça. Petit il aimait se promener à l’étage parce qu’il marchait pieds nus sur le bois et il aimait moins les autres pièces au carrelage froid. La douceur mêlée à la rugosité par endroits du bois, il caressa de son pied le plancher et se leva franchement.
  Tous les matins, Alexandre rejouait les mêmes scènes, les mêmes gestes. Cela le rassurait. Bien réveillé, debout, il but le verre d’eau qu’il avait préparé la veille. Il avait lu quelques temps plus tôt que s’endormir en ayant bu un verre d’eau et se réveiller avec un verre d’eau était la meilleure chose pour protéger le corps. Depuis il avait deux verres. Un pour le soir, un pour le matin. Pour qu’elle raison n’avait-il pas tout simplement une bouteille ? Quelle quantité boit-on réellement avec une bouteille ? Le verre est une unité de mesure fiable. Il enfila sa robe de chambre qu’il avait posée sur le pied du lit en bois. Dans le Gévaudan, les étés ont des nuits froides. Le climat continental se fait ressentir selon les périodes. Il ne savait pas comment mais il savait que les nuits étaient fraîches. Il était en train de rabattre son pan de robe et s’apprêtait à faire le nœud quand il interrompit son geste. Oui... Les étés sont frais la nuit et l’hiver on gèle. Des images de neige, de landes recouvertes de neige… Des traces de pas dans la neige laissées par… C’était indéfinissable… Des bottes ? Non… Une averse de neige. Des flocons. Des voix. Une chasse… Quelle chasse ? … Une maison, petite, des bougies pour s’éclairer… Alexandre secoua la tête. Ces images ne lui disaient rien. Un coup d’oeil sur sa table de chevet lui apporta un semblant de réponse : Un Roi Sans Divertissement, Jean Giono. Alex, mon vieux, il faut vraiment que tu te reposes. Un café te fera du bien.


  Il fonctionnait au ralenti ce matin. La cafetière italienne avait beau lui siffler qu’il était temps d’arrêter les plaques de cuisson, il ne s’en souciait pas. Appuyé sur ses deux mains autour des plaques à induction, il essayait vainement de remonter le fil des souvenirs de ce matin. Machinalement, comme sorti d’un rêve sans forme, il éteignit la plaque. La cafetière cessa aussitôt sa mélodie. Mais Alexandre ne broncha pas.


  La cuisine contrairement au reste du manoir, en tout cas de ce qu’il en avait vu, tranchait par sa modernité. Si l’on partait du principe qu’une telle maison se transmettait de génération en génération, on pouvait postuler qu’elle datait du dix-huitième siècle. Au vu de l’état de la chambre, de l’escalier et du hall, ainsi que de quelques autres pièces qu’ils avaient traversées la veille, on pouvait supposer que les différents propriétaires avaient eu à cœur de ne pas abîmer le style d’origine. Pourtant la cuisine sortait de cette harmonie générale.
  Elle faisait au minimum, et parce qu’Alexandre n’avait pas vraiment la notion des distances, quarante-mètres carrés. Une grande table centrale, en chêne massif au centre avec des bancs autour et deux chaises lourdes à chaque extrémité. On pouvait tranquillement y manger à huit. C’était une table qui avait dû accueillir plusieurs repas de famille ou des cafés avec de nombreux amis. Huit personnes. Ce nombre lui donnait le tournis. Comment pouvait-on être à huit en même temps : le bruit, l’agitation, les cris… Ce devait être invivable.
  Hormis la table au centre et le grand foyer ouvert comme dans tout le reste de la maison, le reste de la pièce était plutôt moderne. Des fenêtres spacieuses de chaque côté opposé de la pièce, au-dessus de l’évier et sur le mur d’en face, éclairaient largement les lieux. Manifestement cette pièce était traversante. On l’avait sans doute souhaité ainsi pour pouvoir apporter à manger dans les deux ailes principales de la maison sans avoir besoin de traverser une infinité de couloirs, mais il était aussi probable qu’en étant traversante, on ait voulu en faire un lieu central, de convergence familiale, bien plus que le salon ou même que le hall.
  Sous la fenêtre on avait manifestement refait l’évier avec un grand bac en inox et l’égouttoir. Le robinet-douchette n’était pas d’époque, même si on avait pris le soin de trouver un style vintage. Un lave-vaisselle, un frigidaire américain qui avait dû servir de duplex un temps tant il était grand, un congélateur armoire juste à côté. Rien de surprenant à cela, les hivers au Gévaudan pouvaient rendre les voies impraticables et les gens avaient l’habitude de stocker. Et les fameuses plaques à induction. Il y avait deux plaques de soixante centimètres. Une huitaine de feux, modulables, avec minuterie. Bref, le top du top. Et juste à côté un four encastré grande taille et un grand micro-onde. Au plafond de grandes plaques LED éclairaient la pièce, reliées à des variateurs d’intensité. Manifestement, les anciens propriétaires, ou du moins l’une des dernières générations, acceptaient de s’éclairer à la bougie et de se chauffer à la cheminée mais il était hors de question qu’ils cuisinassent avec un feu de camp.


  Assis sur une chaise, au bout de la table, le bol de café refroidissant lentement, et quelques tartines de pain frais préparées, Alexandre regardait fixement la clef qu’ils avaient découverte la veille. Elle reposait sur la table devant le bol et semblait se moquer de lui. Elle n’avait rien de particulier, une simple clef en fer brun d’un ancien temps. D’un temps de grand-mère et de confitures maison. Seul l’anneau était particulièrement travaillé avec des entrelacs celtiques qu’il data du XVIème siècle. Ils semblaient former une sorte d’animal en cercle où la tête et la queue s’entremêlaient, autour d’une espèce de huit stylisé.
Ne perds jamais cette clef ! Tu m’entends bien ? Ne la perds jamais ! Garde là toujours avec toi !
Un homme. Grand. Carré. Au visage de docker. Il le regarde par au-dessus. Un adulte. Son père. Il doit avoir une petite dizaine d’années. Mais il lui parle toujours sèchement.
  Un lacet de cuir. Un simple lacet de cuir noir, tout ce qu’il y avait de plus commun. Il se souvenait que cette clef était attachée à un simple lacet de cuir noir et qu’il portait ce lacet perpétuellement autour du cou. Avec le temps ce cordon avait dû casser ou se détériorer et cela ne l’étonna pas qu’il n’y fût plus. Ce qui le surprit en revanche, fut le fait que cette clef qui aurait dû être perdue fut retrouvée. Par qui ? Pour quoi ? Par qui ? Surtout par qui. Qui avait pu retrouver cette clef, et la mettre dans une enveloppe kraft à son attention ? Il se leva, sa tasse de café à la main et alla dans le hall chercher l’enveloppe A5 qui était posée sur le guéridon de l’entrée avec le reste du courrier de la veille.
  Un nom, le sien. Pas d’adresse. Pas de timbre. Autrement dit, on l’avait déposée là à son attention particulière, en sachant qu’il allait revenir dans CE manoir à CETTE date précise. Toujours debout devant le guéridon, l’enveloppe à la main, la tasse dans l’autre, il avala une longue gorgée de café. Le liquide le réchauffa un peu et lui éveilla les idées. Il tourna l’enveloppe en tous sens. Rien. Pas la moindre marque, pas le plus petit froissement. A croire qu’elle avait été déposée sitôt fermée directement dans l’enveloppe. Un voisin ? Il aurait été surveillé de loin ?
Où est-il ?… Poursuivons-le… Des hommes… Seules résonnent autour de lui des voix. Des voix d’hommes manifestement… Il doit leur échapper.
  Le cauchemar s’effaça aussi vite qu’il était remonté à la surface. Alexandre était convaincu que la veille quelqu’un avait fui dans la forêt. C’était la raison pour laquelle il avait couru à perdre haleine. La clef lui avait rappelé un souvenir dans la forêt, mais là-bas, il avait entendu des voix. Il en aurait mis sa main à couper. Aucun doute, il y avait eu un homme aux abords du manoir qui avait surveillé son arrivée et glissé cette enveloppe dans la boîte aux lettres peu de temps après. Il aurait sans doute été dérangé par Julie, peut-être même l’avait-elle vu, et il aurait fui par la forêt.
  Il reposa l’enveloppe qui ne lui donnait aucun indice et alla vers le téléphone gris à cadran qui attendait patiemment dans l’angle opposé de l’entrée. Une antiquité comme celle-ci fonctionnerait-elle encore ? Il décrocha et le poids de l’appareil le surprit. Il y avait une trentaine d’années que l’on n’utilisait plus ces appareils et il ne s’était pas rendu compte, combien les portables avaient changé leur quotidien. Pas de tonalité. Ce n’était pas très surprenant. Bien que Renaud ait demandé la restauration de la ligne trois jours plus tôt, à l’époque de la fibre les réseaux commutés ne fonctionnaient plus. Et ces appareils ne fonctionnaient qu’en commuté. Il finit son café et après l’avoir déposé dans l’évier, remonta dans sa chambre pour appeler de son portable.
  — Alex ? Le jeune notaire avait saisi son téléphone portable sitôt que celui-ci avait commencé de vibrer sur la table.
  — Bonjour Renaud, excuse-moi de te déranger si tôt mais j’ai besoin d’un renseignement.
  — Ca va, ne t’inquiète pas. Je suis déjà debout depuis plus d’une heure. Tu sais comment je suis… Vas-y, dis-moi ?
  — Tu sais la clef que nous avons trouvé hier, je me demandais… Hormis Julie et toi qui savait que nous venions visiter le manoir ?
  — Tu veux dire en-dehors du président des Etats-Unis et Nick Fury ? Personne bien sûr. A part Julie, personne n’était au courant. Pour quelles raisons aurais-je prévenu d’autres personnes ? Je suis plutôt du genre discret sur les traitements des dossiers, et encore plus avec toi.
  — D’accord. Merci… Et Julie ? Tu as pleinement confiance en elle ?
  — Euh… Oui… Enfin… C’est clair que je ne la connais que depuis quelques jours mais j’ai un bon pressentiment. Où veux-tu en venir ? Que se passe-t-il ?
  — Rien. Est-ce que tu penses qu’elle aurait pu en parler à quelqu’un ? Même involontairement. Au détour d’une conversation, ça lui aurait échappé.
  — Je ne pense pas. A part nous deux elle ne connaît personne, elle est arrivée il y a deux semaines tout au plus. J’ai le droit de te dire que tu es bizarre ?
  — Oui. Non. Enfin… Je réfléchissais à cette clef. Et plus j’y pense plus je me dis que quelqu’un l’a mise là intentionnellement. Et que ce quelqu’un savait que j’allais venir, et quand j’allais venir. Et je suis convaincu que ce quelqu’un était là quand je suis parti dans la forêt. J’ai entendu des voix.
  — Alex… Renaud sembla chercher ses mots pour ne pas froisser son ami. C’est du délire. Personne ne savait que tu venais et Julie ne connaît personne. Comment veux-tu que cette hypothèse tienne la route ?
  — Tu as déjà mangé ou tu veux venir déjeuner avec moi et voir de tes propres yeux ? Amène Julie pendant que l’on y est.


  Une vingtaine de minutes et une cafetière italienne plus tard, Alexandre avait expliqué sa théorie à Renaud. Celui-ci prit le temps de finir son quatrième œuf brouillé, au ketchup, avant de répondre.
  — Je reconnais que le coup de l’enveloppe est étrange. Mais bon sang, Alex, je te jure qu’il n’y avait personne. Julie et moi t’avons suivi presque immédiatement et si quelqu’un traînait dans le coin nous l’aurions vu. N’est-ce pas Julie ?
  La petite rouquine n’avait rien dit depuis le début de la conversation. Elle faisait mine de picorer dans le muësli maison qu’elle avait composé quelques instants auparavant, mais pour un observateur attentif le niveau n’aurait pas baissé d’un poil. A l’appel de son nom elle releva les yeux.
  — Hum… Oui…
  — Oui ? C’est tout ? Oui ! Merci de me soutenir sur ce coup-là.
  — Non. Mais je veux dire, oui nous n’avons vu personne… Je peux voir l’enveloppe ? Demanda-t-elle en tendant la main vers l’objet, sur un ton qui indiquait clairement qu’elle était déjà passée à autre chose.
  Alexandre lui tendit l’enveloppe sans plus de formalité. Elle s’en saisit et la retourna dans tous les sens.
  — Il n’y a rien sur cette enveloppe, dit-elle.
  — En effet. Pas la moindre trace c’est ce que je vous disais. Elle est comme neuve.
  — Non ce que je veux dire c’est qu’il n’y a ni adresse, ni timbre, ni expéditeur, ni rien du tout. Et c’est écrit au Bic. Bref, pas un seul signe distinctif.
  — Oui. Du coup on ne peut pas remonter la piste.
  — Bon. Mettons, reprit Renaud. Et que comptes-tu faire maintenant ? Demanda Renaud à son ami de toujours.
  — Eh bien, une clef… Ca va dans une serrure, reprit Julie comme si la réponse coulait de source.
  — Exactement, dit Alexandre surpris par la pertinence de la remarque. Vous lisez dans mon esprit ? Oui. J’ai prévu de faire le tour de tout le domaine et de trouver dans quelle serrure va cette clef.
  Renaud laissa retomber bruyamment sa fourchette dans l’assiette. Celle-ci rebondit et envoya quelques morceaux d’oeufs brouillés sur le sol.
  — Sans rire ? Tu vas essayer cette clef dans toutes les serrures ? Tu te rends compte du temps que tu vas y passer ?
  — Eh bien disons que je n’ai pas grand-chose à faire de plus vital ici.
  Le reste du repas se fit dans un semi-silence. La réponse d’Alexandre était sans appel et il eut été inutile de poursuivre le débat. Ils finirent par discuter de tout et de rien. Ils parlèrent des derniers films, de quelques perles que certains clients avaient sorties au cabinet, Alexandre raconta son dernier mémoire historique.
  Julie écoutait avec attention. Son regard passait de l’un à l’autre, sans interrompre qui que ce soit. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Les garçons se comportaient comme deux frères qui ne se seraient pas vus depuis des mois et qui se donnaient des nouvelles. Même si la conversation principale était abandonnée, de simples échanges du quotidien avaient une puissance toute aussi forte pour garder ou recréer un lien. Les laissant à leur conversation, elle regarda le jardin par la fenêtre et un souvenir sorti des brumes de son esprit vint légèrement obscurcir son regard. Elle n’avait jamais vraiment eu de sœur. Du moins pas le genre de celles que le commun des mortels supposait. Que se serait-il passé si elle aussi avait pu partager sa vie avec quelqu’un de proche à ce point ? Pour que les deux hommes ne remarquent rien, elle préféra replonger le nez dans ses céréales.


  Le petit déjeuner fini, Renaud décréta qu’il était temps de partir. Ils étaient tous trois sur le pas de la porte.
  — Fais attention à toi pendant tes recherches. Tu verras ce que tu trouves mais prends aussi le temps de te reposer.
  Il jeta un œil à la jeune femme qui l’avait accompagné. La rouquine semblait de nouveau perdue dans ses pensées. Ce fut Alexandre qui reprit la parole.
  — Attends je vais chercher vos manteaux.
  Il les laissa un instant. Renaud en profita pour se tourner vers Julie. Maladroitement, il posa une main qu’il voulait tendre sur son épaule.
  — Julie qu’est-ce qu’il y a ? Tu n’as pas dit un mot depuis ce matin.
  — Rien. Je… Rien. Ca va.
  — Non ça ne va pas. Que se passe-t-il ?
  — Je… C’est ma mère. Julie détourna le regard. Les yeux de Renaud sur elle la mettaient mal à l’aise.
  — Quoi ta mère ? Ca ne va pas ? Tu as besoin de quelques jours ?
  — C’est ma mère… Elle… Elle est souffrante… Je… Je serai sans doute amenée à aller la voir régulièrement. Alors il faudra peut-être que j’aménage mon emploi du temps plutôt. Mais je démarre à peine chez toi et je suis déjà obligée de demander un aménagement de mon temps de travail…
  Elle se balançait d’un pied sur l’autre, visiblement gênée.
  — Ne t’inquiète pas pour ça. En peu de temps tu m’as donné envie de ne pas changer de secrétaire. Si tu veux on en reparle au bureau tout à l’heure.
  — Merci, articula-t-elle dans un souffle.
  Alexandre revint quelques secondes plus tard avec les manteaux de ses invités. Ces derniers récupérèrent leurs affaires et ils se séparèrent. Chacun retournant à ses occupations.

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