Prologue - Catacombes de Florence, Italie, 1564

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La jeune fille brune tenta de suivre le murmure des voix qui se répercutait contre les murs un peu moisis des catacombes. Une mélopée lancinante, comme un grognement, envahissait les lieux.

  Plus elle tentait d'avancer dans les profondeurs, plus la lueur de la flamme que produisait la lampe à graisse de porc, qu'elle avait chipée dans la cuisine, semblait vouloir s'échapper de cet endroit.

  Elle savait qu'elle n'avait pas le droit d'être là. Elle savait qu'elle était encore trop jeune pour se trouver là. Seules les officiantes et les Soeurs pouvaient descendre dans les catacombes. On ne devenait Soeur que vers la cinquième ou sixième année. Et encore il fallait passer des tests d’aptitudes. Toutes les Soeurs n’étaient pas choisies pour assister au rituel. Cependant, depuis qu'elle était entrée au couvent, elle n'en avait toujours fait qu'à sa tête. La Mère Supérieure l'avait déjà plusieurs fois molestée pour son comportement. Coûte que coûte, elle avait tenu à savoir ce qui se tramait dans les sous-sols. Alors, cette nuit, elle les avait suivies. Malheureusement, le groupe l'avait rapidement devancée et voici qu'elle était perdue. Elle tournait en rond depuis plusieurs minutes, convaincue que les autres n'étaient pas loin, mais incapable de les retrouver.

  Elle baissa la lumière un instant et les ténèbres vinrent la recouvrir de leur voile de nuit et de froid.

  Le son de la mélopée revint aussitôt. Elle releva la tête et accéléra le pas dans la direction du chant.

  Quelques minutes plus tard une lueur jaune orangée l’accueillit jaillissant d'une crypte qu'elle n'avait pas vue auparavant. Cachée derrière un pan de mur, sa lampe à graisse soufflée, elle observa la cérémonie en silence.

  Elles étaient cinq. Comme cinq autres, une génération avant elles. Et cinq autres encore avant.

  Malgré la longue toge noire à capuche, on reconnaissait bien leurs courbes de femmes. L'une d'elle, qui manifestement dirigeait la cérémonie, tenait entre ses mains un énorme livre ouvert. Au centre de toutes ses femmes se tenait un homme, torse nu, les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Deux femmes tenaient les cordes qui le maintenaient suffisamment tendues pour qu'il ne puisse s'échapper. De chacune d’elle on n’eut pu décrire quoi que ce fut. Les capuchons recouvraient tout autant leurs visages que leur cheveux, même leurs mains étaient gantées et aucun signe distinctif ne permettaient de les différencier. La capuche couvrait d’une ombre infranchissable les moindres traits du visage. On eut dit des démons sans corps.

  Celle qui tenait le livre répétait des paroles d’une voix inaudible, comme pour elle-même, tandis que les quatre autres autour de l’homme chantaient un même refrain en boucle, d’une manière monotone. Le tout avait un effet hypnotique. Entraîné par l’harmonie bourdonnante des voix, l’homme au centre se balançait.

  Si la jeune fille n'était pas capable de reconnaître les paroles prononcées, elle savait que cette langue était l’une des toutes premières à être apparues sur Terre et qu’elle ne servait qu’à une chose : invoquer des archidémons. Plus tard, quand elle serait en troisième année, elle en apprendrait les bases.

  Elle ne pouvait pas détourner le regard. La scène qui se déroulait sous ses yeux était irréelle.

  Alors l'officiante s'approcha de l'homme et sortit un couteau à double-lame. La jeune fille reconnut tout de suite un athamé, ces couteaux d'offices magiques utilisés dans les sacrifices païens.

  Puis la femme saisit la lame dans sa main libre et se coupa la paume. Magicienne ou pas elle avait dû avoir mal, car elle laissa échapper un cri. La jeune fille détourna les yeux quelques secondes choquée par ce qu’elle venait de voir. De sa main libre, la femme plongea un index dans son propre sang et commença à peindre sur le torse de l’homme des signes. Il était impossible de savoir ce qu’ils représentaient exactement, car à peine posé sur sa poitrine, le sang se mettait à dégouliner en longues coulées bordeaux qui finirent par recouvrir tout le torse de l’homme. Si la jeune fille n’avait pas vu la scène dès le départ, elle aurait pu croire à cet instant que c’était l’homme que l’on avait charcuté au couteau.

  Comme pour contempler son œuvre, l’officiante recula et reprit sa place. L’une des Soeurs s’approcha de nouveau de l’homme et entailla son bras. L’homme retint un râle. La Soeur plongea de nouveau son doigt dans le sang de l’homme et s’approcha de l’officiante. Cette dernière avait ouvert sa robe, et si l’on ne pouvait toujours pas distinguer son visage on ne pouvait pas faire abstraction de ses seins désormais à nu. La Soeur peignit le même genre de symbole et de nouveau le corps se recouvrit de cette pluie ocre. Les voix se firent alors plus fortes, toujours lancinantes, toujours les mêmes paroles, toujours la même mélodie. Mais plus forte. Plus insistante. Presque un cri maintenant. Et soudain sous les yeux de la jeune fille, les cordes nouées tombèrent au sol, vides : l’homme venait de disparaître et avec lui la Soeur aux peintures sanglantes.

  Sous le choc, la jeune fille brune plaqua ses mains à sa bouche pour étouffer un cri. La lampe de graisse tomba au sol et fit, dans ce dédale de pierres, un fracas à réveiller les morts. Toutes les femmes se tournèrent vers l’ouverture de la crypte, l’une d’elle se précipita pour aller voir et parvint à l’ouverture en quelques secondes.

  Au sol elle ne trouva qu’une vieille lampe de cuivre qui laissait couler une graisse de porc rance et encore chaude.

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