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Renaud Taillefer chercha avec nervosité le trousseau de clés dans sa poche. Il y avait dessus la clef de sa voiture, ses clés de maison et celles de la maison de sa cousine. Elle avait une villa secondaire dans le petit village, dans le passage de la Crouzette avec une vue sur le lac du Moulinet, et lorsqu’elle n’était pas là, c’était Renaud qui passait régulièrement voir si tout allait bien et lui mettre le chauffage en marche quand elle devait venir. Le trousseau faisait déjà un bon poids, mais il portait en plus maintenant la clef de ce petit local. Il avait lu dans les annonces régionales que l’office était en vente.

  Depuis qu’il était parti de son village et qu’il avait fini ses études. Il n’avait attendu qu’une chose, c’était de pouvoir y revenir et s’installer dans le village de son enfance. Alors sitôt qu’il avait vu l’annonce, il avait saisi son téléphone et appelé l’agence immobilière.

  Les travaux s’étaient terminés deux jours avant. Ils avaient duré trois mois. Tout était à refaire depuis la simple décoration jusqu’à l’électricité, le gaz et la plomberie. Ce qui au départ ne devait être qu’un simple coup de peinture, avait mis à jour des travaux de plus grande ampleur au fur et à mesure : derrière un bout de papier peint un trou dans le placo grand comme une soucoupe, sous la moquette des traces d’infiltration, derrière une corniche un fil électrique dénudé donnant sur rien… Les ouvriers avaient travaillé sans relâche pour que l’office soit rapidement disponible. Et le travail avait été parfait. Renaud y avait déboursé la moitié de ses économies mais il ne regrettait rien. Il avait toujours souhaité revenir ici, travailler ici et il avait un bon pressentiment.

  Il leva la tête et regarda au-dessus de la porte l’enseigne en fer forgé qu’il avait commandée à un forgeron quelques semaines plus tôt. Elle se balançait doucement dans la brise, suspendue à ses courtes chaînes. Il avait aimé l’aspect désuet, comme intemporel du bronze. Il avait trouvé que cela donnerait un cachet rassurant au bâtiment. Comme une espèce de vieille marmite de grand-mère que l’on transmet de génération en génération et sans laquelle le pot-au-feu n’aurait pas le même goût. Une enseigne en fer forgé, ça rassurait, ça signifiait aux gens que l’office était là depuis longtemps, qu’elle le serait encore un bon moment, et que les gens qui y travaillaient ne vous abandonneraient pas du jour au lendemain. Il espérait aussi que cela la distinguerait des autres et qu’ainsi les clients ne le louperaient pas.

  Alors, maintenant qu’il se tenait devant la porte, en repensant à toutes ces promesses que contenaient une simple enseigne, à quelques secondes d’ouvrir, sa main se mit à trembler et la clef refusa de se glisser dans la serrure. Renaud, se redressa, laissa pendre sa main le long de son corps et inspira profondément. Il compta mentalement jusqu’à vingt, le temps que son coeur se calme, puis posément il inséra la clef dans le canon de la serrure. Le verrou fit un bruit caractéristique et la porte s’ouvrit.


  Le local était petit mais agréable. Le bâtiment se divisait en trois pièces. C’était manifestement un local professionnel, pas une simple habitation réhabilitée en bureau. Il y avait un tout petit coin cuisine, des toilettes, et deux pièces séparées par une porte. La plus grande faisait office de salle d’attente et de secrétariat. Quatre chaises en bois, toutes simples, attendaient près de la porte d’entré. En face, à l’angle du mur de la porte, un bureau moderne, assez spacieux pour y contenir un ordinateur, une imprimante et un standard téléphonique. Derrière, une chaise de secrétariat à haut dossier, en tissu gis, avec accoudoirs.

  N’importe quelle personne qui serait entrée sans lire l’enseigne aurait juré se trouver dans un cabinet de médecin. Mais sur la porte qui jouxtait le bureau était écrit en lettres noires dans un ovale en cuivre : Maître Renaud Taillefer, Notaire.

  Renaud se pencha pour ramasser le peu de courrier qui était tombé derrière la trappe de la boîte aux lettres de la porte d’entrée. Le jour de l’ouverture de son étude il ne s’était pas attendu à recevoir une tonne de courrier et il n’avait pas encore fait aménager un bac de réception, celui-ci était d’ailleurs toujours en transit quelque part entre Poitiers et Le Gévaudan. Renaud avait eu un message de la centrale d’achat « Voulez-vous savoir où se trouve votre colis ? ». Il avait répondu à haute voix qu’il se moquait de savoir où était son colis, ce qui l’intéressait c’était qu’il soit arrivé chez lui. Il regarda la liasse de courrier dans sa main. Les quatre enveloppes perdues au milieu des publicités semblaient assez conséquentes.

  Il se dirigea sans se presser vers son bureau tout en regardant l’ensemble du courrier.

  Son bureau était typique d’un notaire de province, dans un village : un grand bureau en noyer, deux fauteuils en cuir pour les clients, et le sien en cuir noir, haut, confortable et manifestement articulé par des vérins.

  Sur son bureau, il n’y avait rien. Renaud s’assit sur le haut fauteuil puis posa sa mallette au sol. Il en sortit une boîte en bois. On eut dit un plumier. Et réellement dedans il y avait deux stylos plumes, en verre. Renaud adorait la calligraphie. C’était d’une certaine manière, l’une des raisons qui l’avaient poussé à devenir notaire. L’amour des belles écritures, la possibilité de lire et de rédiger « à l’ancienne » des testaments paraphés à la main, rédigés avec des pleins et des déliés pour en montrer tout le respect que l’on portait aux dernières volontés du client. C’était aussi la possibilité de fouiller dans des archives personnelles de clients et d’y trouver des bijoux de graphie sur des lettres d’un autre temps. Comme des témoignages vivants et inaltérables d’une époque révolue où la vie était simple et belle.

  Il posa aussi un verre pour boire et installa son combiné téléphonique pour qu’il puisse être relié au standard.

  Il jeta un œil à sa montre et constata qu’il était huit heures vingt-cinq, dans cinq minutes, la jeune femme qu’il avait embauchée comme secrétaire devrait arriver. Et si elle arrivait en retard ? Ou si elle n’arrivait pas tout court ? Que ferait-il ? Renaud se demanda s’il aurait le courage de la renvoyer pour en chercher une autre ou s’il lui laisserait une autre chance. Il savait qu’il pencherait pour la seconde solution. Il n’était pas dans sa nature de s’acharner sur les gens, personne n’était parfait. Peut-être qu’elle n’avait pas pu venir aujourd’hui pour une raison indépendante de sa volonté mais que demain… Des bruits légers de talons aiguilles résonnant sur le parquet fraîchement posé le tirèrent de ses pensées. Il regarda machinalement sa montre. Huit heures trente. Une main tapa à la porte.

  - Monsieur Taillefer ? C’est Julie. J’avais rendez-vous ce matin… Monsieur Taillefer ?… Mons…

  La porte s’ouvrit et Renaud apparut souriant.

  - Entrez Julie, excusez-moi j’étais perdu dans mes pensées. Appelez-moi Renaud. Nous allons travailler ensemble maintenant.

  - Bien mons... Renaud. Désirez-vous un café ? J’ai apporté une machine pour mon coin de travail. J’en bois régulièrement et je me suis dit que pour les clients ce serait un plus pendant qu’ils attendraient.

  - Oui je veux bien. Et rejoignez-moi dans mon bureau : il faut que l’on s’organise pour le quotidien. Oh ! Et pendant que j’y pense, moi c’est « Renaud tu... »… « Vous » c’est mon père.


  La jeune femme à lunettes, rousse, aux cheveux longs attachés en queue de cheval entra portant deux tasses de café chaudes dans les mains. Sa jupe blanche à pois rouges, dans le plus pur style des années soixante, virevolta quelques secondes autour de ses jambes. Dans le haut un chemisier jean à manches courtes rappelait que l’on était en été malgré les voiles légers de nuages gris qui traversaient le ciel par moment.

  Elle avait calé un bloc-notes sous son bras gauche et un crayon à papier sur l’oreille. Elle essayait de ne pas renverser les tasses mais dans le même temps elle venait d’ouvrir la porte sans ses mains en essayant de ne pas faire tomber le bloc-notes. Renaud, vif par nature, se précipita au devant d’elle et saisit les deux tasses.

  - Merci, dit-elle avec un sourire.

  - Asseyez-vous. Nous allons essayer de trouver un rythme pour le quotidien.

  - Tu sais, si je dois te tutoyer, ce pourrait-être plus simple que ce soit pareil pour moi. Elle avait dit cela en rougissant presque, d’une voix discrète mais claire.

  - Okay. Si ce n’est pas un manque de respect pour vous… Pour… Toi… Il esquissa un sourire gêné. Ca va venir, il faut que je m’y fasse. Donc. Nous partons sur des horaires neuf heures, dix-sept heures. Tu ramasses le courrier du matin et tu tries l’important de ce qui va à la poubelle. Nous ne serons sans doute pas débordés les premiers temps, mais il faut tout de même que les actes notariés du village soient référencés et peut-être révisés. Ce qui implique peut-être d’appeler des légataires. Je te donnerai un coup de main au mieux pour l’installation dans les premiers temps, mais dès que le travail va commencer à s’accumuler je…

  - Pas de souci c’est mon travail. Et puis, si tu mets le nez dans mes affaires, je ne pourrai pas avoir de méthode de classement qui me corresponde et qui me rendra performante, indispensable.

  Elle se mit à rire. Renaud en resta interdit. Il n’avait jamais vraiment fréquenté les filles, ni les gens en général. Il était… D’une autre époque. Une époque désuète faite de « je vous prie, auriez-vous l’obligeance... » Des mots que les jeunes ne comprenaient plus et que les plus âgés considéraient comme pédants. Alors, voir une jeune femme rire en sa présence comme une amie de longue date le décontenança.

  - Très bien… Euh… Donc pour le reste, vous relirez mes courriers, vous les taperez… Et tu t’occuperas de mon planning, se reprit-il devant l’air faussement sévère de sa secrétaire. Pour le reste on verra au fur et à mesure.

  - Je ne veux pas que tu t’occupes de mon café sauf si tu en fais un pour toi… Working Girl, ajouta-t-elle devant la mine déconfite de son patron Mélanie Griffith quand elle prend la tête de l’entreprise et qu’elle donne le travail à sa secrétaire… « Otez votre pétard osseux de mon Soleil ! » … C’est culte ! On a tous rêver de dire ça à notre patronne un jour. Sans rigoler tu n’as jamais vu le film ? Il faudra que l’on se le fasse un soir…. Enfin je veux dire, se rattrapa-t-elle brusquement, un jour. Un jour je te le passerai… Pour que tu le regardes… Tout seul… Ce n’est pas l’idéal comme prise de contact que de dire à son patron que l’on est fan de Working Girl non ?

  - Si. Au contraire. Je crois que c’est la meilleure des façons…. Très bien Julie, je… J’ai des choses à aménager et il faut que je jette un œil au courrier. Donc si c’est bon pour toi…

  - Compris. Je m’en vais. Juste une question. Quand est-ce que l’on a internet ?

  - En principe ils viennent nous l’installer demain. Mais autant te le dire tout de suite je ne vais pas pouvoir t’aider beaucoup pour ces trucs. Je ne comprends pas comment ça marche et je n’en vois pas l’intérêt. Un annuaire papier ou un dictionnaire ont toujours été lisibles et accessibles même en cas de panne de courant… Alors ce truc…

  La rouquine se tenait sur le pas de la porte, une main sur la clenche. Elle se retourna un sourire aux lèvres.

  - Pourquoi ne suis-je pas surprise ? Je crois vraiment que tu vas avoir besoin de moi pour que je t’explique plein de choses…

  Une fois de plus Renaud en fut déstabilisé.


  Il saisit la tasse de café qui avait pris le temps de refroidir juste ce qu’il fallait et se recula dans le fauteuil. Il était confiant pour la suite. Les choses se présentaient bien.

  La pile de courrier était éparse sur le bureau. Au milieu des annonces de Lidl et autres magasin de bricolage quatre grosses enveloppes pointaient leur nez. L’une d’elle, toute blanche contenait les formulaires administratifs de sa prise de fonction de notaire dans le village. Il la reconnut immédiatement. Les autres étaient en kraft. C’était manifestement des enveloppes personnelles. Le genre d’enveloppe envoyées par des particuliers pour faire valider des documents comme un achat de maison ou un travail. Il les ouvrit et regarda rapidement leur contenu. L’une contenait une vente de maison, il s’agissait des documents nécessaires à la validation de propriété. C’était manifestement une vente qui avait été faite par l’ancien notaire, celui qui avait pris sa retraite et que Renaud remplaçait. L’achat de l’office s’associait au rachat de clientèle. Autrement dit, les actes notariés de son prédécesseur lui incombaient automatiquement. L’autre était un courrier pour renouveler une concession de cimetière.

  La dernière enveloppe était blanche. C’était une enveloppe à fenêtre. Une enveloppe officielle. Professionnelle. Le tampon dans le coin en haut stipulait qu’il s’agissait d’une enveloppe envoyée par un confrère. Celle-ci intrigua Renaud. Pourquoi un confrère lui écrirait-il alors qu’il venait tout juste de s’installer dans cette office ? Et surtout qu’il n’avait pas encore renvoyé les papiers officiels. Il posa sa tasse sur le bureau et saisit l’enveloppe. Il décacheta le dos encollé et sortit les papiers qu’elle contenait. Il survola quelques pages puis reposa lentement l’ensemble des feuillets.

  - Julie ?

  - Oui ? Répondit une voix étouffée.

  - Je voudrais que vous m'appeliez le bureau de notaires...

  - Non, entendit-il fermement.

  - Hein ? Ah bon. Dans ce cas, je vais le faire...

  - Non. Tu ne le feras pas parce que c'est mon travail. Julie était venue jusques à la porte et elle avait apporté avec elle un petit sourire amusé. Je te passerai ce coup de fil quand tu m'auras dis Tu.

  - D'accord... Alors, euh, bon, tu m’appelles le bureau de notaires de… Il saisit l’enveloppe… De Nîmes. Maître Branchand… Tu lui demandes s’il peut passer ou s’il souhaite que je vienne. C’est en lien avec la succession Brigaud.

  Il entendit Julie composer le numéro puis échanger quelques mots avec un interlocuteur. Quand ce fut fini, il l’entendit se déplacer jusqu’à lui.

  - Alors. Il est très content qu’on l’ait appelé mais il préfère que tu y ailles parce que c’est… Comment a-t-il dit… « Une situation vraiment rocambolesque ». Je me suis dit qu’un type qui utilise rocambolesque sans accrocher sur le mot devait absolument avoir ta visite. Il t’attend à quatorze heures.


  La Triumph essaya tant bien que mal de trouver une place sur le parking du notaire mais dût déclarer forfait à la troisième tentative. Renaud décida donc d’aller se garer dans la rue. Il adorait sa voiture. La Triumph T26 affichait une couleur gris bleuté. Les fauteuils en cuir marron, ainsi que les rétroviseurs, le levier de vitesse et la radio étaient d’époque. Le moteur avait dû avoir quelques modifications, surtout à cause de l’essence moderne utilisée, mais tout le reste du véhicule était d’origine. Renaud en était très fier. Il avait passé des semaines, à chercher LA pièce à remplacer, à chercher la vis typique… Et au final la voiture avait pris un coup de jeune et était repartie pour… Le plus longtemps possible. Renaud lui jeta un dernier coup d’oeil, comme s’il voyait pour la dernière fois ses rétroviseurs, les caressa d’un doigt et eut l’air de prier qu’il ne leur arrive rien. En empoignant sa pochette, il avait tourné la page. Tout son esprit était désormais tourné vers l’affaire qui l’avait amené ici.

  - Maître Branchand je présume ? Demanda-t-il en tendant la main.

  - Maître Taillefer ? Entrez, je vous attendais. Répondit le petit homme rondouillard aux cheveux grisonnants en lui secouant si fort la main que Renaud craignit un moment qu’elle ne se déboîtât.

  Le petit homme le fit entrer dans un bureau aux murs couleur saumon, une couleur dont Renaud ignorait jusqu’à cet instant l’existence et cette ignorance avait été une bonne chose. Le petit homme s’assit derrière son bureau en tenant d’une main la cravate qui rebondissait sur son ventre et commença à parler.

  - Maître Taillefer, vous devez vous demander comment j’ai pu savoir que vous étiez arrivé et au-delà de ça, comment j’ai pu savoir que vous étiez notaire et même QUI vous étiez ?

  - En effet… Je… Suis assez surpris. D’autant que mes papiers de prise de fonction sont encore sur mon bureau.

  - Précisément. C’est exactement là où je veux en venir. Techniquement, vous n’existez pas dans la profession. Ne le prenez pas mal. Je veux dire que tant que vous n’avez pas déclaré votre prise de fonction, vous êtes introuvable. Alors comment ai-je pu deviner que vous étiez arrivé et quel était votre nom ? Eh bien, c’est maintenant que l’histoire devient intéressante. Café ?

  Renaud fit non de la tête et fronça les sourcils en se calant plus confortablement dans le fauteuil.

  - Commençons par la fin. Vous avez remarqué qu’il s’agissait de la succession Brigaud ? Bien. Cette famille était propriétaire depuis plusieurs générations d’un manoir, d’un château… Appelez-le comme vous voulez. Pour moi quand ç’a plus de mil mètre-carrés habitables et un terrain de six hectares, j’appelle ça un château. Bref. Ils étaient donc en possession de cette bâtisse depuis au moins cinq ou six générations. Et un jour un homme se présente à moi et me tend une enveloppe en me disant qu’il faudra que je la remette à Maître Renaud Taillefer qui sera installé le quatre Juillet au Buisson.

  - Un confrère ? Quelqu’un qui m’a connu pendant mes études et qui connaissait les Brigaud…

  - Non. Je ne pense pas. Je n’avais jamais vu cet homme. Mais effectivement il semblait vous connaître. Et…

  - Oui c’est ça. Un collègue. Vous savez, je ne suis pas sorti des études depuis longtemps. J’ai parlé à Benjamin Wolken. Ben est un très bon ami et… Oui ce devait être lui… Un grand brun, assez carré, avec des lunettes en ovale. Et avec une moustache à la Don Diego de la Vega, vous connaissez ? Zorro.

  - Non désolé, ça ne me dit rien. Il ne ressemble pas du tout à ça. Et… Est-ce que je vous ai dit que ce type était passé il y a environ quinze ans ?

  - Quoi ? Renaud se redressa dans son fauteuil, la bouche ouverte sur la dernière syllabe.

  - Oui, comme je vous le dis. Quinze ans. Quinze ans que je garde ça dans un coin de ma tête. Je l’ai noté, il y a quinze ans sur un bout de papier. Regardez, il est là derrière vous dans le cadre en verre. Je me suis toujours dit que ce type était cinglé, mais quelque chose au fond de moi voulait tenter le pari. Alors, j’ai pris l’enveloppe, je l’ai mise dans le coffre du bureau. Et je ne l’ai sortie qu’avant-hier pour vous la poster. J’ai vu que l’office du Buisson avait été rachetée. Alors j’ai tenté le coup…

  Le petit homme se recula sur sa chaise et croisa les mains sur son ventre. Il affichait un sourire satisfait en haussant les sourcils, d’un air de dire : « Ca vous épate, hein ? »

  Renaud lui répondit par l’affirmative avec un long silence. En fait il était en train de se demander s’il avait bien compris chacun des mots prononcés. Après tout, il avait parlé vite. Peut-être que Renaud avait compris « quinze » là où il avait articulé « cinq ». C’était une hypothèse possible, mais elle n’expliquait pas pourquoi ou plutôt comment ce type avait prévu qu’il prendrait ses fonctions ce jour-même.

  - Bien… Reprit-il lentement. En supposant que je vous crois, ou que je crois au quart du dixième de ce que vous venez de dire, avez-vous lu le testament ?

  - Oui. A l’époque. Je n’ai plus tout en tête.

  - Bien. Alors, quel rapport avec Brigaud ?

  - Ils sont… Etaient, se reprit maître Branchand, les derniers propriétaires de la demeure.

  - Oui mais quel rapport ?

  - Je ne sais pas. Enfin, si. J’ai une idée mais je n’ai rien de concret. Je crois que le père Brigaud était le gardien de la bâtisse. Vous savez ? A la fois jardinier, gardien, et garde-forestier. Un genre de factotum. Le vrai propriétaire a sans doute dû voulu le remercier en lui faisant don de la bâtisse. Mais en contre-partie, au décès du dernier descendant Brigaud, la propriété reviendrait au descendant du propriétaire ancestral.

  - Et ce gars-là, ce serait celui qui se serait occupé de la rédaction du testament ?

  - Oui sans doute. Le notaire de famille.

  - Quoi ? Vous ne le connaissiez pas ? Nous ne sommes pourtant pas nombreux dans notre milieu, ni dans notre secteur géographique.

  - Non. J’avoue que non. Et il était plutôt jeune. Il était probablement sortant. Malheureusement il ne m’a pas donné de nom, c’est dommage, il doit exercer toujours je pense.

  - De toute façon cela ne répond pas à toutes les questions…

  - Lesquelles ?

  - Eh bien… Avant toute chose, comment se fait-il qu’il ait su que j’allais prendre mes fonctions aujourd’hui ?

  - Vous êtes vous-même fils de notaire.

  - Absolument pas. Rien ne me prédestinait à être notaire.

  - Et le nouveau propriétaire ? Vous le connaissez ?

  - Oui. C’était mon meilleur ami pendant la scolarité. Nous nous sommes connus au collège et puis nous nous sommes séparés en Licence. Mais nous sommes toujours amis. Nous nous voyons régulièrement.

  - Dans ce cas, ce ne sera pas trop compliqué de le retrouver. Et Branchand partit d’un énorme éclat de rire.

  - En effet… Je… Vais vous laisser. Je suis ravi d’avoir partagé votre étrange histoire… Enfin je crois…

  Il entama le mouvement de se lever du fauteuil pendant que Branchand repartit d’un nouveau rire long et franc. Finalement, ce bonhomme n’avait pas un mauvais fond. Lui aussi devait trouver toute cette situation délirante mais à l’inverse, plus grand-chose ne pouvait le surprendre. Il raccompagna Renaud gentiment avec une main sur l’épaule. Lorsqu’ils arrivèrent sur le pas de la porte, le petit bonhomme ajouta :

  - Ne vous trompez pas. Moi non plus je ne crois pas aux fantômes. Malgré tout, cette situation est vraiment surprenante. Vous savez, vous avez quoi… Vingt-cinq, trente ans à tout casser. J’en ai soixante-cinq. J’ai tout vu dans ma vie. Mais je dois dire que je ne croyais pas du tout à cette histoire jusques à ce que vous frappiez à cette porte, il y a une heure. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas. Vous êtes un type bien Maître Taillefer. Je l’ai senti tout de suite. Raisonnable, posé, digne de confiance, curieux… Je serai ravi que vous repreniez mon office plus tard, si ça vous dit.

  - Merci Maître. J’y penserai, mais je ne vous cache pas que je suis très attaché à mon petit village.

  - C’est ce que je disais : digne de confiance… A bientôt Maître.

  Tandis que la porte se refermait, Renaud retrouva sa chère Triumph.


  Quelques heures plus tard il était de retour devant son office.

  - Julie, voici un numéro que je voudrais que tu me composes. Avant de décrocher tu me le transfères directement dans mon bureau.

  Quelques minutes après, tandis que Renaud était assis sur son fauteuil, les papiers de la succession Brigaud étalés devant lui et un café à portée de main, le téléphone sonna. Il porta le combiné à son oreille et attendit que la porteuse ait fini son travail.

  - Allo ! Alex? Oui c’est moi… Oui ça va. Et toi ? Et… Marlène ? … Non ? Déjà fini ? … Oui elle est arrivée ce matin, elle a vraiment l’air d’être bien. Dis, excuse-moi de te déranger en plein milieu de journée mais il faudrait que tu descendes dans les prochains jours… Ca concerne ton père… J’ai des papiers à te montrer…

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