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Quelques jours ont passés depuis notre ''soirée'' chez Augustin, et j'ai toujours pas reçu d'appel de la part de Georges, juste un court SMS me disant que j'avais plus à m'inquiéter de rien. Je sais que c'est à moitié vrai, mais j'ai pas insisté.

J'ai rappelé Johanna pour fixer notre réunion à cet après-midi. Elle a accepté avec grand plaisir : elle n'attendait que ça ! Je raccroche et sors de chez moi pour prendre le chemin du QG.

Mais je pose à peine un pied hors de mon quartier, qu'une dizaine de gars me sautent dessus. Attaquée par surprise, j'essaie de me défendre du mieux que je peux, mais je suis surpassée par le nombre. J'arrive seulement à mettre deux mecs au sol, après leur avoir balancé pieds et poings dans la tête. L'un d'eux se relève difficilement et me met une grande mandale dans la gueule, tandis que ses nombreux potes me tiennent de toutes leurs forces. Un grand coup m'atteint derrière la tête, je me sens partir...

Je me réveille attachée sur une chaise dans une pièce étrangement bien éclairée... C'est plutôt rare : d'habitude on nous enferme dans le noir quand on nous kidnappe. À moins que...

L'unique porte de la pièce s'ouvre en face de moi. Trois jeunes hommes entrent dans la pièce. Mon sourire s'étire sur mon visage tandis qu'ils s'approchent de moi :

« Je pensais qu'on avait réglé nos comptes.

_ Nous les avons bien réglés avec toi, Rachel, ne t'inquiète pas.

_ Que me vaut donc ce plaisir ?

_ Nous avons un échange à effectuer, ne t'en souviens-tu pas ?

_ Si, je m'en souviens très bien. J'attendais même que l'un de vous me contacte : je pensais à un coup de téléphone, mais bon... aucun moyen n'est interdit. »

Le plus vieux du groupe, m'adresse un regard interrogateur, tandis que je me retiens de rire. Cette situation est tellement inattendue ! Le plus jeune des trois s'exclame :

« Ne vous avais-je pas dit qu'agir ainsi n'était nullement gentleman ?! »

Le plus vieux continue après un moment de silence :

« ... Je ne pensais pas que tu respecterais notre accord aussi bien.

_ Je t'ai donné ma parole et je crois avoir la réputation de tenir mes promesses... »

Menteuse, me crie ma conscience : tu tiens pas les promesses que vous avez faites...

Le troisième jeune homme prend alors la parole :

« O-on devrait peut-être la détacher... non ?

_ ...Guiren. »

Le plus jeune s'avance vers moi et coupe mes liens à l'aide d'un couteau :

« Veuillez accepter nos excuses pour ce grand désagrément, Mlle Rachel ; ce n'était vraiment pas gentleman de notre part.

_ Du moment que vous me refaite pas le coup deux fois, ça me va, Liu Guiren. »

Il m'adresse un sourire rayonnant à l'entente de son nom. Bah quoi : on est plus en conflit que je sache ? Ça veut pas non plus dire qu'on est alliés, mais bon... On est partenaires. Le plus vieux reprend la parole :

« Nous ne recommenceront pas. Tu as notre parole.

_ Je vous fais confiance.

_ Merci.

_ Bien. Vous vouliez parler de quel aspect de l'échange ?

_ Nous souhaiterions récupérer notre équipement pendant les vacances : les flics seront plus attentifs aux trajets routiers que piétons. Ça te va ?

_ Ça marche. On reste sur le plan initial pour le trajet ?

_ Oui, le même trajet avec les mêmes équipes.

_ D'accord. Le 23, ça ira ?

_ Okay. »

J'ouvre la porte et m'apprête à sortir, avant de me rappeler :

« Au fait : faut qu'on s'organise quelque chose entre nos deux équipes. On a toujours pas fêté notre partenariat convenablement.

_ ...d'accord. Je t'appellerais.

_ Merci. »

Je sors finalement de la salle et l'un des hommes postés dans le couloir me raccompagne jusqu'à la sortie. J'atterris en pleine rue. Je lève les yeux vers le bâtiment derrière moi : un ensemble d'appartements citadins... Très bonne idée. Sûrement celle du plus vieux.

Je rejoins le QG avec dix minutes de retard et une cinquantaine de notifications de la part de Johanna. Je m'incline sous leurs regards amusés et interrogateurs :

« Excusez-moi pour ce retard : ce n'est pas du tout exemplaire de ma part.

_ ...Il t'est arrivé quoi ? T'es pleine de sang ! »

C'était donc ça les regards effrayés des gens dans la rue... J'avais pas fait gaffe que je m'étais foutu du sang partout.

« Les Frères Liu m'ont contactée : l'un de leurs hommes offre de bonnes mandales.

_ ... Assied-toi, et nettoie ton visage. Tu nous diras ça après. »

Je suis les ordres de mon amie, et la réunion peut commencer. On a beaucoup de points à aborder aujourd'hui...

***

Je prépare mon sac pour demain, jour de vacances et d'adieux : j'ai décidé d'y aller. Je veux faire ça correctement. Pour continuer à avancer. Pour tirer un trait sur ces souvenirs qui me détruisent encore aujourd'hui.

Tandis que je range mes affaires de cours, Augustin s'énerve seul sur la console au salon :

« Boot de mon CUL ! D'où tu me bute ?!

_ Tu en es à combien ?

_ Vingt kill pour UNE mort. Injustifiée !!! »

Je ricane dans mon coin et continue mon rangement. Augustin reprend la parole après une énième partie :

« Au fait, tu l'as appelée ?

_ Non, je lui aie envoyé un message.

_ Pas pour ça...

_ Pour quoi alors ?

_ Tu sais très bien. »

Oui, je sais très bien que je ne lui aie pas demandé ça. Je lui ai juste envoyé un petit message il y a quelques jours :

Salut !!

C'était juste pour te prévenir que tout était réglé : tu n'as plus à t'inquiéter de rien !

A bientôt (et encore merci) !! ;)

Je souhaitais seulement la rassurer sur ma situation : je n'ai pas encore eu le courage de tout lui raconter...

Hier, mon meilleur ami m'a proposé de lui demander de nous accompagner. J'ai longuement réfléchi et je me suis dit que ça pourrait être une bonne idée : Augustin ne serait pas seul. Mais je n'ai toujours pas osé l'appeler ou lui envoyer un message... Saleté de lâcheté !

Mon sac terminé, je rejoins mon ami sur le canapé. Je change le jeu de guerre qui l'intéresse tant pour mettre un bon vieux Mario Bros à la place.

Nous passons la soirée à jouer, prenant seulement le temps de cuisiner et manger. Puis 23 heures approchent. Nous décidons de nous coucher.

La nuit se passe calmement, je suis reposé au réveil. Mais celui-ci est moins calme...

« Grouille-toi Georges, on est en retard !! »

Je regarde mon téléphone. Il affiche 8h40... On a notre train à 9h... Et la gare est à l'autre bout de la ville...

Je saute du lit, me prépare en deux minutes, prends mon sac à dos et me précipite hors de mon appartement, fermant la porte à la va-vite.

Les quelques passants dans les rues se retournent sur notre passage : c'est sûr que deux mecs qui courent comme des fous à 8h et quelques un samedi matin...

Nous atteignons la gare et nous précipitons dans le train encore à quai (après avoir vérifié dix fois la voie). Les portes se referment sur nous tandis que nous tombons sur le sol du compartiment, à bout de souffle.

Nous nous relevons fatigués, essoufflés, puis nous partons à la recherche d'une place. Augustin consulte prestement son portable, et nous nous dirigeons vers le milieu du train. Nous nous arrêtons près d'une table de quatre seulement occupée par un sac abandonné. Ce sac que je reconnaitrais partout...

« Pourquoi t'oses toujours faire ce que je fais pas ?! »

***

La réunion se termine enfin. On a surtout parlé de l'échange prochain, et de quelques cons à qui j'aurais deux-trois points à régler. Mais on a aussi abordé un point très important : la rencontre malencontreuse d'Octave avec les salauds... Même si l'on sait qu'ils sont revenus, on ne peut rien faire : on ne connait pas encore leur situation ; où sont-ils postés, combien sont-ils...? On doit attendre de savoir ça avant d'envisager quoi que ce soit.

Cette réunion m'a lessivée : pire qu'une journée de boulot ! Je rentre chez moi accompagnée de Johanna et de Georges : ils viennent passer la soirée à la maison.

Nous passons une soirée banale, remplie de discussions et de nourriture, sans..

« Sans alcool ?!

_ Ouaip : j'ai jeté tout ce qu'il me restait.

_ Pourquoi ?! Et nous alors ?

_ Johanna : tu sais ce que c'est qu'un ordre médical ? Je préfère encore ne rien boire parce qu'elle a tout jeté que de la retrouver morte demain !

_ ... pas faux. Mais n'empêche... »

La soirée se termine assez tôt, vers les 23h sur le canapé où nous nous endormons comme des masses : il faut croire qu'on est tous les trois crevés de notre semaine ! Je suis réveillée par un message vers 23h30. Augustin.

Hey !! Ça te dit une virée pour la capitale demain ? C'est pour accompagner Georges chez sa mère. On prend le train de 9h à la gare centrale... Voilà, voilà ! Bisous :3

Ps : Désolé pour ce message tardif...

Okay... Il est tard et j'ai la flemme de tout préparer pour demain... Après, c'est quand même pour Georges.... D'accord. Je me lèverais à 8h... En attendant, je me recouche après avoir envoyé un rapide ok~ à Augustin. Je me rendors en quelques secondes... Vraiment crevée.

9h. Le train part et aucun signe d'Augustin. J'ai juste reçu un 'super' hier soir. Rien d'autre. J'espère qu'il s'est pas gouré de train ou d'horaire, il en serait capable ! Si c'est ça, je le tue : je vais foutre quoi toute seule à la capitale ?! Fait chier !

J'ai pas assez dormi je crois : je suis d'une humeur de merde ! Faut dire que je suis crevée comme je sais pas quoi depuis plus d'un mois, et que le jour des vacances, où j'avais prévu de dormir plus de 12h, je dois me lever pour prendre un train dont j'ai appris l'existence hier !

Raaah ! Faut que je me calme ! Je quitte mon siège un instant pour aller m'acheter une bouteille d'eau... Avant de me rappeller que le train vient de partir, et que donc ma bouteille je peux me la mettre où je veux vu que le distributeur est sur le quai... Journée de merde, je crois. Je vais retrouver mon siège. J'y rencontre Augustin et Georges en pleine dispute. Super...

« Vous voulez bien la fermer s'il vous plaît ? Je suis pas vraiment d'humeur. »

Ils me répondent par un silence bienvenu. Je m'installe dans mon siège et passe les 30 minutes du trajet à regarder le paysage, en tentant de me calmer. Ce qui, pour une fois, marche. Est-ce un miracle ?

Nous sortons du train une fois arrivés. Je m'adresse enfin aux deux autres :

« Merci pour le trajet.

_ ...pas de problème.

_ Mouais.

_ On fait quoi ce matin ?

_ Je ne sais pas. Georges ?

_ Je compte aller la voir, après ça... je n'en ai aucune idée. »

***

Je les mène hors de la gare. Nous tournons à droite pour atteindre progressivement le cœur du quartier de ma petite enfance. Le square et sa balançoire à ma gauche me rappellent des souvenirs : je revois mes parents me pousser, nos éclats de rire... Ces souvenirs heureux que je veux tout de même effacer. Je veux tout effacer. Même elle. Pour pouvoir continuer ma vie. Je dois lui dire adieu.

J'entre dans mon ancien jardin. En friche. Je frappe à la porte. Quelques instants plus tard, je distingue sa silhouette au travers. J'ai une soudaine envie de fuir : j'entame un pas en arrière. Une main se glisse alors dans la mienne pour me retenir : Rachel.

Elle me fait réaliser que je suis prêt à tout affronter avec mes amis à mes côtés. Même elle. Je réavance d'un pas.

La porte s'ouvre enfin. Elle n'a pas changé :

« Mon ange...

_ Mère.

_ Je t'en prie, entre avec tes amis. »

Je murmure un merci puis m'avance dans l'entrée, la main toujours dans celle de Rachel.

Je hais cet endroit : il empeste toujours la mort après toutes ces années. Elle nous mène au salon et nous invite à nous asseoir. Elle nous propose ensuite quelques biscuits que je refuse d'un signe de tête. Elle prend enfin la parole :

« Merci d'être venu une dernière fois. Je dois te donner beaucoup de choses avant de partir... Je n'ai pas encore terminé les cartons, mais je sais déjà ce qui est à toi...

_ Je ne veux rien. Revend tout. Donne à qui tu veux. Dissous tout aussi. Je ne veux rien. Surtout pas de ça. Tu pars pour oublier, eh bien moi aussi je veux oublier. Alors ne me laisse rien. »

Un silence s'installe dans la pièce. Ma mère, dont les larmes qui menaçaient de couler ruissellent sur ses joues, me demande d'une voix faible :

« Si tu ne veux rien, pourquoi es-tu revenu ?

_ Je voulais te faire mes adieux convenablement. Pas par égard pour toi, mais pour moi : je voulais rompre définitivement avec tout ça. Avec cet endroit, toi, père. Mais surtout cette histoire de clan. Je ne veux plus jamais en entendre parler.

_ ... d'accord. Dans ce cas, je n'ai rien à ajouter. Adieu mon ange. Porte-toi bien : ne tombe pas malade.

_ Adieu, mère. Vivez bien. »

Je me lève et prends la direction de la porte d'entrée. Elle reprend la parole tandis que je pénètre dans le couloir :

« Avant de partir, accepte ma bénédiction : aie une bonne vie, bien entouré. Et... toutes mes félicitations. »

Je sors de cette horrible maison sans prendre la peine de répondre. Je quitte cette maison infâme et rejoins le cimetière sale du quartier, traînant mes amis derrière moi. Je les mène devant une tombe sombre et salie, sur laquelle je me recueille une dernière fois.

Je prononce un simple 'adieu' en fixant le nom presque effacé de mon père, puis tourne les talons, la main toujours dans celle de Rachel. Nous rejoignons ensuite la gare et prenons le premier train qui nous ramène chez nous.

Le voyage se fait silencieusement. Nous arrivons à destination une demi-heure plus tard. Le simple fait de retrouver ma ville, mon chez-moi, me fait craquer : je ne retiens pas mes larmes.

Je sens les étreintes de mes deux amis tandis que je pleure à chaudes larmes. Je laisse toute ma tristesse partir.

Je me tourne ensuite vers l'avenir. Vers celui que je veux construire. Vers ma vie, mes projets. Je lance un regard plein d'attentions à Rachel à mes côtés, serrant un peu plus sa main toujours accrochée à la mienne.

Je veux vivre.

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