Fouilles dans le grenier

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Encore trois jours…

Un fin tissu de neige blanche recouvrait les trottoirs et les véhicules garés là depuis la veille au moins. Une petite maison de deux étages en plus du grenier émettait une douce lumière, filtrée par les fenêtres. Vers ce seul point lumineux dans l'obscurité de la nuit se dirigeait une voiture, tel un papillon voletant vers une lanterne, guidée par le chemin d'or que traçaient ses phares. Elle s'en allait se garer devant la maisonnette, et s'arrêta avec un crissement retentissant.

La silhouette du conducteur, qui émergeait de l'auto, se tourna vers l'arrière, tâtonna un peu en aveugle puis tira la poignée de la portière, et chuchota :

« Les enfants... nous sommes arrivés »

Une petite fille ouvrit d'un coup ses yeux bleus brillants de malice. Son père, la tête penchée juste au-dessus d'elle, fut surpris de sa vivacité :

« Dis donc, tu ne dormais pas, toi ?

- Au début, si. On va voir Tata Noëlle ?

- Oui, elle nous attend à l'intérieur, et elle fait bien de ne pas sortir, répondit-il en se frottant les mains avec vigueur. Allez, sors. Toi aussi, Loïc. »

À l'opposé, un petit enfant plus jeune s'éveillait alors. Ses fins cheveux blond cendré coincés sous un épais bonnet, il geignit et s'étira, un bâillement achevant de le rendre attendrissant avec ses petites joues rougies par le vent frais du soir, qui s'infiltrait dans la voiture déjà peu chauffée. Le conducteur, par son nom M. Sapain, n'omit pas de réveiller sa femme, affalée sur le siège passager.

Une fois munis de leurs affaires, ils montèrent les quelques marches d'escalier surélevant le perron. Loïc traînait un peu en arrière. Ses bottines raclaient le sol, dans un doux son de frottement, sa démarche accompagnée d'une moue de somnambule. Maëlle, en revanche, paraissait en pleine forme malgré l'heure tardive, et bousculait son frère du coude pour le faire avancer. Leur mère les regardait amusée, ces deux enfants emmitouflés dans un complet de grand froid : manteau, écharpe, bonnet, gants, de couleurs sobres et différentes, ils étaient deux guignols multicolores.

Le père appuyant sur la sonnette, un tintement de cloches signala leur arrivée à la maisonnée. Une grande femme vêtue d'un pull bleu nuit uni vint leur ouvrir.

« Tata ! s'écria la petite avant de s'élancer vers la nouvelle venue, agrippant sa chevelure blonde à l'odeur citronnée.

- Ma chérie, soupira sa tante. Hé, doucement avec mes cheveux !

- Comment vas-tu ? ajouta Mme Sapain.

- Super, je n'attendais que votre venue, répondit Noëlle. Combien de temps est passé depuis la dernière fois que je vous ai vus ? Des soeurs devraient se voir plus souvent !

- On verra, lança M. Sapain. Content de te voir, c'est aimable de nous inviter. Et Gaël ?

- Il arrive demain. Gaëtan ! appela la grande blonde vers l'étage. Viens dire bonjour à tes cousins ! »

Encore deux jours…

La maison s'éveillait sans chant d'oiseau comme au printemps, mais plutôt la neige du mois de décembre. La veille, Gaëtan, le fils de Noëlle, était descendu assez tard, les avait salués chaudement bien qu'occupé à autre chose, comme se concentrer sur la musique de ses écouteurs. Un adolescent, en somme ; enfin, presque adulte. Il resta discret, l'écart d'âge avec ses cousins étant assez important. Tous fatigués, le coucher fut vite arrivé.

Brun comme son père, les cheveux en bataille du jeune garçon étaient parsemés de cristaux de glace quand il revint de la boulangerie.

« Maman ! Je pense que le pain a gelé, dit Gaëtan.

- Mais non, ramène-le dans la cuisine s'il te plaît ! » fit sa mère d'une voix lointaine. »

Il poussa un soupir se transformant en buée volatile alors qu'il refermait la porte. Personne dans la maison à part Noëlle, aussi le jeune homme l’interrogea.

« Que penses-tu, ils dorment ! Ils sont arrivés tard et les enfants ont été terribles, dure soirée, ils doivent bien récupérer. Ils font même pire que toi le week-end, hein ? " ajouta-t-elle d'un regard faussement inquisiteur.

Gaëtan déposa sa baguette, nonchalant, et marmonna dans sa barbe en remontant vers sa chambre.

Alors qu'il s'étendait sur son lit et mettait ses écouteurs en place, un boulet de canon s'écrasa sur son ventre. Gaëtan émit un gémissement étouffé par la surprise.

« Je croyais que tu dormais, va-t-en, murmura-t-il d'une voix en sourdine.

- Bonjour ! Tu viens jouer avec nous ? dit une Maëlle sautillante.

- Tu aurais pu toquer, au moins.

Gaëtan se redressa, soutenant de la main son abdomen endolori.

- Mais j'ai toqué ! Tu n'as pas répondu. Tu viens ?

- Non, j'ai autre chose à faire.

- Comme quoi ? Allez, s'il te plaît... supplia-t-elle. On va décorer le sapin ! »

L'adolescent se retourna dans ses draps et remit sa musique dans les oreilles. Malgré les mélodies se mêlant dans la chanson, il entendait encore sa petite cousine qui campait derrière lui et continuait de l'interpeller avec douceur mais insistance.

« S'il te plaît…

- Roh, d'accord ! D'accord, j'arrive ! s'écria Gaëtan. Tu as gagné, c'est bon, tu es contente ?

- Oui ! »

Et avec toute l'innocence de son âge, elle s'en alla vers la porte pour retrouver son frère Loïc. Le jeune homme soupira, et fut tenté de retourner à son poste de marmotte, s'il ne savait pas que sa mère le réprimanderait.

« Sois gentil avec eux, ils sont encore petits, lui avait-elle dit.

- Mais ils ont sept et cinq ans, qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ces lutins ? eut-il protesté.

- Discute pas, et essaie de ne pas être trop désagréable. »

Un énième soupir avait clos la discussion.

Il se leva donc, et redescendit au salon. Quand il était rentré avec le pain, seuls s'y trouvaient les fauteuils recouverts de plaids rouges rayés vert, la table basse devant la télévision éteinte couverte de papiers qui traînaient, la table plus haute et peu décorée qui servait aux repas... A côté du triste calme régnant plus tôt, l'ambiance, avec les mêmes éléments de décor, s'était animée : la senteur de soupe chaude imprégnait ses narines, M. et Mme Sapain discutaient avec animation, rejoints par Noëlle, quant aux deux cousins…

« Elles sont où les décorations ? demanda Loïc. Il semblait déçu de ne pas pouvoir commencer à faire le sapin, n'ayant pas pensé plus tôt au matériel.

- Dans le grenier, répondit Noëlle dans un sourire - et elle lançait un regard entendu à son fils.

- Je vais les chercher », informa ce dernier.

Le calendrier aux chocolats touche à sa fin…

L'odeur de renfermé le prit à la gorge quand il ouvrit la porte du grenier, tandis que le froid s'immiscait sous son gilet. Le toit faisant office de plafond triangulaire ramenait les murs, d'abord droit comme celui où était encastrée l'entrée, se rejoindre au-dessus du centre de la pièce. Les deux autres côtés comportaient chacun une petite fenêtre arrondie. Slalomant entre cartons, piles de bibelots et autres objets imposants entassés là, il ouvrit une des fenêtres pour respirer l'air frais du soir. Très frais, aussi referma-t-il sans tarder.

« Pfff... » souffla-t-il, grelottant, et peu motivé à chercher quoique ce soit dans ce bazar.

Il entreprit d'écarter les objets et boîtes superposées pour avoir une vue d'ensemble sur tout le grenier, afin de mieux repérer les décorations. Elles devraient briller, luire ou quelque chose dans ce style-là. Les petites boules et les guirlandes étaient bien quelque part ! Pourtant, il ne trouvait rien.

Quelques flocons se déposent sur le rebord de la fenêtre…

« Que fait-il ? s'interrogeait Noëlle.

- Je ne sais pas, peut-être a-t-il besoin d'aide, supposa Mme Sapain, qui ajouta en souriant : Les enfants, vous allez aider votre cousin ?

- D’accord ! lança Maëlle.

- Oui ! » dit Loïc.

Frère et sœur se levèrent, laissant la partie de petits chevaux sur le tapis, jeu que leur avait prêté leur tante pour les occuper. Ils montèrent les escaliers, motivés, ralentissant à peine au bout du troisième lot de marches, et joignirent le jeune homme, assis sur le parquet. Ils arrivèrent dans un grenier plus désordonné que jamais, avec Gaëtan qui semblait découragé. Heureusement qu'ils étaient venus à sa rescousse !

« On va t'aider » , l'informa l'aînée avec enthousiasme.

Sans lui laisser le temps de répondre, Maëlle et Loïc se dirigèrent chacun vers un coin de la pièce pour débuter leurs fouilles, des étoiles dans les yeux, bleus pour l'une, verts pour l'autre. Les fêtes avaient leur effet sur ces esprits enfantins. Gaëtan les regardait faire, finit par se joindre à eux. A plusieurs, ça irait plus vite.

« Victoire ! se dit Loïc, qui tomba nez à nez avec une boule abandonnée. Elle est belle…

- Fais voir ! chuchota sa sœur, à ses côtés.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Gaëtan.

Loïc leva la tête et vit une boîte pleine à craquer de décorations. Au fond, dans un coin, c'était bien caché. Leur cousin siffla devant la trouvaille :

- Bravo, champion. Maintenant faut descendre tout ça.

- Pourquoi on ne laisserait pas ici ?

Malgré l'air incrédule de Loïc et le haussement de sourcils de Gaëtan, elle ne retira pas un mot de ses propos. Maëlle venait d'avoir une idée lumineuse.

- Sérieusement ? Et comment tu comptes décorer le sapin ? questionna son cousin.

- On le monte jusque dans le grenier !

Elle l'avait dit comme une évidence, mais dut expliquer sa pensée, faisant mine d'être exaspérée :

- Vous, les grands, faut tout vous dire. Le grenier est plus près du toit.

- Et donc ?

Loïc, lui, avait saisi ce que voulait exprimer sa sœur, mais il ne dit rien, attendant qu'elle continua :

- Ce sera plus facile pour le Père Noël de venir ici que descendre au salon, alors on peut mettre le sapin en haut, pour qu'il dépose les cadeaux plus facilement, raisonna Maëlle, l'air fière de son idée. Mais il faut tout ranger !

- Tu plaisantes ? s'exclama Gaëtan, puis il se ravisa. Je vais chercher du renfort.

- Mais non, tous les trois on peut se débrouiller tout seuls…

- ... et faire la surprise aux parents » , enchaîna Loïc.

Les deux jeunes enfants ne le dirent pas à voix haute, mais ils souhaitaient juste passer du temps avec leur grand cousin. C'est vrai, il leur accordait à peine un regard, ils en étaient attristés, et essayaient juste de le faire sourire avec leurs bêtises. Ou de faire une activité ensemble, même s'il s'agissait du rangement.

Gaëtan céda, et comme des nains de Blanche-Neige, ils se mirent au boulot.

Le vent fouette les vitres…

Il réarrangeait l'intérieur même des boîtes pour voir si on ne pouvait pas jeter ce qui ne servait plus à rien, sinon à prendre de la place. La montagne de choses à trier menaçait de faire plier sa patience. Ses deux compagnons l'assistaient, ce qui l'aidait à ranger et à tenir. Leur présence en devenait agréable. Ils étaient mignons, en fait.

Gaëtan repéra une enveloppe coincée au fond du gros carton. Elle était un peu jaunie. Craignant de la froisser, il s'y prit avec les deux mains. Elle paraissait en effet assez vieille, et le papier de qualité médiocre. Elle pouvait aussi bien dater de dix mois que de trente ans. Sa curiosité éveillée par cette découverte, il l'ouvrit. Dedans, une photo.

Il l'humidifia malgré lui.

La neige vole, et s'envole, dans la tourmente de la tempête…

Elle l'entendit renifler et ranger rageusement une feuille. Inquiétée, Maëlle se tourna vers l'adolescent :

« Tu pleures ? Qu'est-ce que c'est ? Elle tenta d'approcher sa main.

- Ne touche pas !

Elle recula d'un pas.

- Pardon... »

Loïc avait sursauté au cri de Gaëtan. Ce dernier prenait un air soudain fermé, aussi le petit Sapain se garda d'approcher. Il se sentait triste, il avait mal sans savoir où. Il ne comprenait ce pincement à son petit cœur. Ni les larmes qui lui venaient au coin des yeux.

Maëlle entendit son frère gémir malgré lui. Des sanglots perlaient sur ses joues et s'écrasaient au sol. Il se mit à pleurer doucement, comme un bébé en peine. Sa sœur se dirigea vers lui, lui entoura les épaules d'un bras et tenta de le calmer.

« Excuse-moi, Loïc, murmura Gaëtan. Je ne voulais pas te faire pleurer.

- Hghh..., renifla ce dernier.

- Tiens, j'ai trouvé un mouchoir assez propre dans le coin, annonça-t-il en époussetant le tissu.

- Merci.

Le petit le saisit, et se moucha la trompe. Les deux autres se taisaient. Alors Maëlle, voyant la photo laissée négligemment dans sa caisse de carton, osa tenter :

- C'est qui, le monsieur avec... euh... c'est toi, le petit enfant sur la photo ?

- Oui, quand j'avais ton âge, répondit-il à Loïc.

- Et le monsieur ? continua le benjamin.

- C'est le meilleur ami de mon père. Tu vois la pochette qu'il tient ? Elle contient mes dessins.

- Tes dessins ?

- Oui, à une époque, je dessinais, et bien même. C'est lui qui m'a appris... cet homme.

- Et mais, tu as une médaille ! s'exclama la voix aiguë de Maëlle.

- Oui, puisque je te dis que j'étais doué... j'ai gagné un concours ce jour-là.

- Wouaw... Tu les as toujours ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Tu veux vraiment savoir ? Je les ai déchirés moi-même... quand il est parti. »

Gaëtan était étrangement calme, à présent. Il semblait avoir l'esprit ailleurs, loin d'ici, dans un autre monde, dans son passé lointain. Il tenait toujours cette fameuse photo, la serrait entre ses doigts sans paraître en être conscient.

Il retourna s'asseoir dans un coin du grenier, retombant sur le parquet dans un bruit de léger craquèlement. Une peine innocente se peignait sur les visages de Maëlle et Loïc. L'ainée alla chercher une couverture pour le réchauffer, le froid se faisant plus pénétrant, tandis que son frère se laissa tomber aux côtés de son cousin et se blottit contre lui, dans un geste de réconfort. La petite fille revint avec un de ces plaids rouges du salon, en plus poussiéreux, et rejoignit son frère dans son geste, se plaçant de l'autre côté.

« Il est parti où ?

- Au ciel, un fichu accident de la route…

- Regarde, lui dit Maëlle.

Elle désigna du doigt les étoiles par la fenêtre.

- C'est beau le ciel, il est pas triste…

- Oui, tu dois avoir raison. »

Avec ses cousins roulés en boule à ses côtés, une épaisse couverture les protégeant du froid, le tableau fit sourire le jeune homme.

Une odeur de sapin s'élève dans les airs des fêtes…

La sonnerie retentit, et Noëlle s'excusa avant d'aller ouvrir, quittant ainsi sa discussion avec ses invités, quand M. Sapain remarqua :

« Bah alors, le sapin est toujours aussi vert et terne, elles viennent les décorations ?

- C'est vrai qu'ils ne sont pas redescendus... on devrait aller voir, proposa sa femme.

Alors qu'ils se levaient, Noëlle revint avec le nouveau venu, un grand homme brun, visage carré et air aimable, se débarrassant d'un long manteau de couleur sombre.

- Gaël, on commençait à se demander où tu étais ! s'exclama Mme Sapain.

- Chez mon frère, il rejoint sa compagne pour les fêtes, alors je l'ai aidé dans son déménagement quelques jours. Mais maintenant, je suis là pour fêter le réveillon de Noël avec vous demain ! répondit le père de Gaëtan.

- Super, commenta M. Sapain. Tu montes avec nous ? On va voir les enfants. »

Tous quatre montèrent à la queue leu leu vers l'étage. Parvenus à la porte du grenier, ils ouvrirent à vitesse d'escargot pour étouffer le grincement.

Ce qu'ils virent fut les trois cousins, assoupis ensemble, l'air paisible et épuisé. Et pour cause, l'état du grenier, impeccable ! Un ou deux cartons traînaient encore, mais pour le reste, rien à dire.

Après avoir vérifié que les fenêtres étaient bien fermées, les parents revinrent sur leurs pas, et les laissèrent dormir ainsi jusqu'au matin, un sourire flottant aux lèvres.

Encore un jour…

Tout fut préparé dans la journée. On monta le sapin, installa une table avec l'aide de Gaël -un transport de plus ou de moins, après tout- avec plats, bougies, chaises. Les petits cousins s'amusèrent à décorer l'arbre, avec l'expertise et la taille de Gaëtan, qui s'occupait des branches plus élevées et de l'étoile au sommet.

Enfin, le soir du réveillon. Une table dressée, les bougies luisaient d'une lumière chaleureuse, des assiettes pleines, tout le monde souriait, chacun avec chaussons, le froid entêté à rester, et pulls plus ou moins ridicules, mais aucune importance.

Tous réunis dans le grenier…

Bonnes fêtes.

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