Chapitre  2 - Glissement

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Deuxième jour

  Le lendemain matin, elle se tenait toujours là, au même endroit, attitude identique, regardant dans ma direction, comme hypnotisée par ma présence. Je tentai de parler avec elle, cherchant à l’amadouer par le verbe, sans l’approcher pour ne pas l’effaroucher. Sans succès, je n’eus même pas droit à un petit chicotement, seulement les remuements de son museau reniflant l’air de droite à gauche, de haut en bas, comme cherchant à s’imprégner des odeurs de la cuisine, ou de la mienne !

  Je déjeunai comme la veille, laissant de nouveau quelques restes de pain sur la table. À aucun moment elle ne me quitta des yeux, me suivant du regard lorsque je me déplaçai. Je commençais à m'habituer à sa présence un peu curieuse, quoique discrète. Je lui parlai, mais elle sembla n'y prêter aucune attention.

  Je partis travailler après lui avoir demandé de garder la maison en pouffant de rire devant l’air ahuri que je lui supposai.   

  Je profitai d’un trou dans mon emploi du temps pour appeler le docteur Nora qui m’apprit que les souris blanches étaient bien des animaux doux, aimables et peu farouches, faciles à apprivoiser. Elles ont un régime alimentaire varié avec des céréales, des légumes, du pain , du fromage, des laitages. Je la remerciai, me demandant si j’allais devoir adopter et nourrir Alba dans l’hypothèse d’une présence permanente chez moi. Pourquoi pas, je vivais seul la plupart du temps, elle me tiendrait compagnie.   

  En fin de journée, passant devant l'animalerie, je faillis m'arrêter pour lui acheter de quoi manger. Puis je passai mon chemin en me disant qu'elle avait dû trouver de quoi se sustenter depuis deux jours. D'autant que le docteur Nora m'avait précisé qu'une souris mangeait une cuiller à café de graines chaque jour, quelques légumes ou fruits dans les mêmes proportions et que ces animaux avaient besoin d'eau fraîche régulièrement. Je décidai de rentrer chez moi, pour vérifier si elle se servait dans les placards. Je stockais peu de nourriture, mais j'avais quelques pâtes, du riz, du chocolat, deux ou trois paquets de légumes secs, du café, du thé, du sucre. J'ignorais ses goûts personnels, je possédais aussi des biscuits et du pain de mie, il fallait bien qu'elle se soit alimentée depuis deux jours, me dis-je...   

  Dès que je pénétrai dans mon appartement, une impression curieuse s’empara de mon esprit, j’avais déjà vécu cette scène auparavant, j’en étais sûr. C’était impossible pourtant, mon buffet était bien à sa place, mais tout semblait inversé autour de lui et Alba était assise à droite de la cloche à fromage. Ce sentiment de déjà-vu n’était qu’apparent, j’avais en tête la même scène, mais vue au travers d’un miroir. Mon esprit me jouait-il des tours ? Une sensation soudaine de vertige m’obligea à m’asseoir, je tombai littéralement sur une chaise, à ma place habituelle, face au buffet.   

  Alba me regardait toujours, impassible. Je me levai dès que je pus pour prendre un verre d’eau, l’évier était situé à ma droite, je m’arrêtai un instant pour réfléchir. Avait-il toujours été à droite de la table ? Je n’étais plus si certain de moi. À gauche, la fenêtre donnant sur l'extérieur semblait bien à sa place, mais j'eus un frisson en voyant l'immeuble de l'autre côté de la rue... quelque chose clochait... mais quoi ? Cet immeuble... une sensation bizarre, l'impression qu'il n'existait pas... pourtant... il était bien-là, il y avait toujours été...

  je pris un verre et fit couler un peu d’eau avant de le remplir. Je bus et recrachai aussitôt, elle était tiède, presque chaude ! J’avais pourtant ouvert le robinet d’eau froide. J’ouvris l’autre et mis ma main dessous, l'eau était froide ! Comment était-il possible que j’ai pu commettre une telle méprise ? Étais-je en train de devenir fou ? Pourtant l’eau froide… La souris me regardait faire, affichant comme toujours une impassibilité irritante. je pensai soudain aux miettes de pain laissées sur la table... elles n’y étaient pas. Les avait-elle mangées ? Je lui posai la question à voix haute :

  — Alba ? C’est toi qui a croqué les miettes de pain ?

  Naturellement, je n’espérai aucune réponse et n'en eus pas. Elle se mit à nettoyer son pelage en me jetant des coups d’œil de temps à autre. Aucun son, pas plus de répartie télépathique, aucun signe intelligible ni communication, juste son indifférence... qui finissait par m'agacer !

  J'entrepris de vérifier le contenu de mes placards à provision. Aucun dégâts apparents, pas de sachets ou de paquets percés, tout paraissait en ordre... de quoi vivait-elle, bon sang de bois !?

  Je décidai alors de m’approcher, car il devenait nécessaire d’en finir avec cette situation ridicule.

  Je fis un pas puis deux dans sa direction, à moins d’un mètre elle leva la tête pour mieux m’observer mais ne bougea pas. J'avançai encore d'un pas et le vertige me reprit. Je vacillai et dus m'appuyer sur la table derrière moi. Puis mes jambes cessèrent de me soutenir, à ce moment-là, je m'écroulai sur le sol, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.   

  Mais avant de perdre connaissance, j'eus le temps de voir Alba passant la tête au dessus du rebord du buffet pour mieux me regarder. 

à suivre

JI 17/02/23

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