Pétrograd

Une minute de lecture

Bon sang, ce qu’il faisait froid aujourd'hui !

Ce fut en pestant qu’il franchit la porte de sa destination : Le Nord, seul café de tout St-Pétersbourg - Léningrad, pour les ploucs - et lieu de prédilection pour les magouilles des classes dirigeantes, masquées derrière le vernis communiste et les tutoiements à tout va.

Ses yeux admirèrent le décor raffiné et les nobles meubles rescapés de l’ancien Empire ; il régnait dans l’endroit une atmosphère feutrée et propice aux confidences.

  • Komrad Ilya, content de te voir ! Je t’attendais.
  • Camarade Sacha, je m’excuse du retard. J’ai été retenu plus longtemps que prévu.

Son interlocuteur eut un sourire jovial. Andreï se fit la réflexion que son timbre de voix discret et soigné détonnait avec le vocabulaire soviétique aux accents de rustre qu’il employait.

  • Ce n’est pas grave, va ! Prenons un café et discutons.

Après avoir passé commande au zinc, ils s’assirent à la table du fond.

  • Quelles sont les nouvelles, camarade ?
  • Pas très bonnes, je le crains, soupira l’homme. Ma cousine souffre toujours de tuberculose, et ce sale temps n’arrange rien.

“Cousine”, “tuberculose”, “mauvais temps”. Il jubila intérieurement : il le tenait, son homme du message codé !

  • Tu m’en vois chagriné, Sacha. Que puis-je bien faire pour l'aider ?
  • Tu connais son attachement pour toi, Ilya. Une visite de ta part chez nous ne lui ferait que du bien, assura l'interlocuteur tandis qu'il lui tendait une enveloppe sous la nappe immaculée.
  • Je ne manquerais pas de le faire, camarade, répondit Andreï avec un sourire.

Il palpa le papier froissé, soupesa son poids. Les billets y étaient. Cependant, son interlocuteur insistait :

  • Aurais-tu une date en tête pour ta venue, komrad ?
  • Absolument, Sacha. Laisse-moi juste nous commander deux autres cafés avant de te répondre, je crois que le boufetchik a glissé quelque chose dans ta tasse, fit-il d'un ton léger.
  • Comment...

D’un geste prompt, il se leva pour tendre l’enveloppe à son complice derrière le comptoir.

Une porte ouverte plus tard, deux agents du NKVD emportaient un Sacha aux airs incrédules. Il n’y avait que les débutants pour se faire prendre au café Le Nord.

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