Chapitre 32

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Britess émergea au bout de quinze heures d’un sommeil lourd et sans rêve. Le lit avait été réparé avec célérité et efficacité. Les maigres affaires de l’aventurière avaient été soigneusement lavées et rangées dans l’armoire principale. Noto était reparti discrètement. Hikari prenait du repos, elle aussi, à l’étage, dans une chambre de bonne, l’auberge étant pleine. Myrtille, la jument, était bichonnée dans les écuries.

La chatte Hallebarde, lovée aux pieds de Britess sentit le retour à la conscience de celle qu’elle avait choisie comme maîtresse. Elle s’étira lentement avant de se glisser vers les mains de la femme, lui accordant l’insigne honneur de la caresser. Britess ouvrit les yeux sur la boule de poil qui réclamait son attention. Elle posa délicatement ses doigts entre les oreilles, suivant la ligne gracieuse de son dos. Au bout d’une dizaine de minutes, satisfaite, Hallebarde se faufila jusqu’à la cheminée. Elle s’assit et darda sur l’humaine un regard insistant : du feu il ne restait que quelques braises insuffisantes pour réchauffer un chat.

Britess se leva et passa une chemise et un pantalon larges sur sa nudité. Elle nettoya rapidement l’âtre, y posa du petit bois pour faire reprendre le feu. Une fois de solides flammes installées, elle disposa une bûche plus grande. Bientôt, un agréable crépitement jeta des lueurs orangées sur le poil de Hallebarde qui ronronna de plaisir se désintéressant des faits et gestes de la femme.

Britess ouvrit les volets. Le jardin était éclairé par le franc soleil d’une journée d’automne. Quelques traces de brumes commençaient à s’aventurer ici et là. La nuit devait être à moins de trois heures. Elle fit le tour de la grande chambre. Son armement, disposé sur le bureau, attira son attention. Curieuse, elle s’empara prudemment de l’épée du dragon, prenant soin de ne toucher que le cuir du fourreau. De sa main droite, elle enserra la fusée et tira la lame. Elle se mit à palpiter d’une aura mordorée, au rythme de plus en plus rapide de son cœur. Ainsi la magie était encore là. Britess sentait empiriquement que la source de son mana résidait dans la moindre parcelle de son être. Une mage innée. Elle n’aurait nul besoin de catalyseur pour déployer des sorts. Cela ne la rassura pas pour autant. Le souvenir des propos de Noto sur les chasseurs de mages et sa récente mésaventure l’appelait à une extrême discrétion. Elle ne souhaitait pas terminer dans un laboratoire où on lui extrairait son essence magique. Elle reposa l’arme pour s’intéresser aux instruments de joaillerie au milieu du bureau. À sa demande, Noto avait fait porter ce nécessaire. Elle s’installa sur la chaise et alluma un bougeoir. Dans le coffret attenant, elle découvrit le bijou offert par Jadile. La rose était intacte. Britess fixa la loupe à son œil gauche et examina minutieusement les pierres et le travail de l’orfèvre. Une belle qualité, mais bien loin d’égaler l’ouvrage d’un Maître artisan. Lidia, sa mère adoptive, avait insisté pour qu’elle suive des cours sur la taille et la confection de bijoux dès son plus jeune âge. En cet instant, les gestes qu’elle pensait oubliés se réveillaient, aidés, elle n’en doutait pas, par la magie familiale. Elle adressa une demande de pardon à celui qui avait fabriqué le pendentif et dessertit les divers éléments. Elle fit quelques allers-retours à la cheminée pour faire fondre l’or et le retravailler.

Alors que la nuit prenait son tour de garde, elle s’étira, son ouvrage presque achevé. Il ne manquait plus que le test ultime, la touche finale des Frédrikburg. Elle choisit un des pendentifs qu’elle avait façonné. Le rubis rouge sang absorbait la lumière sans le moindre reflet. Britess savait maintenant que les autres ne voyaient pas les pierres comme elle. Pour le commun des mortels, les bijoux jouaient avec les lueurs. Pour elle, seuls les minéraux magiques restituaient la lumière. Elle se concentra sur le bijou que tenaient des pincettes fixées au rebord du bureau. Elle passa la pulpe de son index droit sur la surface lisse et froide du rubis avant de chausser les lunettes dont elle ajusta les multiples foyers qui grossirent sa vue comme elle le souhaitait. Elle visualisa les runes de transmondation et les grava avec un instrument minuscule. Elle retenait sa respiration à chaque forme. Son corps se couvrit rapidement d’une pellicule de sueur. Les bougies et la cheminée baignaient la pièce dans une étrange ambiance. Quarante minutes furent nécessaires pour achever son œuvre délicate, après deux échecs.

— À présent, la partie la plus difficile, marmonna-t-elle.

Elle ne savait pas comment faire. Dans les délires engendrés par son passage dans le Monde gris, elle avait pu voir sa mère effectuer la même opération. Elle fit remonter le souvenir, l’étudia et enchaîna les gestes. Elle focalisa son pouvoir sur une microscopique zone de son index. Il fallait insuffler une charge de mana dans le bijou, sans activer le sort. Britess s’entraîna sur les deux rubis ratés. Le premier explosa, lui entaillant la main. Elle prit les plus gros morceaux et recommença. Petit à petit elle arriva à ses fins. Une fois prête, elle respira longuement, avec le ventre et les poumons, ralentissant les battements de son cœur.

— Maman, Manchot, aidez-moi.

Elle effleura le rubis, y déposant un fil de mana, fin comme les cheveux d’un nouveau-né. Sa magie avait une couleur : celle de l’automne, sa saison préférée. Un chemin, mélange de rouges, de bruns et d’oranges, parcourut le joyau en suivant les lignes compliquées des runes.

Le bijou renvoyait à présent une belle aura écarlate.

Elle sourit, s’essuyant le front. Elle venait de lier le sort de transmondation à elle. Quand elle aurait besoin de rappeler celui qui porterait cet objet, il lui suffirait de l’activer à distance.

Britess leva un sourcil. Il restait cinq rubis. Elle se remit au travail.

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