Chapitre 16

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Britess pressa le pas vers l’auberge. Elle avait décidé d’aider autant qu’elle le pourrait. Leil avait émis la possibilité de se transmonder dans l’Empire du Couchant. Le sort nécessitait quelques ingrédients particuliers, comme de l’or et des pierres précieuses. Noto fournirait le métal. Britess était la seule à posséder un bijou. À cette heure de la soirée, la salle était pleine et nulle ne prêta attention à son arrivée. Elle salua rapidement l’aubergiste et disparue dans le couloir, Hallebarde sur ses talons, miaulant la bienvenue à sa nouvelle lubie. La chatte s’était entichée de Britess dès le premier regard. Le félin se faufila entre les jambes de l’humaine et s’installa sur le lit, l’observant de ses yeux plissés.

Britess la caressa en silence, respirant calmement au rythme des ronronnements de la curieuse.

— Hallebarde, je n’ai pas de temps à te consacrer. Je dois repartir aussitôt.

La broche était toujours dans son écrin. Elle la rangea dans une poche à sa ceinture et attrapa Hallebarde pour la mettre dans le couloir où elle galopa vers le grenier.

Britess, une fois dehors, ne prit aucun risque, restant dans les rues principales, une perte de temps qui garantissait la présence du guet, quelques pas devant elle. Personne n’osait commettre de forfaits quand la garde patrouillait. Elle avisa Noto qui débouchait d’une autre artère, un sac à dos sur les épaules.

— C’est ton or ? fit-elle, impressionnée, d’une voix basse.

— Mais non ! C’est… Un don pour ma garantie de prêt.

Britess ne comprit pas l’humour marchand.

— Tu vas aller avec eux, je ne me trompe pas ?

— C’est ma mission. Je dois l’accomplir. Je dois les escorter jusqu’à leur destination.

— Je m’en doutais. Tu as ce défaut commun aux héros qui pourrissent dans les cimetières.

— Que voilà un gentil compliment, mon ami !

Ils arrivèrent dans la rue de Noto. Il s’arrêta comme pour ajuster son sac.

— Je ne peux pas aller avec vous. Si tu as besoin d’aide, tu iras à l’ambassade des Territoires et tu montreras cet objet. Utilise-le en dernier recours.

Il lui tendit une fibule ocre représentant un compas fermé posé sur un parchemin ouvert.

— Garde-le caché d’ici là.

— Tu es bien mystérieux, Noto. Qui es-tu vraiment ? Je ne sais pas quoi te donner en échange…

— Tu veilleras à ce qu’on me rembourse mon prêt d’or, à l’once juste.

Noto posa la main sur la poignée de la porte. Il regarda par-dessus l’épaule de Britess, afin de vérifier qu’ils n’avaient pas été suivis puis, il plongea son regard dans les deux puits émeraude de la jeune femme. L’espace d’une seconde, ils furent connectés.

— Reviens-moi, Britess.

Médusée, elle n’eut pas le temps de répondre. Ils entrèrent rapidement.

Leil leva à peine le visage. Il avait dégagé une zone et se tenait au centre d’un bouclier plat qu’il avait déniché dans un recoin de l’atelier. Dessus, grâce à un morceau de charbon, il avait tracé un dessin compliqué qu’il suivait du doigt, le modifiant ici et là, mais de manière si infime que lui seul pouvait voir la différence.

La garde du corps s’approcha. Elle avait revêtu sa tenue habituelle, le chapeau de paille dans le dos. Sa chevelure nattée avec soin courait le long de son cou et sur le devant de sa poitrine. Elle s’était présentée sous le nom de Jadile du Clan du Cerisier, envoyée sur l’Archipel des Haches pour en ramener un chaman guérisseur, capable de soigner l’héritier de l’Empire du Couchant. Lui seul était en mesure de maintenir l’unité et d’empêcher par son existence de plonger les clans dans une guerre fratricide. Le dernier conflit de succession avait duré presque deux siècles.

— Il peaufine. Vous avez la pierre ?

Britess lui tendit le bijou.

— Une très belle pièce. Rare. Vous êtes certaine ?

— Je ne suis pas attaché aux biens matériels.

Jadile courba le haut de son corps, lentement et très bas. Elle resta ainsi cinq secondes pleines et se releva tout aussi lentement. Elle s’éloigna vers le chaman qui recommençait l’inspection du motif, couvrant les traits avec de la poudre d’or généreusement prêtée par Noto au taux d’intérêt très honnête de 20%.

Chez Mastique et Fils, le commerce n’occultait pas la gentillesse. On ne perdait pas le nord non plus.

Noto ouvrit son sac et tendit des protections à Britess.

— Tu en auras besoin. C’est un prêt qui sera remboursé par les intérêts de l’or. Voilà pour tes avant-bras. Si tu as l’intention de les utiliser comme bouclier, cela devrait tenir deux ou trois coups. Ceci, c’est pour l’intérieur de tes cuisses. Tu exposes l’artère fémorale. C’est discret comme protection, mais efficace.

Il l’aida à mettre les nouveaux morceaux de son armure.

— Merci. Je ne sais vraiment pas comment te remercier. Pour tout à l’heure…

— Tu dois me rapporter ce matériel en bon état. Dans le cas contraire, une pénalité te sera infligée.

Noto évitait le regard de Britess.

— Leil est prêt. Britess, tu nous accompagnes, pas de regrets ?

Elle hocha la tête.

— Bien, venez-vous placer à côté de moi, debout sur le bouclier, attention, n'effacez pas le symbole !

Ils se tinrent l’un contre l’autre.

Leil commença à incanter une première rune qu’il dessina sur le front de Jadile avec de la sève de chêne, pour sa vertu mémorielle. Il ferma les yeux et visualisa en même temps qu’elle le jardin du clan du Cerisier.

Il incanta la rune principale. Le rubis flotta petit à petit au-dessus de leur tête. L’or se mit à briller, fondant, s’incrustant dans le bois du bouclier. Leil suait sous l’effort. Il mentalisa les atomes des corps de ses compagnons de route. Il les mémorisa. Comme lui avait enseigné Remkor le Borgne, la Vie n’était qu’un assemblage de matières diverses. La transmondation des Haches consistait à séparer le corps et l’âme le temps du transfert. Les âmes transitaient par le Monde gris, alors que les corps étaient projetés à travers l’espace vers le lieu à atteindre. Pour cela, il fallait des années d’entraînement, de l’or et des pierres précieuses. L’or pour les corps, les pierres pour l’âme. L’entraînement pour ne pas se retrouver avec des membres disloqués, pas de corps du tout ou avec la mauvaise âme.

Noto, les yeux grands ouverts, notait mentalement tout le déroulé de l’opération. Les bras et les doigts de Leil tremblaient légèrement au début. À présent, sa stature avait pris de l’ampleur. Il était plus grand, plus fort. Noto vit des femmes, des hommes, se superposer à Leil, tous chauve. Des ancêtres ? Ils répétaient les gestes, de plus en plus lentement, en décalé. Au bout d’un moment, ils formèrent une rune, immobile.

Leil ouvrit les yeux. Sa voix retentit, caverneuse, chargée de puissance.

— Legraf, porte-nous.

Le rubis éclata.

Il eut le claquement sec de l’air qui s’engouffrait dans le vide.

Ils avaient disparu.

Noto s’approcha. Le bouclier tanguait et une magnifique rune en or et en poussière de rubis était gravée sur le bois. Il le toucha. Froid.

— Voilà qui est inattendu. Chez Mastique et Fils, il n’y a pas de petit profit. Une future vente pour un pigeon des Quartiers nobles de la ville.

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