Les adieux d'une fleur

de Image de profil de Fleur de CerisierFleur de Cerisier

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Samedi soir, j’ai reçu un sms que j’aurais préféré ne jamais recevoir.
Le genre de message qui est difficilement énonçable de vive voix. Celui qui vous met un coup dans la poitrine sans préavis et suite auquel vous avez l’impression que le monde s’écroule sur vos petites épaules. Tout devient lourd à porter, même son propre poids, et tous vos gestes deviennent automatiques un peu comme si l’instinct prenait le dessus sur tout le reste.

Mamie se meurt… était affiché sur l’écran de mon téléphone. J’ai dû relire les quelques mots plusieurs fois avant de réaliser qu’il fallait que je me rende rapidement auprès d’elle pour lui faire mes adieux.
L’heure et demie de route qui nous séparait s’annonçait longue et douloureuse même si mes gestes s’effectuaient déjà de façon mécanique. C’est incroyable de constater à quel point la vie peut changer en seulement quelques infimes secondes. Cinq minutes avant que mon téléphone ne sonne, je me tordais de rire avec ma moitié, sur un jeu vidéo en ligne, tout en m’enfilant un paquet de chips largement discutable au niveau calorique. Puis, en quelques secondes, tout s’écroule.
Avec le recul, je me demande à quoi je m’attendais… un courrier recommandé ? Non. Quoiqu'on en dise, la vie est imprévisible.

Je n’ai jamais vraiment été confrontée à la perte d’un être cher, ou en tout cas seulement dans ma jeunesse. Je me souviens, une fois, avoir enterré un oncle parti brutalement et trop tôt. Mais de ce que m’avaient raconté les adultes, il allait rejoindre ses ancêtres. A l’époque, j’imaginais une espèce de grand banquet de famille dans une maison de campagne au toit de chaume et aux petits murs de pierres. Dans le grand salon éclairé par le feu d'une cheminée ancienne et empli d'une odeur boisée d'un autre temps, des dindes aux marrons garnissaient une grande table en chêne autour de laquelle prenaient place ces fameux ancêtres, habillés comme à l’ancien temps avec des costumes noirs et blancs, des chapeaux haut-de-forme, et leur pipe au bec. Rien de bien réjouissant pour l'adolescente que j'étais à cette époque. La mort avait l’air vraiment naze, ennuyeuse même.
Prenant place au premier rang à l’église, j’avais longuement fixé le cercueil incliné, debout face à la famille et aux amis, en criant à mon oncle dans ma tête : « Allez, sors ! Si tu veux sortir c’est maintenant, après ce sera trop tard ! Vas-y, tape, je suis prête à courir t’ouvrir ! »
J’avais espéré et prêté l’oreille en vain. Mon oncle n’avait rien fait. J’avais tout juste douze ans. Aujourd’hui, à trente, je me demande si ma grand-mère va retrouver, elle aussi, comme mon oncle, ses ancêtres. 
C’est en pensant fort à elle et en l’implorant par télépathie de m’attendre avant de se rendre à ce foutu banquet que j’ai pris la route sous un soleil couchant et teinté de nuances roses, sa couleur préférée, tout en me disant que la vie, c’est pas toujours tout rose comme le ciel en fin de journée.

Une fois à ses côtés, j’ai eu cette chance, que peu d’entre nous ont, de pouvoir lui dire tout ce dont j’avais besoin : ce qu’elle devait savoir avant de partir, tout l’amour que je lui portais, sans oublier un temps précieux de partage de nos souvenir communs. Tout en serrant sa main frêle et d'une froideur angoissante, j'ai prié les ancêtres de retarder leur repas de famille et de ne pas me la voler tout de suite.
Elle ne peut plus s’exprimer oralement depuis plusieurs mois à cause de la sévérité de sa pathologie mais j’ai cru apercevoir dans ses yeux tout le bonheur qu’elle éprouvait en me sachant auprès d’elle, ainsi que tous ses autres petits-enfants, et enfants. Durant la soirée, elle a écrit sur son ardoise – son seul moyen de communiquer – qu’elle m’aimait, moi, sa « fleur ». Parfaitement consciente que son heure avait sonné et, malgré son handicap et l’effet des médicaments, elle trouvait encore la force de me transmettre des messages. Je me souviendrai toujours de cette démonstration de courage et de volonté. C’est ce qui m’a aidé à lui sourire et à ne pas craquer devant elle alors qu’à l’intérieur je pleurais toutes les larmes de mon corps en silence.
La vie, c’est traverser toutes sortes d’épreuves mêmes si elles paraissent insurmontables, avec le sourire aux lèvres.

A l’heure où j’écris ces quelques lignes, elle n’est pas encore partie. Le traitement palliatif mis en place hier se veut doux, pour l’accompagner sans douleur et sans qu’elle ne se sente partir. C’est difficile de coucher tout ça sur papier alors que je la sais toujours présente, dans l’attente, bien que résignée à son sort. Le plus difficile est bientôt terminé pour elle alors qu’il commencera pour nous : continuer de vivre , aller de l’avant, rire de nouveau, s’amuser et faire la fête, continuer à avancer sans elle, sans plus jamais l’avoir au téléphone, sans entendre à nouveau son rire, sans ses prières quotidiennes adressées à nous tous pour avoir une bonne santé… finalement, tout en sachant que sa présence va s’estomper petit à petit du cadre familial au fil du temps. Jusqu’au tour de la personne suivante. Et ainsi de suite…
La vie c’est triste.

Je me sens coupable de l’avoir abandonnée quand je lui ai adressé un dernier signe de main après l’avoir embrassée sur le front. Un dernier au-revoir... Non, un adieu, avant de prendre la route du retour et de continuer mon chemin, le cœur lourd et la tête remplie d’images d’elle et de souvenirs appartenant au passé. Aujourd’hui, je suis dans l’attente de cet ultime coup de téléphone qui signera explicitement la fin de son existence, de son passage bref sur cette planète, et que je redoute de prendre. Je pense à elle en espérant qu’elle ne souffre pas malgré la douleur profonde qu’elle doit ressentir et que les médicaments ne peuvent soulager : celle de comprendre qu’il ne lui reste plus que quelques heures sur Terre, sans pour autant savoir avec certitude dans quel endroit elle va atterrir ensuite.
La vie, c’est un voyage sans retour, avec une destination inconnue.

J’espère que de là où elle sera, elle m’enverra un signe pour me montrer qu’elle est en paix et qu’elle nous attend tous là-bas, assise devant une table en bois vieillie, à un foutu banquet, habillée de sa plus belle robe en dentelle, en s’empiffrant avec un morceau de dinde aux marrons et en riant aux éclats avec les ancêtres.

Finalement, quelques heures plus tard, le sms qui signait sa délivrance est arrivé.
Ma mère, une force de la nature, avait écrit : Mamie est au banquet.

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En réponse au défi

Douleur

Lancé par Little Artemis

On a tous au moins eu quelque chose qui nous a grandement marquer,

Dans le sens négatif, alors je vous propose d'écrire sur ça :

Une douleur qui vous a profondement marqué.

Vous pouvez l'écrire sous forme de texte, poèmes, etc...

Pas de limite de mots !

A vos stylos et c'est partit :)

Commentaires & Discussions

17.07.2017Chapitre0 message

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