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Fleur de Cerisier

Petite plume rêveuse.

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œuvres
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défis réussis
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Œuvres

Défi
Fleur de Cerisier


Début d’année scolaire déjà bien entamée quand j’écris ces lignes. Le printemps approche et mon anniversaire suit inexorablement avec son lot de cadeaux à la fois parfaits du côté maternel, et inutiles du côté paternel. Mes parents sont divorcés depuis mes deux ans donc je n’ai jamais souffert d’une séparation brutale que peuvent connaître certains enfants, et encore moins de la distance avec mon père qui a choisi de vivre dans une autre région. Même si 500km nous séparent depuis déjà dix ans, je me porte très bien sans supporter une figure d’autorité masculine à la maison – ma mère fait le boulot pour deux à la perfection ! Mais il est vrai que de ce fait, j’ai grandi sans forger de lien avec mon deuxième parent et qu’aujourd’hui pratiquement tout nous oppose : il se montre davantage comme un « pote » plutôt que comme un père ; avec lui tout est question d’argent et je dois me sortir toute seule les doigts du cul pour travailler. Aussi, il ne faut rien lui dire de privé car il utilise tout à son avantage ou pour rabaisser les méthodes d’éducation de ma mère, sans pour autant proposer mieux. Il décompte mes cadeaux de Noël et d’anniversaire de mon argent de poche annuel, et ma grand-mère maternelle – la Grande Prêtresse de la manipulation – ne cesse de me répéter que c’est la faute à ma mère si la situation est telle quelle aujourd’hui et qu’il est parti s’exiler à des kilomètres de nous.  Bref, on ne choisit pas sa famille…
Il vit dans les Alpes, une région magnifique bordée par les montagnes enneigées – même en été – et les grands lacs. L’hiver je m’y rends pour skier (en école puisqu’il travaille la plupart du temps), et l’été je m’adonne aux parcours aventure en forêt ou je lézarde au bord de la piscine de l’immense villa que possèdent les parents de mes correspondants suisses, qui composent l’élite de ses amis les plus proches ; ce qui n’est pas pour me déplaire surtout que le cadet est plutôt beau gosse... 
Un des points positifs est que j’ai l’impression de faire un super voyage à chaque fois que je vais lui rendre visite, ce qui ne se résume malheureusement qu’à deux ou trois fois à l’année étant donné qu’on ne tient pas plus de dix minutes dans la même pièce sans se prendre la tête.
Cet été, comme tous les précédents, impossible d’éviter les vacances pré-programmées chez papa. Il travaille à l’hôpital cantonal de Genève et fait des journées de douze heures toute la semaine – comprendre par là : je ne le vois quasiment pas. Et ça me convient parfaitement ! Mon emploi du temps journalier se résume comme suit : attendre discrètement qu’il quitte l’appartement vers 5h du matin (les bouchons frontaliers l’obligent à partir tôt), double-checker que la voiture est bien sortie du parking sous-terrain et engagée dans la rue qui borde ma fenêtre de chambre, faire un bond hors du lit direction le salon, allumer la Playstation et jouer à Final Fantasy VIII pendant des heures (et sans respecter les temps de pause fictifs imposés par la bienséance). La définition parfaite du bonheur ! Pourquoi ce double contrôle de la voiture ? Tout simplement parce-qu’une fois, il est revenu à la hâte après un oubli de clefs. Je vous repeins rapidement le tableau : 5h30 du matin, moi dans le salon, lumières allumées, céréales baignant déjà dans un bol de chocolat fumant (je déteste le lait froid), impossible de prétexter l’envie nocturne de faire un petit pipi… Heureusement que son retour rapide ne m’ait pas laissé le temps d’allumer TV et console sans quoi il m’aurait dégommée – oui, mon père est très à cheval sur les grands principes débiles qui régissent la vie au quotidien du style : quand tu n’as que onze ans, tu ne dois pas te lever du lit avant au moins 8h et ce, même lorsque tu es en vacances. Conneries ! Bref, c’est après cette mésaventure, et bien avant de l’apprendre en cours de logistique des années plus tard, que j’ai pu constater l’importance capitale du double contrôle en situation réelle !
Quelques semaines plus tard, j’ai effectué ma première rentrée au collège, la cour des presque-grands. L’établissement un peu vieillot situé dans une petite bourgade campagnarde (et consanguine) dont je tairai le nom, fut le théâtre de bien des déboires de ma future vie de collégienne. Vu que c’était le seul lieu d’études à 50km à la ronde, je me suis retrouvée à côtoyer une seconde fois tous les dégénérés rencontrés à la maternelle, que je pensais définitivement hors de ma vue – et de ma vie ! Grâce à un fabuleux hasard, et à ma malchance légendaire, j’ai atterri dans la même classe que ce lourdingue de Kévin – 12 ans et demi, blond, grosses lèvres, j’ai déjà dit lourd ? – à qui j’avais promis deux ans plus tôt pour m’en débarrasser qu’on « sortirait » ensemble au collège. La vie s’est bien foutue de ma gueule à ce moment-là ! Une part de moi continue de penser que c’était le juste retour de bâton pour avoir osé jouer avec les sentiments de ce jeune homme même si, deux ans plus tôt, on n’avait seulement 9 et 10 ans et que je n’avais aucune foutue idée de ce que pouvait vouloir dire « sortir ensemble » sauf dans le contexte d’une promenade. Riez. Et riez une deuxième fois car ce petit con n’avait pas oublié la fausse promesse que j’avais faite. Son désir n’a cependant jamais pris forme. Trop grosses lèvres, un nom de famille qui signifie « Beaux Nichons » en phonétique, et pas romantique pour un sou soit, à des années lumières de l’idéal masculin que je me faisais à cet âge là, si tant est que j’en eus un…
Les jours se succédaient et se ressemblaient inlassablement, emprunts de monotonie, jusqu’à ce que le petit Cupidon qui me servait de professeur de Français décide de nous faire découvrir les joies du travail en groupe. C'est là que je me suis retrouvée en binôme avec Lui. Pas Kévin – 12 ans et demi, blond, etc… – non, je vous parle de Lui, le grand brun à la peau mate qui fait du judo (de ce que j’ai entendu) et avec qui je suis en compétition pour décrocher la meilleure note dans tous les cours depuis le début de l’année : mon Rival. Prénom : Antoine (Toinou pour les intimes – donc pas pour moi). Yeux : bruns – pas noisette mais chocolat noir qui deviennent chocolat au lait au soleil. Beau à tomber. Mais n’oublions pas, ce jeune homme est l’ennemi qui convoite la même place que moi sur le podium scolaire. Mon rival et surtout, mon premier coup de foudre. 
Encore une fois, la vie a dû se marrer quand elle a décidé ça sans même me demander mon avis. J’aurai pu tomber amoureuse de n’importe qui d’autre mais non, il a fallu que Cupidon (ou cette foutue prof de Français) choisisse le type le plus populaire de notre tranche d’âge, le beau gosse de la 6°B, celui qui veut, qui prend et qui ne te remercie pas avant de te jeter. Et bien que je sache pertinemment que je n’échapperai pas à cette dernière règle – dans l’hypothèse folle qu’il s’intéresse un jour à ma misérable existence – je ne pouvais pas m’empêcher, depuis ce jour fatidique où mon destin s’est joué de moi, de le bouffer des yeux à chaque heure de cours et ce, même quand sa place était derrière moi ! Si bien qu’au bout de quelques semaines toute la classe m’a grillée et le déni n’était plus permis.
Je ne sais pas à quoi je m’attendais… Une romance à l’eau de rose comme j’en lisais dans mes bouquins, bien au chaud sous ma couette ? Une relation passionnelle et interdite qui nous obligerait à se voir en cachette entre chaque sonnerie, derrière un casier ? Peut-on seulement avoir une relation passionnelle à onze ans… Toujours est-il que les sentiments, eux, étaient bien là ! J’ai tenté de les ignorer pendant des jours, me répétant que seul le travail importait, que j’étais trop jeune pour ce genre de conneries, mais ses regards en coin réciproques et ses clins d’œils entre deux croisements de plateaux à la cantine ne m’ont clairement pas aidée à faire la part des choses, me faisant monter le rouge aux joues à chaque fois. Ce grand con l’avait bien remarqué et s’en amusait dès que l’occasion se présentait, tout en fricotant à droite et à gauche avec les filles des classes supérieures. Jusqu’au jour où, lassé, il a voulu pousser la provocation au niveau suivant.
Ce jour, c’est aujourd’hui : le 1er avril. Un jeudi.
Le prof d’Histoire – une espèce de taré catholique et obèse qui interdit aux élèves de porter des t-shirts pendant la classe parce-que c’est « indécent » – s’est porté pâle et n’avait jugé bon de prévenir la principale qu’au dernier moment, soit dix minutes avant le début du cours, empêchant les responsables de prévoir un cours de remplacement. Évidemment, toute la classe a sauté de joie, moi y compris. Si j’avais su ce qui m’attendais et si cet anticonformiste frigide de prof d’Histoire l’avait su, il serait venu faire cours même avec 40° de fièvre ! Il est sans doute mort à l’heure où vous lisez ces quelques lignes (il était déjà pas mal entamé à l’époque), alors si tu lis ça depuis l’au-delà, Gérard (je tairai à jamais son nom de famille), sache que ce n’est pas ta faute et que je te pardonne !
Bref, quand un professeur est absent et qu’aucun cours de remplacement n’est mis en place, toute la classe se rend en salle d’études ou au CDI – ces endroits où on fait tous semblant de travailler de façon très studieuse. Depuis la salle de cours n°16 : un couloir à traverser pour atteindre l’escalier, deux étages à descendre, quelques mètres à faire pour passer la porte de l’étude dans laquelle ma place attitrée – collée au radiateur du fond – m’attendait. Je n’ai jamais atteint le bout du couloir. Pas faute d'avoir essayé...
En bonne intello, j’avais le nez  quasiment collé devant la porte de la salle d’Histoire, à deux rangs près, déterminée à entendre les sermons inintéressants sur les prisonniers de guerre de la Seconde. Première arrivée, dernière à partir, c’est une des premières règles de gestion des stocks que j’ai appris des années plus tard en DUT : LIFO – Last In First Out – en gros, vu qu’on se suit tous comme des moutons, les derniers arrivés en rang sont les premiers à courir en salle d’étude. 
En bonne élève obéissante, j’ai suivi le mouvement quand j’ai eu la merveilleuse idée d’aller boire un coup aux toilettes. Il faut dire que toute cette effervescence autour de l’absence du prof et de ses potentielles raisons nous a fait beaucoup parler pendant les dix minutes d’attente précédant l’arrivée du pion – comprendre par là : je crevais de soif ! Je délaisse donc le reste du groupe pour faire demi-tour et atteindre les toilettes au bout de l’autre couloir, tout en échappant à l’œil peu affuté du pion qui devait avoir seulement sept ans de plus moi et une passion évidente pour son boulot. Tout s’est alors passé très rapidement : avant d’avoir mis un pied devant les lavabos, on me tire violemment sur le poignet, une main vient recouvrir ma bouche pour étouffer mon cri de surprise, et je me retrouve plaquée contre un mur carrelé dégueulasse et froid avec un truc gluant qui essaye de se frayer un chemin dans ma bouche. Une langue pour ainsi dire (je préfère préciser avant que vous imaginiez des trucs crades avec des tentacules). Ce n’est pas la surprise qui m’a fait ouvrir les yeux, ni la curiosité, mais l’odeur nauséabonde d’urine qui emplissait mes narines à toute vitesse, vu que l’air rentrait difficilement par ma bouche. Toilettes des garçons. Merde. Le temps que mes yeux s’habituent à la pénombre, je distingue que c’est Lui. Que c’est SA langue dans ma bouche. SES mains qui retiennent mes poignets au-dessus de ma tête. SON corps que je sens se presser contre le mien. Et c’est à cet instant que j’en prends conscience : dans le noir, au milieu de l’odeur de la pisse, sa langue s'offrant un tour de grand huit dans ma bouche, que ce grand con d’Antoine vient de me voler mon premier baiser !
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Fleur de Cerisier


11 ans.
Certains diront que c’est bien loin de l’âge de raison, d’autres que la maturité vient parfois un peu trop tôt. Toujours est-il que du haut de mes 1m55 me voilà prête à partir pour un voyage en famille, d’une journée, à Disneyland Paris. Les grandes vacances font bon train depuis déjà un mois, ce début de mois d’Août me ravit autant que l’air chaud qu’il véhicule et bien qu’il soit encore tôt (5h du matin), je boucle mes derniers effets personnels dans mon sac à dos Waïkiki tout en priant pour que la fermeture éclair ne lâche pas. Alors que je m’assoie dessus pour tasser le contenu et pouvoir zipper le tout sans incident, mes pensées vont à ce cher Mickey que je rencontrerai peut-être dans quelques heures.
8h30.
Serrés comme des sardines, à l’arrière de la Rover maternelle, mes cousines, mon frère et moi profitons du voyage : Fanny, qui empiète un peu dans mon espace, semble profondément endormie, un mince filet de bave s’échappant à la commissure de ses lèvres. Sa sœur est, à quelques ronflements près, dans le même état. Mon frère, qui a le même âge qu'elle, ne cesse de demander toutes les dix minutes si on arrive bientôt, qu’il a faim et envie de faire pipi. Ma mère et ma tante lui répondent en cœur et en chantant « Quand Jimmy dit What’d I say, oh baby come on ! ». Ces êtres uniques forment ma famille la plus proche. De mon côté, je laisse mon esprit se perdre bien au-delà de l’habitacle, dans le blanc cotonneux des nuages, imaginant toutes sortes de chimères formées par leur contour. Une montgolfière passe. Et tout ça sur un fond de Patricia Kaas !
5h30 de route plus tard.
Nous arrivons enfin chez Mickey. Le tableau de bord de la voiture indique 11h03 alors que s’amorce le rangement en épis entre l’allée de Marie des Aristochats et celle de Donald. Déjà 26°. La journée nous promet chaleur, sueurs et déshydratation ; tout ce que je déteste.
Quelques dizaines de minutes de marche et quatre escalators plus tard, nous pénétrons sur le territoire où les rêves deviennent réalité (de ce qu’ils disent dans la pub). Nous fonçons sur Space Mountain le sourire aux lèvres, j’ai enfin l’âge et la taille requise pour le faire et je ne compte pas m’en priver !
Adrénaline et pur bonheur me submergent une fois descendue de l’attraction, jambes tremblotantes et cheveux décoiffés façon rock n’ roll. Je ne regrette pas d’avoir surmonté ma peur ! Les petits font la tête de ne pas avoir pu m’accompagner, encore trop jeunes, mais leur tour viendra bien assez tôt. Pour l’heure, je suis aux anges.
Un tour de paquebot plus tard, la faim et la soif se font ressentir (et ne parlons pas de la transpiration). C’est le moment que ma mère choisit pour faire une halte au Hakuna Matata – le restaurant emblématique de Timon et Pumba dans lequel ils ne servent heureusement pas d’insectes ! Juste d’énormes pizzas en forme de tête de Mickey. Tout se profilait bien jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que sa carte de crédit attendait bien au chaud dans la Rover. Première erreur de la journée. La voilà donc partie pour un aller-retour au parking qu’elle promet rapide.
Deux heures plus tard.
Nous ne voyons ni la carte bleue, ni sa détentrice. Un appel sur le portable de ma tante nous apprend qu’elle ne retrouve pas la voiture maintenant que le parking est plein à craquer, et qu’elle n’a bien évidemment pas noté le numéro de la place. Deuxième erreur de la journée.
Ma tante se sentant tout d’un coup dépassée par les évènements, avec quatre mômes à surveiller, nous fait patienter à Vidéopolis devant un spectacle orchestré par différents personnages de Disney – et si ennuyeux quand je réalise que la Reine de Cœur m’attend peut-être à Fantasyland.
Après l’arrivée salvatrice de ma mère, la visite continue de plus belle : embarquement à bord du Nautilus, voyage interstellaire avec R2D2, exploration du Far West secoués par le train de la mine, vol au-dessus de Londres avec Peter Pan, et descente aux enfers dans la célèbre Maison Hantée. Une succession d’attractions plus magiques les unes que les autres et ce, jusqu’à épuisement physique total. Les adultes en auront eu pour leur argent !
23h30.
Nous rentrons après la parade avec des étoiles plein les yeux et la tête remplie de souvenirs. Je n’ai vu ni Mickey, ni la Reine de Cœur.
Sur le chemin du retour, entre la gare de Marne-la-Vallée et le parking gargantuesque de la souris la plus célèbre du monde, nous croisons un groupe de gens du voyage vendant des Tour Eiffel miniatures et autres bibelots pour touristes. L’une d’entre eux – une vieille femme dont le visage est à moitié caché par un voile en dentelle blanche – m’attrape soudainement par le poignet et place sa main dans ma paume. « Ton prénom est celui de la Vierge Noire » et « Tu n’auras pas une vie facile ma petite » sont les seuls mots que je me souvienne avant que ma mère n’intervienne.
Ces paroles m’ont longtemps hantée et aujourd’hui encore il m’arrive d’y repenser.
Ma prise de conscience de la vie, mes tribulations, tout commence ici. Je m’appelle Sarah, bienvenue dans mon histoire.
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Samedi soir, j’ai reçu un sms que j’aurais préféré ne jamais recevoir.
Le genre de message qui est difficilement énonçable de vive voix. Celui qui vous met un coup dans la poitrine sans préavis et suite auquel vous avez l’impression que le monde s’écroule sur vos petites épaules. Tout devient lourd à porter, même son propre poids, et tous vos gestes deviennent automatiques un peu comme si l’instinct prenait le dessus sur tout le reste.
Mamie se meurt… était affiché sur l’écran de mon téléphone. J’ai dû relire les quelques mots plusieurs fois avant de réaliser qu’il fallait que je me rende rapidement auprès d’elle pour lui faire mes adieux.
L’heure et demie de route qui nous séparait s’annonçait longue et douloureuse même si mes gestes s’effectuaient déjà de façon mécanique. C’est incroyable de constater à quel point la vie peut changer en seulement quelques infimes secondes. Cinq minutes avant que mon téléphone ne sonne, je me tordais de rire avec ma moitié, sur un jeu vidéo en ligne, tout en m’enfilant un paquet de chips largement discutable au niveau calorique. Puis, en quelques secondes, tout s’écroule.
Avec le recul, je me demande à quoi je m’attendais… un courrier recommandé ? Non. Quoiqu'on en dise, la vie est imprévisible.
Je n’ai jamais vraiment été confrontée à la perte d’un être cher, ou en tout cas seulement dans ma jeunesse. Je me souviens, une fois, avoir enterré un oncle parti brutalement et trop tôt. Mais de ce que m’avaient raconté les adultes, il allait rejoindre ses ancêtres. A l’époque, j’imaginais une espèce de grand banquet de famille dans une maison de campagne au toit de chaume et aux petits murs de pierres. Dans le grand salon éclairé par le feu d'une cheminée ancienne et empli d'une odeur boisée d'un autre temps, des dindes aux marrons garnissaient une grande table en chêne autour de laquelle prenaient place ces fameux ancêtres, habillés comme à l’ancien temps avec des costumes noirs et blancs, des chapeaux haut-de-forme, et leur pipe au bec. Rien de bien réjouissant pour l'adolescente que j'étais à cette époque. La mort avait l’air vraiment naze, ennuyeuse même.
Prenant place au premier rang à l’église, j’avais longuement fixé le cercueil incliné, debout face à la famille et aux amis, en criant à mon oncle dans ma tête : « Allez, sors ! Si tu veux sortir c’est maintenant, après ce sera trop tard ! Vas-y, tape, je suis prête à courir t’ouvrir ! »
J’avais espéré et prêté l’oreille en vain. Mon oncle n’avait rien fait. J’avais tout juste douze ans. Aujourd’hui, à trente, je me demande si ma grand-mère va retrouver, elle aussi, comme mon oncle, ses ancêtres. 
C’est en pensant fort à elle et en l’implorant par télépathie de m’attendre avant de se rendre à ce foutu banquet que j’ai pris la route sous un soleil couchant et teinté de nuances roses, sa couleur préférée, tout en me disant que la vie, c’est pas toujours tout rose comme le ciel en fin de journée.
Une fois à ses côtés, j’ai eu cette chance, que peu d’entre nous ont, de pouvoir lui dire tout ce dont j’avais besoin : ce qu’elle devait savoir avant de partir, tout l’amour que je lui portais, sans oublier un temps précieux de partage de nos souvenir communs. Tout en serrant sa main frêle et d'une froideur angoissante, j'ai prié les ancêtres de retarder leur repas de famille et de ne pas me la voler tout de suite.
Elle ne peut plus s’exprimer oralement depuis plusieurs mois à cause de la sévérité de sa pathologie mais j’ai cru apercevoir dans ses yeux tout le bonheur qu’elle éprouvait en me sachant auprès d’elle, ainsi que tous ses autres petits-enfants, et enfants. Durant la soirée, elle a écrit sur son ardoise – son seul moyen de communiquer – qu’elle m’aimait, moi, sa « fleur ». Parfaitement consciente que son heure avait sonné et, malgré son handicap et l’effet des médicaments, elle trouvait encore la force de me transmettre des messages. Je me souviendrai toujours de cette démonstration de courage et de volonté. C’est ce qui m’a aidé à lui sourire et à ne pas craquer devant elle alors qu’à l’intérieur je pleurais toutes les larmes de mon corps en silence.
La vie, c’est traverser toutes sortes d’épreuves mêmes si elles paraissent insurmontables, avec le sourire aux lèvres.
A l’heure où j’écris ces quelques lignes, elle n’est pas encore partie. Le traitement palliatif mis en place hier se veut doux, pour l’accompagner sans douleur et sans qu’elle ne se sente partir. C’est difficile de coucher tout ça sur papier alors que je la sais toujours présente, dans l’attente, bien que résignée à son sort. Le plus difficile est bientôt terminé pour elle alors qu’il commencera pour nous : continuer de vivre , aller de l’avant, rire de nouveau, s’amuser et faire la fête, continuer à avancer sans elle, sans plus jamais l’avoir au téléphone, sans entendre à nouveau son rire, sans ses prières quotidiennes adressées à nous tous pour avoir une bonne santé… finalement, tout en sachant que sa présence va s’estomper petit à petit du cadre familial au fil du temps. Jusqu’au tour de la personne suivante. Et ainsi de suite…
La vie c’est triste.
Je me sens coupable de l’avoir abandonnée quand je lui ai adressé un dernier signe de main après l’avoir embrassée sur le front. Un dernier au-revoir... Non, un adieu, avant de prendre la route du retour et de continuer mon chemin, le cœur lourd et la tête remplie d’images d’elle et de souvenirs appartenant au passé. Aujourd’hui, je suis dans l’attente de cet ultime coup de téléphone qui signera explicitement la fin de son existence, de son passage bref sur cette planète, et que je redoute de prendre. Je pense à elle en espérant qu’elle ne souffre pas malgré la douleur profonde qu’elle doit ressentir et que les médicaments ne peuvent soulager : celle de comprendre qu’il ne lui reste plus que quelques heures sur Terre, sans pour autant savoir avec certitude dans quel endroit elle va atterrir ensuite.
La vie, c’est un voyage sans retour, avec une destination inconnue.
J’espère que de là où elle sera, elle m’enverra un signe pour me montrer qu’elle est en paix et qu’elle nous attend tous là-bas, assise devant une table en bois vieillie, à un foutu banquet, habillée de sa plus belle robe en dentelle, en s’empiffrant avec un morceau de dinde aux marrons et en riant aux éclats avec les ancêtres.
Finalement, quelques heures plus tard, le sms qui signait sa délivrance est arrivé.
Ma mère, une force de la nature, avait écrit : Mamie est au banquet.
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Questionnaire de l'Atelier des auteurs

Pourquoi écrivez-vous ?

C'est comme une thérapie. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé lire et écrire car cela me permettait à la fois de m'évader de mon quotidien, et de me débarrasser de mes pensées ou de tout ce qui prenait trop de place dans mon esprit.
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