192 et demi

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  Quinze jours plus tard, Buckingham Palace vibrait d'une intense activité. Les maîtres du protocole s'égayaient dans tous les couloirs, tous les salons officiels, toutes les salles de réceptions pour s'assurer que chaque fauteuil, chaque verre, chaque pli de tenture était en place. Dans les appartements royaux, Philip Mountbatten en costume trois pièces rentrait dans la chambre de son épouse.

— Ça ne fait pas un peu trop, la robe longue, Lilibeth ? s'étonna-t-il en la voyant.

Elle était au centre d'un petit groupe de pages, habilleuses et conseillers en images que Phillip connaissait bien. Il n'y avait qu'une seule personne dont la présence l'étonnait. C'était un conseiller militaire. Le duc d'Édimbourg l'avait croisé plusieurs fois dans les couloirs à l'occasion d'une quelconque réunion sur l'état de l'armée mais surtout, il se souvenait l'avoir vu à une cérémonie de décoration. Cet homme avait été fait chevalier mais il avait un doute sur la raison. C'était un ancien sportif de haut niveau mais dans quel art ? Il n'en avait plus la moindre idée. Il l'avait souvent remarqué dans le palais ces derniers jours.

— C'est tout à fait nécessaire, my Love, répondit-elle en souriant. Êtes-vous certaine que ma coiffure tiendra quoiqu'il arrive, mademoiselle Mogg ? Mon diadème ne tombera pas ?

— Oui Madame, vous pourriez faire un triple salto arrière que rien ne bougera, répondit la chambrière en provoquant une salve d'hilarité.

— C'est vrai qu'aujourd'hui, je me sens la force de réaliser un tel exploit, rit-elle.

— Tu as effectivement l'air resplendissante, confirma son mari. Je ne t'aurai pas cru aussi joyeuse à l'idée de rencontrer Donald Trump.

Avant que la conversation ne puisse se poursuivre, un page entra dans la pièce pour prévenir :

— Nous avons été prévenu que le président quitte sa résidence. La voiture présidentielle sera là dans une dizaine de minutes.

— Parfait, juste quelques préparatifs encore. Monsieur Flemming, tout est-il prêt ?

— Oui Madame. Le reste ne dépend plus que de vous.

La reine remercia d'un signe de tête et tendit le coude au duc d'Édimbourg. Ils marchèrent tranquillement vers l'entrée. La robe longue de la reine provoquait quelques chuchotements sur son passage. Certes, c'était une robe magnifique, sobre malgré la richesse de la dentelle posée sur un tissu blanc parfaitement opaque, mais surtout, cela faisait plusieurs années que la monarque préférait des tailleurs courts plus pratiques. Pour autant, on voyait que cette tenue ne la gênait en rien dans ses mouvements, tant elle avait l'habitude de porter des tenues de cérémonies beaucoup plus encombrantes. Ce choix vestimentaire surprenait donc le personnel mais pas son époux. Lui remarqua plutôt un tonus qu'il n'avait pas vu depuis longtemps.

— Qu'ont-ils mis dans ton thé ce matin ?

— Ce n'est pas dans le thé que réside le secret, s'amusa-t-elle.

Ils arrivèrent sur le perron quelques instants à peine avant l'arrivée du véhicule sur-blindé qui transportait le président américain. Déjà connue pour peser plus d'une tonne durant les précédents mandats, l'appareil de sécurité présidentiel avait dû être grandement renforcé depuis l'élection du républicain. Il avait déjà subi deux tentatives d'assassinat par balles et trois tentatives d'empoisonnement. Air Force One avait été même percuté par un hélicoptère mais personne ne savait vraiment s'il s'agissait d'un accident ou d'un autre essai avorté. Des 193 états sur la planète, 192 le détestait et une bonne moitié des citoyens des États-Unis ne l'appréciaient pas non plus. Il y eu un petit incident à quelques mètres du point d'arrivée de la voiture : la plaque d'égout céda.

— Je croyais qu'on les avait renforcées, demanda Philip en chuchotant le plus discrètement possible.

— Ils ont dû nous mentir sur le poids de leur engin de crainte que ça ne s'ébruite. Ah ! La confiance règne, s'énerva-t-elle.

Après quelques minutes de flottements et de palabres, les agents de sécurité se rapprochèrent de la porte arrière et l'ouvrirent. Le président des États-Unis en sortit en levant les bras au ciel, comme un vainqueur, un sourire prétentieux au visage. La foule massée des deux bords de la route, qui discutait de l'incident, devint tout à coup silencieuse. Sur chaque visage, on pouvait voir des sourcils froncés. Entre de nombreuses mains, des panneaux de protestations. Certains dénonçaient le président lui-même, d'autres ses résolutions non-écologiques, l'invasion des pays pétroliers, son projet de loi de se faire consacrer empereur ou bien d'autres choses encore. Il y en avait pour tous les goûts, les sujets de dissension ne manquaient pas. Mais le plus surprenant était le silence profond de la foule. Celle-ci ne prononçait pas un mot, le regardait juste d'un œil réprobateur. Déstabilisé, Trump baissa petit à petit les bras et balaya la tribune du regard. Il tendit les mains vers l'avant et commença :

— Mes amis, je suis fiew d'êtwe ici avec vous !

Mais le silence hostile resta. Quelqu'un toussa. L'américain resta bras ballant, surpris de ce silence. Sa réaction arracha un rictus méprisant à la reine. Trump avait déjà rencontré des foules en colère mais il réalisait maintenant que c'était moins terrible que ces regards muets. Un des gardes du corps l'appela doucement pour lui rappeler qu'il fallait continuer. Le président redressa sa cravate qui n'en avait pas besoin et commença la vingtaine de mètres qui le séparait du perron du palais. Il était encore à une douzaine de pas qu'il tendait déjà la main pour serrer celle de la reine. Première faute de goût. Cette dernière tendit très poliment sa propre main. Au lieu de la poignée très légère qu'il convenait d'appliquer, l'américain la secoua énergiquement, tirant à lui la vieille dame, la faisant trébucher presque. Dans la foule, le silence fit place à un grondement de tonnerre lointain. Personne ne bougea encore. Puis le président mit sa main dans sa poche et en sortit un smartphone.

— Un selfie pouw notwe wencontwe !

Il tendit le bras et se pencha tout contre la reine pour réaliser une bonne photo. Un cri vint de la foule comme un éclair brusque. Le président confirmait là son statut de gaffeur. La vieille monarque s'écarta d'un pas avant que la photo ne puisse être prise, le toisa d'un regard perçant et lança d'une voix forte et claire :

— Monsieur Trump, vous m'offensez ! Votre impolitesse dépasse les plus hauts sommets et les limites de ma patience !

— Et alows quoi ?

— Monsieur Trump, je vous provoque en duel à mort !

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