Chapitre 7 : Du placard magique...

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La pluie tombait ce matin-là, alors qu’Élise donnait des ordres pour que la malle de Théodore soit descendue.

Une semaine plus tôt, il avait été décidé qu'ils rejoindraient le père de Théodore, le Chevalier Hector à Paris, pour répondre à l'invitation du Roi en personne. Il leur ferait l'honneur d'un petit entretien. Deux jours plus tard, Élise avait ouvert la porte « magique » de la garde-robe de Théo, pour entrer dans ce monde secret et inépuisable de vêtements. Du lit, il l'avait entendu farfouiller, pousser des petits cris de satisfaction, ou des grognements mécontents, tout ça pour lui remplir deux petites malles. Et ça n'était rien à côté de celles de sa mère ! Pourtant, Élise s'appliquait tout autant à lui choisir les plus beaux tissus et les plus frais. Pour cause, ils allaient saluer le Roi ! Alors qu'elle tournait la grosse clef de bronze dans la serrure, Théo songeait à tous ces secrets, toutes ces possessions que l'on enfermait ainsi. Si de la magie s'y cachait pour de bon, est-ce qu'elle survivrait à cet enfermement ? L'inquiétude passa vite, Élise lui rappelait le beau voyage qu'ils s'apprêtaient à faire.

Paris !

Le Roi !

L'idée était abstraite pour le moment, mais la pagaille et l'agitation qui entouraient le projet depuis un bon mois l'amusaient au plus haut point. Surtout Élise à vrai dire. Plus on approchait de la date, et plus elle semblait perdue. Mais quoique son regard soit celui de l'affolement, ses mains, elles, étaient aussi précises qu'à l'habitude. Le plus amusant pour Théo était les longs monologues qu'elle entretenait avec elle-même en triant les tenues.

- Ah ça non, Grand Dieu, non. Ça ne convient pas du tout pour la « Grand'ville ». Et ça ! Non mais que'que c'est que cet' horreur ! Devant not' bon Roy ! Oh fi ! Gloussait-elle avant de redevenir sérieuse. Ah ! S'extasiait-elle alors, trouvant enfin une pièce à son goût. Oui ! Hourra pour la Grand'ville.

Elle réapparaissait alors les bras chargés de divers éléments, sortis de nulle part. Théo aurait pu jurer n'avoir jamais vu de chemises aussi blanches depuis belle lurette. De même pour les bas de soie, vestes et jabots. Il y avait tout ça là-dedans ? Il savait avoir une tenue pour les grandes cérémonies, certes, mais une seule. Or, Élise en sortait toute une tribu.

- Tu t’embêtes bien, ma bonne Élise. Met juste deux chemises un peu propres et un caleçon. Pas besoin de tant.

Sa mine montrait bien qu'il n'avait aucune envie de porter tout ça, surtout les jabots qu'il avait en horreur.

- POUR LE ROY ? S'était-elle exclamée en riant fort. Et pourquoi pas un caleçon tout crotteux tant que vous y êtes !

- J'ai ma belle tenue pour le Roi. Le reste... Ai-je besoin de tant ?

- Oh que oui ! La grand'ville, c'est pas une basse-cour hein ! C'est tout beau, là-bas. C'est du grand'monde.

- Nous sommes le grand-monde, non ? Oh oui, petit maître. Mais vous vivez loin. Ils sont précieux là-bas. Ils dansent pas comme nous, vous savez...

- Comment ça ? Oh ! Vous m'embêtez ! Je sais pas expliquer. Vous verrez bien. Moi, je fais la malle ; vous, vous verrez, et vous me direz. C'est la grand'ville et pis c'est tout.


Élise avait à la fois une crainte et une admiration pour cette ville bien trop grande pour elle. Si on lui en avait laissé le choix, elle serait restée à Sainte Thérèse, où elle se sentait à l'abri, dans son élément. Elle en connaissait chaque recoin et ne voulait pas s'éloigner. Mais Dame Marie-Belle en avait décidé autrement. Il serait impossible de se passer d'elle, ne serait-ce que pour s'occuper de Théo. Elle emmenait également sa femme de chambre, Myriam. De toute façon, Élise n'aurait pas à se présenter au Roi. Si cela la rassurait, ce n'était qu'en partie. Rester seule avec les serviteurs de la famille de Madame la rendait tout aussi nerveuse. Elle ne voulait pas faire honte avec son accent campagnard. Ici, elle était chez elle, et si Madame n'était pas contente, c'était pareil. Mais là-bas... De quoi aurait-elle l'air ?

Pour le moment, tout le monde s'était mis d'accord pour faire comme si elle restait à la campagne.


Des mensonges à la réalité, il n'y avait pourtant qu'un pas. Et maintenant, sous la pluie fine normande, on chargeait les malles dans le fiacre, avant celui des passagers. Élise et Myriam, sous la vigilance rigoureuse de Dame Marie-Belle, montaient en voiture. Les dernières recommandations furent données, dont celle pour Élise de parler le moins possible. Celle-ci, qui époussetait pour la millième fois son col, hocha affirmativement la tête, ses yeux effarés n'en revenaient toujours pas de se voir entraîner dans une telle aventure. Enfin, la portière claqua et il fallut partir.

Pour deux jours, il ne resterait au manoir que la cuisinière, et une servante prise pour l'occasion, en remplacement temporaire. Elle était jeune, et paniquée à l'idée de devoir servir la famille sans aucun guide. Et le regard de sa maîtresse n'aidait pas à la rassurer.

Élise et Myriam installaient tout le confort à Paris, pendant qu'ici, on ferait disette, soupirait Dame Marie-Belle. La petite remplaçante se prénommait Catherine ; c'était une jeune fille trouvée au village. « Trouvée » était le terme exact, elle traînait les rues. Dame Marie-Belle l'avait attrapée, les bras chargés de courses, et lui avait fait porter le tout en échange d'une piécette. La pauvresse s'était retrouvée à ramener le panier bien lourd pour ses petits bras. Finalement, cela lui importait peu, puisqu'en retour elle avait eu la fameuse pièce, et même un repas chaud. La petite Cathy, pour qui le prénom de Catherine était aussi lourd que les paniers de victuailles, avait assuré se tenir au service de sa dame chaque fois qu'il lui en serait nécessaire. Le problème était de savoir où la trouver. Alors on choisit de la garder « à la maison ». Une petite chambre lui fut allouée ainsi que la charge d'allumer le feu et de rentrer le bois.

- Elle ne nous coûtera pas cher et apprendra le travail avec Élise.

Voilà les mots qui avaient conclut l'affaire. Théo la prit aussitôt en grippe. Il avait bien compris ce que sa mère voyait là, une aubaine pratiquement gratuite pour remplacer Élise. Cette dernière n'y voyait pas grand mal. Et puis elle était finalement bien contente de se débarrasser de la corvée de bois. Elle avait assez à faire. Pourtant, lorsqu'il fut question de son départ anticipé à Paris, Théodore l'avait vu s'inquiéter. L'éloigner, puis la faire disparaître de leur environnement, et même la laisser là-bas au service d'une autre famille, voilà ce qu'elle craignait. Théo lui jura que jamais, ô grand Jamais, il ne l'abandonnerait. Eux-deux, c'était pour la vie, quoiqu'il arrive. Élise avait souri, un peu rassurée, tandis que Théo se demandait s'il aurait le pouvoir de tenir son engagement.


Il fut tout à fait rasséréné dès leur premier soir. La soupe fut servie tremblotante, et quelques éclaboussures s'élargirent sur le bord des assiettes. Heureusement, aucun tissu n'en fut tâché.

- Seriez vous cantinière, ma chère ? Interrogea Dame Marie-Belle froidement.

-  Apporter de l'eau et le vin n'est pas trop demander, je suppose. Qu'en pensez-vous ? N'est-ce pas là un minimum ?

- La cuisinière aurait-elle oublié de préparer un dessert ? Non ? Alors qu'attendez-vous pour nous le proposer ?

Dame Marie-Belle ne parlait que pour questionner, et plus elle s'étendait en interrogation, plus la voix se faisait sèche, un ravissement pour Théodore qui garda toutefois le silence. C'en était pire. L'ambiance était glaciale et Cathy résistait à l'envie de pleurer. Elle tint bon et ne s'effondra que lorsque mère et fils quittèrent la table.

Théo accourut joyeusement jusqu'à sa chambre. Décidément, sa journée était belle. Le voyage l'excitait allègrement. Les malles étaient sans doute en train de se défaire. Demain, il partirait à son tour rejoindre son père, et il irait discuter avec le Roi.

Il se précipita à la fenêtre, prêt à voir la lumière d'or. Comme il aurait voulu lui raconter tout cela ! Mais la tour était sombre, il n'y avait rien à voir dans la nuit tombante. Il était en avance sans doute. Alors il patienta, assis en tailleur sur son lit, une bougie non loin, à tourner les pages d'un livre sans vraiment le regarder. Pourtant, il eut beau attendre, rien ne changea. Il fallut bien qu'il se fasse à l'idée de s'endormir sans voir la fille de la tour. Profitant de ce temps vide, il songea qu'il lui serait agréable d'échanger avec elle par courriers. Elle les signerait, ce qui lui permettrait de connaître enfin son prénom. Il n'y pensait pas au début, et puis lorsque la question lui vint, il se sentit en faute de ne pas le lui avoir demandé plus tôt. Pourtant, depuis le jour dans les buissons, le temps avait bien passé. Il était plus que temps.

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