Chapitre 6 : Où que ce soit

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Théo suit la fille de la tour. Il la voit de dos, se déplacer avec grâce et légèreté, comme si elle était dans son élément.

- J'suis bête... se murmura-t-il à lui-même.

Bien sûr, qu'elle est dans son élément, puisqu'elle vient de le faire entrer dans la tour. Elle est chez elle. Il n'y a que lui qui se sente petite souris importune. Elle se retourne et lui sourit, radieuse. Il sent un peu de courage lui revenir et se redresse un peu. Mais tout de même, il est chez la sorcière... Cela fait peur.

- Ici, tu vois, c'est pour manger et pour passer du temps ensemble. Souvent, l'hiver, on reste près du feu, et on discute, ou on lit, ou je fais des exercices. Si tu as besoin, la pièce de propreté est derrière la porte en bois peinte d'un cygne.

Entendre ces quelques explications brisa un peu le heaume d'angoisse qui l'oppressait. Il se plaît alors à imaginer cette vie, qui lui rappelait un peu la sienne. Et puis dans le décor, rien d'extraordinaire, si ce n'est la forme. La pièce est ronde, évidemment. Mais très grande. Une belle cheminée contre le mur opposé à la porte. Deux bergères y trônent de chaque côté, avec des coussins moelleux. Au centre de la pièce, une grande table, où huit personnes pourraient dîner sans être serrés. Et puis sur la gauche, un large buffet arrondi. Il n'était pas bien haut, mais prenait une bonne longueur du mur, et semblait bien profond. Au-dessus de lui, passait l'escalier menant au premier étage. À droite, un évier simple, quoique coquet, avec une table de travail assez inhabituelle par sa taille et par ses objets hétéroclites posés dessus. Plein de bric-à-brac, du moins pour Théodore, y était entreposé. Ce n'était pas le désordre, mais il n'y avait pas de ces choses dans sa cuisine à lui. Des fioles de toutes tailles, étincelantes, étaient accrochées becs en bas, à la place de ce qui aurait dû être des casseroles. Et sur le plan même, des bocaux plus ou moins vides. Théo aurait pu supposer voir de l'orge, du blé, du maïs, de la farine. Mais il y en avait trop, il essaya de compter, mais la petite l'entraînait en le tirant par le bras. Il en était au dix-septième bocal lorsqu'il dut abandonner le décompte.

- Au premier étage, c'est la chambre de maman. Elle m'y fait travailler quelques fois, pour des préparations particulières, parce que c'est plus facile d'être là que dans ma chambre, je n'ai pas tout le matériel. Parfois, je rêve que j'ai toutes les herbes à ma disposition, toutes les fleurs et tous les animaux, et que je peux faire autant de magie que je veux, s'extasie-t-elle les yeux pétillants, avant de baisser la voix pour conclure désappointée, et puis après, je me réveille. J'aime pas beaucoup quand je fais ce rêve-là.

- Quand tu seras grande, la rassure Théo, tu auras tout. Petit à petit, tu vas pouvoir compléter ce que tu as. Et puis, tu ne pars jamais loin d'ici alors c'est difficile d'avoir de nouvelles choses.

- Quand je serais grande, je voyagerais partout ! Avec un grand sac pour mettre dedans ce que je trouve.

Il sourit attendri. Parfois, elle avait vraiment l'air d'une petite fille. D'autres fois, moins. Alors qu'elle l'entraînait à monter encore, il jeta un rapide coup d’œil à la pièce. Pas de crâne, ni de corbeaux en décomposition. Pas de serpent, ce qui n'était pas plus mal, ni d'araignées de toutes sortes, comme il se l'était imaginé. Pas de rideaux noirs en lambeau à la fenêtre. Juste un fin rideau violet, aux bordures piquées de fils d'argent formant des rosaces complexes. Un lit large, à l'aspect douillet, une pièce propre, avec deux immenses placards de chaque côté de la petite cheminée. Théo supposa que le conduit principal alimentait les trois pièces. Toutefois, l'antre de la sorcière sortait bien de l'ordinaire. Elle devait être haute d'une dizaine de mètres et des centaines, ou peut-être des milliers d'étagères s'y trouvaient, tantôt pleines de livres, tantôt couvertes de boîtes et de bocaux de fleurs et de plantes, pour le peu qu'il en vit, dans lequel s'enchevêtrait l'escalier immensément long. Comment pouvait-elle accéder à tous ces rangements ? Se demanda-t-il en montant les interminables marches qui menaient au dernier étage de la tour, là où brillait chaque soir l'étoile d'or, face à sa propre chambre.


Lorsqu'ils y furent enfin, la petite demoiselle, courut et sauta sur son lit. Postée à genoux sur celui-ci, elle observait désormais à loisir les réactions de Théo. Celui-ci était sans aucune doute étonné, mais aussi un peu perplexe. Que penser du lieu ? Au fond, toujours une belle cheminée. Quoique celles du bas soient plus sobres, les pierres de celles-ci semblaient sculptées, il faudrait qu'il s'y penche plus tard. Mais pour le moment, ce qui emplissait son regard, c'étaient ses immenses étagères essentiellement vides. Autant en dessous, la pièce était impressionnante par tout ce qui s'y trouvait, il en sortait une joyeuse envie de farfouiller partout. Autant ici, il n'y avait que peu de choses. Les étagères les plus proches étaient tout de même chargées de livres, Théo remarqua celui qu'il lui avait offert proche de son lit. À la gauche du lit, jusque sous la fenêtre, une immense commode à mille tiroirs. Il n'avait pas eu besoin de les compter, fort heureusement.

- Tu as vu ? C'est un meuble à mille tiroirs ! Maman me l'a offert pour mon premier anniversaire !

De cette phrase, il en avait déduit l'information des mille tiroirs. Mais que faire de tant de rangements ?

- Au début, je n'en utilisais que quatre ou cinq, et puis une vingtaine. Là, je pense que j'en occupe bien cent. À peu près.

De l'autre côté se trouvait une table fort impressionnante. Elle n'était pas extrêmement large, mais assez longue et recouverte d'une nappe la recouvrant jusqu'au sol. Dessus, se trouvaient deux livres, ainsi que du matériel de cuisine, peu commun, mais sans aucun doute pour cette office. Au-dessus du foyer éteint, un petit chaudron était suspendu, en attente d'une soupe, ou de quelques potions qu'elle lui ferait essayer. L'ensemble de la pièce était propre, et un peu impersonnel. Pas de décoration précise, pas de tableau, de dessin, ni de vêtements qui traînent... Il ne reconnaissait pas sa compagne de jeux. Comme il savait qu'elle attendait quelques remarques de sa part, il se comporta en homme bien élevé.

- Tu as une jolie chambre, très soignée. Félicitations.

En entendant ces quelques mots, elle eut un rire moqueur. Puis descendant du lit, elle le prit doucement par la main pour l'entraîner vers la table de travail.

- Viens, murmura-t-elle en soulevant la nappe.

S'abaissant à la hauteur, pour satisfaire le nouveau jeu, Théo se rendit compte qu'il y avait là un nouveau monde différent et bien plus habité. Quelques lucioles maintenues sur le plafond de bois diffusaient une légère lumière jaune. Le sol était couvert d'une couverture épaisse et moelleuse, et quelques coussins s'y trouvaient. Voilà pour l'installation générale. Pour le reste, il régnait là un désordre affolant. Livres, et bric-à-brac de toutes sortes, et même deux gilets se roulaient en boule dans un coin et sous un coussin ; d'ailleurs, sur un autre, Théo reconnut la salamandre, Furie, qui ronflait doucement. Il ne la craignait plus comme autrefois. Jusqu'à ce nom, « Furie » qui lui semblait bien présomptueux pour une petite bête aussi gentille.

- C'est super ici ! S'émerveilla-t-il en s'installant confortablement non loin de Furie. J'aime énormément.

- Tu pourrais dormir là en secret, si un jour tu veux rester. Tu penses que ça se pourrait ?

Bien que la proposition lui plaise, elle sait bien qu'il serait impossible de duper la sorcière si facilement, mais il est doux d'en parler. - Ce serait plutôt à moi de te proposer une telle chose. Tu sais, si un jour tu te sens trop en danger ici, nous t'accueillerons. Il ne faut pas que tu hésites.

- En danger ? Répète-t-elle sans comprendre. Je ne cours aucun danger.

- Bien sûr que si. Vivre avec une sorcière... On ne sait pas ce qu'il peut lui passer par la tête. Elle est effrayante.

- Ce n'est pas parce que tu as peur qu'elle est dangereuse. Et puis moi aussi, je suis une sorcière. Alors si tu n'aimes pas ça, tu n'as qu'à t'en aller. Et puisque tu fais le malin, je te rappelle que ce n'est pas moi qui me fais battre à coups de bâton par sa mère !

- N'importe quoi. Si tu ne te fais pas battre, alors comment ça se passe quand tu te fait disputer ? T'es pas punie ?

- Si, je suis punie. Mais...

- De toute façon, chez moi, tu ne serais pas battue, l'interrompt-il. Je te défendrai au besoin, mais tu es sage, donc tout va bien.

- Tu plaisantes ? J'fais tout le temps des bêtises. Merci, mais je préfère rester chez moi. C'est bien mieux.

- Comme tu voudras... De toute façon, quand on est futur chevalier du roi, on ne craint pas les coups.

- Et quand on est une grande sorcière, on ne tolère pas que quelqu'un se permette seulement d'oser lever la main sur soi, réplique-t-elle.


Un silence boudeur s'élève entre eux, alors que les petites lucioles brillent davantage.

- Dis, relance-t-elle adoucie, tu me ramèneras un souvenir de Paris ? Tu vas me manquer quand tu seras parti.

Théo lui sourit, et lui dépose un baiser sur la joue avant de sortir de sous la table pour s'en aller.

- Oui, je n'y manquerais pas... Toi aussi, tu vas beaucoup me manquer.


Lorsque la nuit se lève ce soir-là, que les étoiles brillent, Théo se demande si la fille de la tour s'est couchée dans son lit, ou bien sous la table. Où dort-elle cette nuit ? Il n'a pas pensé à le lui demander. Alors qu'il ferme les yeux, il reçoit une image très embrumée, comme un rêve perdu que l'on essaie de fixer. Petit à petit, il arrive à percevoir ce qui s'y cache. Il se voit, la tenant par la main, dans les rues de Paris. Tout deux déambulent gaîment. Sans un bruit, tout s'efface, comme gommer par une brume épaisse qui aurait tout fait disparaître.

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