Chapitre 5 : Ensemble...

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Les rayons du soleil ondulaient entre les cheveux de la jeune fille. Assis devant elle, à une petite table de fer ouvragée, Théodore, son invité, l'observait avec attention, plus qu'il ne l'écoutait babiller. Elle paraissait si petite, alors que la tour s'élevait derrière elle, et que des arbres énormes trônaient non loin, la surplombant comme des géants protecteurs. Entre leur verdure, le ciel pesant et la tour grise, elle aurait pu disparaître. Pourtant, elle existait et emplissait l'espace avec un charisme étonnant pour son âge. Et elle, toute innocente, vaquait à ses occupations d’hôtesse, inconsciente de la puissance qui émanait d'elle.

Pour l'occasion, elle sortait de son panier de pique-nique deux belles assiettes de porcelaine, deux magnifiques tasses à thé finement peintes et une argenterie rutilante avec un naturel qui désarmait Théo.

- Tu as le droit ? Questionna-t-il, inquiet, en désignant la dînette de luxe.

- Bien sûr. Pourquoi pas ? C'est si joli. Et puis, si on les a, c'est bien pour s'en servir.

La réponse était logique, il n'y vit rien à redire. Mais enfin, il fit tout de même attention de ne rien abîmer. Il effleura à peine l'assiette pour prendre la madeleine qu'elle y déposait. Sa main se fit aussi légère et douce que des ailes de papillons pour saisir la tasse de thé qu'elle lui avait servi. Le silence s'installa, pour laisser place à la dégustation.

Ça n'était pas la première fois que Théo lui rendait visite au grand jour. Depuis plusieurs semaines, déjà, ils se donnaient rendez-vous deux à trois fois par semaine. Au début, ils avaient parlé étude et littérature, puisque Théodore lui avait offert le conte de Peau d'âne. À vrai dire, elle en avait déjà un exemplaire, mais elle était tout de même ravie de cette édition. Depuis lors, ils ne s'étaient plus quittés, comme si chacun avait trouvé en l'autre le reflet de leurs rêveries solitaires.

- Comme je suis fils de chevalier, c'est comme si cette table portait un festin royale ! Affirmait le jeune garçon. Et puisque tu es une fée, donc tout devient féerique ! Conclut-il heureux.

- Pourquoi dis-tu que je suis une fée ? S'étonna la demoiselle que Théo s'imaginait magnifier.

- Parce que tu es très jolie, répondit-il soudainement intimidé. Et puis tu sais faire voler les pétales de fleurs, tes cheveux brillent comme ceux d'un ange.

- Les fées ont des ailes, répliqua-t-elle péremptoire. Moi, non. Je suis une sorcière. Je croyais que tu le savais. Puisque ma mère, c'est la sorcière.

- Mais... Ce n'est pas ta vraie mère, expliqua-t-il doucement, au cas où elle ne le saurait pas.

- C'est tout comme, affirma-t-elle tranquillement. Elle est venue à moi, pour me chercher et m'élever.


Sans qu'il ne sache trop pourquoi, la conversation prenait une tournure qui lui déplaisait. Alors qu'il prenait de grandes gorgées de thé pour se donner une contenance, une crispation de son estomac lui fit lâcher la tasse, qui se brisa nette en deux. Le reste de liquide imbiba le joli napperon. Quant à la tasse, elle était fichue. Une grimace affolée plissa sa bouche. Il s'apprêtait à se confondre en excuses, mais d'un geste habitué, elle élança sa main au-dessus de la nappe qui reprit son blanc éclatant. Elle récupéra les deux morceaux brisés au creux de sa petite main pour le poser sur la table. Mais au lieu de deux morceaux, il n'y avait qu'une tasse, aussi belle qu'avant et sans aucune fêlure. Paisiblement, elle lui resservit un peu de thé.

-  Tu sais faire beaucoup de choses magiques, remarqua-t-il à haute voix, fasciné.  - Pas assez. Ces deux-là font partis des premiers que Mère m'a appris. C'est très pratique.

- Oui, c'est sûr, acquiesça-t-il , en songeant à tous les coups de bâton qu'il aurait pu éviter en réparant discrètement ce qu'il cassait.

Le silence revint, troublé uniquement par le bruit du thé bu doucement, et des bruissement de tissus. Lorsqu'il eut fini sa tasse, Théo se permit une remarque.

- Tu sais, je n'ai pas beaucoup aimé ton thé. Je l'ai bu parce que ça me fait plaisir. Mais la prochaine fois, veux-tu que j'amène du mien, pour que tu y goûtes ?

Sa phrase fut ponctué d'un blanc pesant, et Théo songea que son manque de délicatesse avait probablement blessé l'enfant. Après tout, il était plus âgé qu'elle et elle s'était sans doute donnée beaucoup de mal pour lui.

- Oh, ce n'est pas du thé, finit-elle par répondre simplement. C'est un breuvage magique. J'ai oublié d'ajouter l'ingrédient qui donne un goût plus commun. Veux-tu bien en goûter encore un peu pour me donner ton avis ? Si tu n'aimes toujours pas, il nous suffira de jeter la tasse.


Théodore opina du chef, principalement par politesse, et surtout rassuré à l'idée de ne pas être obligé de tout boire. D'une élégante pince en argent, elle saisit trois framboises enrobées de sucre qu'elle déposa délicatement dans la tasse, puis elle recouvrit le tout du thé qui prit une jolie teinte mordorée.

L'enfant y trempa les lèvres, se pourlécha la bouche et bu tout jusqu'à la dernière goutte.


- Ah, cette fois, c'était rudement bon ! Bravo ! Tu sais bien cuisiner ! C'était magique alors ? Relança-t-il en enfournant une troisième madeleine moelleuse.

- Oui, répondit-elle après avoir à son tour terminé sa tasse. Il est dit dans le livre de Mère que si deux amoureux partage la potion, alors leurs âmes seront unis à jamais. Quiconque essaiera de prendre la place de le cœur des époux éternels, se verra mourir. Une sorte de potion d'amour quoi. Mais en mieux.

- Tu veux te marier ? Conclue-t-il en manquant de s'étouffer. Mais... Je ne suis pas prêt à me marier, moi... Comment tu veux qu'on fasse ? On n'est pas assez grand. Pas encore.

-  Je le sais, ne t'inquiète pas. C'est pour plus tard.

- Pour plus tard ?

- Oui. Tu es amoureux de moi, je le sais. Et ça tombe bien, parce que moi aussi, je suis amoureuse de toi. Donc, c'est parfait. Pour le reste, nous avons le temps.

- D'accord... Si tu le dis, je te fais confiance. Après tout, c'est toi la sorcière confirmée.

- Confirmée, pas encore. La preuve. Les petits gâteaux devaient t'aider à te détendre, à te sentir aussi léger qu'une bulle d'air, pour que tu t'élèves et voles dans le ciel. Mais de toute évidence, ça n'a pas marché. Tu ne voles pas, soupira-t-elle désappointée.

Un hoquet de surprise manqua étouffer Théodore. Il lui fallut se répéter la phrase pour être bien certain de la comprendre, puis il s'énerva.

- POURQUOI TU NE ME PRÉVIENS JAMAIS QUAND TU FAIS ÇA ? J'ai ça en horreur !

- Je ne te le dis pas pour te faire une surprise, voyons.

Boudeur, Théo se lève et déclare que s'il en est ainsi, il compte bien prendre congé sur le champ. Étonnement, la demoiselle éclata de rire.

- Ça, je ne crois pas ! Il va falloir que tu restes encore une petite heure, je pense. Après, il faudra s'inquiéter.

- CERTAINEMENT PAS ! Je pars ! Adieu.

- Tu as des zébrures sur le visage. Ta mère n'appréciera pas...

- N'importe quoi ! J'suis sûr que tu mens.

- Oh que non, je ne mens pas.

- Oh que si !

- Oh que non !

- Oh que si !

- Oh que non.

- Oh que...

- Ça suffit ! Regarde-toi, ordonne-t-elle en lui tendant un plat argenté.

Le reflet, s'il n'était pas net, laissait parfaitement voir les marques colorées sur son visage.

- Mais qu'est-ce que tu m'as fait ? Interrogea-t-il sans tellement attendre de réponse, alors que les larmes montaient à ses yeux.

Émue, la petite fille se jeta dans ses bras.

- Ne pleure pas Théodore. C'était juste pour te rendre heureux. Tu aurais été heureux de voler comme un oiseau, n'est-ce pas ? Alors j'ai essayé. J'ai raté. Mais ne t'inquiète pas, tout va s'effacer. Ce n'était qu'un sort temporaire. Théodore, pardon.

- Tu ne recommenceras plus ? Demanda-t-il plein d'espoir.

- Si, je recommencerai et autant de fois qu'il le faudra. Je te le jure. J'arriverais à te faire voler.

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