Chapitre 4 : L'on dit que

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- Mes ouailles sont de bons croyants. Mais ils confondent encore bien des choses. Il faut laisser toutes ces histoires de sorcellerie et diablerie loin de chez nous, affirma le curé. Nous devons nous élever au-dessus de toutes ces foutaises et légendes païennes. La petite que tu as vue, je n'en connais pas le prénom malheureusement. Elle n'est pas baptisée, mais je prie régulièrement pour son âme.

  L'on dit d'elle qu'elle est fille du Soleil et du Démon. La preuve serait dans ses cheveux et ses yeux. Pourtant, moi je sais bien que non. Celle qui l'a enfantée était une vagabonde, une fille-mère de 16 ans, que sa famille avait rejetée en apprenant sa grossesse. Je l'ai hébergé et aidé. Après avoir mis au monde son enfant, elle est morte.

 L'on dit que le démon l'a emportée et dévorée après l'enfantement. Amusant, lorsqu'on sait que c'est la faim qui l'a tué en l'affaiblissant à tel point que ses dernières forces n'ont servie qu'à sauver l'enfant en la mettant au monde.

 La suite, qu'importe ce que l'on en dit, moi je l'ai vécu. Un couple s'est présenté, doux, aimant et prêt à adopter. Mais la Sorcière- enfin la Vieille de la tour- est venue elle-aussi. Je ne pourrais te dire les détails de ce jour tant cela m'a troublé. Mais ce que je me souviens parfaitement sont les hurlements sans fin de la petite, infernaux. La Vieille est apparue et le sang s'est mis à couler. C'était... Terrifiant, sans fin. La vieille s'est penchée au-dessus du berceau. Que ce soit la vue du sang jaillissant à flot ou l'effet de la Sorcière, dans tous les cas, le bébé s'est tu. Un silence angoissant, rien à voir avec le calme. Juste un néant absolu. Mes oreilles étaient vides, alors que ma vue s'emplissait du sang qui s'écoulait par tous les orifices possibles des parents. Ils ont fini par s'écrouler alors que la Vieille emportait le nourrisson. Il m'a fallu de longues minutes pour pouvoir à nouveau bouger ce jour-là. Dieu, dans son immense bonté, m'avait pétrifié le corps, m'empêchant d'approcher. Serais-je mort aussi ? Sans doute. Je ne sais pas...

- Le bébé ? Pourquoi elle ?

- L'on dit qu'elle voulait une héritière pour sa lignée maléfique. Et que ne pouvant l'avoir naturellement, elle a pris possession de ce qui se trouvait là. Je pense simplement que toute femme a besoin d'enfanter. C'est dans la nature.

- C'est tout ? Mais tout ce sang, c'est bien de la sorcellerie...

- Tu sais, parfois je ne sais plus très bien, répondit le curé troublé. Ce que j'ai rêvé, ou peut-être que ce que l'on dit m'a perverti l'esprit. Pourtant, ce n'est rien qu'une vieille femme qui a tué pour avoir un enfant. Ni plus, ni moins. Allez, file maintenant, que je me repose. Je n'aimerais pas que tu sois battu pour de vieilles histoires.


Ce soir-là, alors qu’Élise pansait les marques des coups de bâton, Théodore réfléchissait. Il était retourné à la tour après avoir vu le curé. Mais il n'y avait personne. Il s'était un peu promené dans le jardin, bien qu'il n'y eut rien à voir. Il avait juste réussi à irriter un peu plus ses blessures aux chevilles. Il avait juste dans l'idée de parler à la petite fille, pour qu'elle ait un ami. Elle suivait certainement une instruction chez elle, dans sa tour, comme lui. Il demanderait demain au précepteur, s'il avait d'autres enfants à s'occuper. Si non, il pourrait emporter des papiers et ses livres jusque là-bas, pour les lui prêter et lui faire la leçon. Il tacherait de s'appliquer. Il l'aimait bien, elle n'était pas comme la fille de la ferme du domaine. Ça avait beau être une belle et grande ferme, la petite courrait toujours nus pieds. Jamais peignée, pas même à la messe, elle avait un regard et un rire qui lui faisait mal au crâne. Une vraie sauvage.

La prochaine fois qu'il irait à la tour, il emporterait un livre. En espérant qu'elle sache lire, ça fera un beau présent pour faire connaissance. Sinon, il le lui lirait.
- Dis Élise, tu les connais toi, la Sorcière et sa fille ?

- Oh ! Chut ! Voyons, on ne parle pas de ça, vous le savez bien.

- Non, je ne sais pas. Pourquoi on n'en parle pas ?

- Parler de la Sorcière, c'est attirer son attention vers nous. Chut-chut !

- Mais la petite fille alors ? Elle est en danger ?

« Fit-fit », crachote Élise en se signant rapidement.

- On ne peut plus rien pour elle. Son sort est entre les mains de la Sorcière et du Diable. Il ne faut pas regarder dans leur direction. Oubliez les Petit Maître. Où le démon vous dévorera.

Une fois couché et bordé, Théo réfléchit tout de même à la petite fille de la tour. Offrir un livre n'était peut-être pas assez délicat. Les yeux perdus vers la porte où sa bonne Élise rangeait ses affaires et sa toilette, il décida qu'une petite fouille s'imposait. Les pieds sur le sol froid, il tira sur la porte. La clef de bronze dans la serrure, plus décorative qu'utilisée, luisait faiblement sous l'éclat de la lune. Ici se trouvait toutes les affaires de Théo, pour tous les temps, pour toutes les occasions. Plus petit, il imaginait que la pièce était magique. Élise y entrait les mains vides, et elle en ressortait avec plein de tissus... Aujourd'hui, si le côté magique n'était plus vraiment de mise, il en gardait tout de même une idée de profusion et de richesses. En réalité, il n'y avait pas tant d'habits que ça, mais pour son âge, c'était beaucoup. Aussi ne mit-il pas longtemps à trouver ce qu'il cherchait. À sa naissance, il avait eu des couvertures et des bijoux forts précieux et bien sertis. Les filles, ça aime les bijoux et ce qui brille. Alors avec le livre, il pourrait lui offrir cette bague, grosse et inutile. Elle avait de la valeur, il en était sûr parce qu'il n'avait pas le droit d'y toucher. Mais personne n'y touchait de toute façon. À quoi ça sert d'avoir de telles choses si c'est pour les enfermer ? C'était décidé, il l'offrirait à la petite fille en face. Ça lui ferait sans doute bien plaisir.

Sans bruit, il referma la porte et cacha le présent sous son oreiller et se recoucha. Un profond soupire de contentement souleva sa poitrine.

L'heure des étoiles était venue. En face, un point brillant se déplaçait. Aussitôt, il se précipita à la fenêtre avec avidité. Cependant, il n'y avait rien de plus à voir. Juste ce point doré. Le haut de la tête de la fillette sans doute. C'était ça le secret finalement. Ça aurait pu être décevant, mais non. Théodore était content que les chambres soient face à face. Il regarda le petit point d'or longtemps, jusqu'à ce qu'il disparaisse. Il n'y avait plus qu'à retourner au lit. Sous la couette, il s'imagina traversant la nuit, montant à sa fenêtre et l'enlevant des pattes de cette méchante sorcière. Il avait bien la place pour l'accueillir au manoir. Et si Mère ne voulait pas, il la cacherait dans le placard...

Non ! Ce serait aussi bête qu'y enfermer des bijoux. Elle dormirait dans sa chambre, tout simplement. De la sorte, ils pourraient discuter de longues heures, avant de s'endormir. Ce serait bien, une vie comme ça.

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