Chapitre 3 : De la messe aux potins

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- Petit maître, regardez-moi ça ! Mais où avez-vous été traîner pour vous mettre dans cet état-là ? Ronchonna Élise, en plongeant un linge propre dans la bassine d'eau chaude où flottaient des huiles de clou de girofle, géranium, lavande, thym et romarin. Vous risquez d'en garder des cicatrices.

- Je suis bien désolé, Élise. Je n'avais pas vu qu'il y avait autant d'épines.

- Hé fi ! Votre petit pied en est tout meurtri, et ce n'est rien comparé à vot' cheville et vot' mollet. Vous ne vous êtes pas raté, assura-t-elle en tamponnant les blessures.

- Je vais faire attention à l'avenir, promit Théo sagement.

Il l'aimait bien, sa gouvernante. Il faut dire qu'elle était toujours là pour lui. Il aimait sa voix aussi, et le fait qu'elle soit dodue. Parce qu'à chaque fois qu'il tombait, ou se faisait mal ou encore s'il avait un chagrin – chose qui arrive parfois lorsqu'on est petit, mais maintenant qu'il était grand, non, bien sûr - donc chaque fois que ça n'allait pas, il pouvait se laisser choir sur elle, peu importe ce à quoi elle s'occupait. Par exemple, s'il pleurait pendant qu'elle cuisinait, il suffisait qu'il se laisse rebondir sur son large fessier pour aller mieux, il pouvait se jeter sur ses cuisses en cas de grosses blessures, il ne risquait d'atterrir que sur le moelleux de ses cuissots. Oui, il n'y avait pas à dire, Élise, il l'aimait.

- Enfin ! Ça paraît moins qu'hier déjà. Les plantes vous soignent bien. Vous aurez l'air de que'que chose pour vous présenter au curé.

Son accent et sa prononciation aussi lui plaisait infiniment. Petit, Théo l'imitait, ce qui avait valu le renvoi de la brave dame. Mais grâce à ses efforts, à coup de récitations et de caprices particulièrement bruyants, sa mère avait révisé son jugement.

Du haut de ses cinquante-huit ans, Élise aussi l'aimait d'amour. Un amour maternel qu'elle ressentait jusque dans ses tripes. Ce petit, elle le protégerait et lui donnerait tout. Il deviendrait un grand chevalier, comme son père. En mieux. Et lorsqu'il aurait des enfants à son tour, elle les protégerait aussi, s'en occuperait jusqu'à sa mort. Dieu lui en était témoin.

Et justement, elle comptait bien aller Lui rendre grâce aujourd'hui. Mais pour ça, il fallait finir de préparer le petit. Comme chaque dimanche, il devait être costumé. Dans la grande salle du bas, aux allures solennelles, Madame sa mère l'attendait dans une toilette aux couleurs de la famille, un beau carmin bordé de fil d'or. Lorsque Théodore descendit les marches, Madame Mère se tenait bien droite, le visage sévère, prête à affronter les cent raisons de son fils pour échapper à la messe. Étonnement, il n'en émit pas une et se montra particulièrement empressé. Le chemin se fit sans remontrance, dans un silence qui la soulageait grandement. Tout de même, était-il malade ? Ses joues étaient roses, les yeux brillaient...

- Tu vas bien, mon cher petit ? S'enquit-elle soucieuse et adoucie.

- On ne peut mieux, Mère ! Allons-y vite ! Assura l'enfant en pressant le pas.

Arrivé le premier sur le parvis, il se précipita dans l'église, cherchant à parler au bon curé. Mais le moment était mal choisi. Il fallait d'abord endurer la messe. Lorsque Dame Marie-Belle s'assit près de lui, elle le trouva la mine renfrognée, comme toujours. Aussi put-elle chanter de toute son âme, écoutant attentivement le prêche, et se signant soigneusement. Grâce à Dieu, son fils était déjà guéri ! Lorsqu'ils furent invités à partager le corps du Christ et à boire de son sang, elle se leva fort satisfaite et pleine de bonnes grâces. Il lui fallut un moment pour s'apercevoir que Théodore avait disparu. Sans s'inquiéter davantage, elle prit la route jusqu'à la maison. Ce n'était pas la première fois qu'il lui faisait faux bond. Il serait là au repas, et recevrait deux coups de bâton en punition, comme chaque fois. Elle réfléchit encore. La journée était belle. Peut-être pourraient-ils faire une longue promenade sur le domaine. Théo aimerait sans doute. Et puis cela lui permettrait de visiter la famille Mouchel et réfléchir aux dépenses à venir. Pendant qu'elle se perdait en conjonctures, Théodore enquêtait.

- Mon Père ! S'exclama-t-il en voyant ressortir le curé. Je vous attendais !

- Allons bon ! C'est bien la première fois ! Sourit jovialement celui-ci.

- J'ai des questions sur la fille de la tour !

- La fille de la tour ? Répéta-t-il après une seconde d'hésitation.

- Oui, celle en face du manoir. Mère dit toujours que vous connaissez chaque brebis de votre troupeau. Et Mère déteste parler des gens que nous ne fréquentons pas. Donc me voici.

- Hum-hum, répondit le curé en se grattant le front. Viens t'asseoir à ma table. Tu as prévenu que tu étais ici, naturellement ? Interrogea-t-il soupçonneux.

- Évidemment que oui mon Père, certifia Théodore en baissant les yeux.

« Évidemment que non », pensa-t-il surtout. Mais quoi ? La punition serait de deux coups de bâtons, peut-être quatre vu qu'il serait très en retard, voir totalement absent, au repas. Peut-être obtiendrait-il le pardon, vu qu'il était avec le curé, et avec le Seigneur, d'une certaine façon. Il haussa finalement les épaules, geste habituel que le curé reconnu.

- Tu ne l'as pas prévenue n'est-ce pas ? Gronda-t-il gentiment.

- Non, mon père ! Admit-il enfin.

- Il me semble qu'une punition risque de t'attendre alors...

- Je pense que ça vaut le coup, mon Père.

- Il y en aura plusieurs, des coups.

- Ça les vaudra tout de même. Si vous me faites asseoir, c'est que vous en avez long à dire.

Le curé sourit une fois de plus, et ouvrit la fenêtre pour interpeller un gamin du coin.

- Va prévenir la Dame du Chevalier Hector que son fils est chez moi. Et dépêche-toi.

En échange de quoi, il lui donna une piécettes et referma la porte.

- Commence par faire la prière. Et puis tu me diras où tu l'as vu, la petite, ordonna-t-il, en sortant quelques victuailles et de la vaisselle. Sers-toi une tranche de pâté de lapin, tu m'en diras des nouvelles.

Théo obtempéra sans discuter. À peine eut-il décroisé les mains et ouvert les yeux qu'il mordit dans une belle tranche, et expliqua les avoir vu du manoir. Les avoir vu de loin. La vieille, et une petite fille. N'ayant jamais croisé ces personnes à l'église, il s'interrogeait.

- Hum. Tu t'interroges plus ou moins. Puisque tu connais l'une des deux, je me trompe ?

- Pff, mon Père, c'est très pénible. Je vous pose une question, vous m'en reposez cent en contrepartie, sans jamais répondre à la mienne.

- Mais tu sais qui elle est.

- Oui, c'est la Sorcière. Mère m'a dit de ne jamais la regarder.

Le curé posa sur la table deux belles tranches de lard et une grosse écuelle de fayots devant l'enfant.

- Les gens du village sont des gens simples, tu sais...

- Oh oui, mais nous...

- Chut. Je parle maintenant. Alors écoute. Et après les questions.

Pour plus de sûreté, Théo enfourna une grosse cuillerée de fayots. La bouche pleine, il n'avait plus qu'à se taire.

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