Chapitre 2 : Moins un chaton

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Entre deux éclats de rire angéliques, la sorcière baragouinait quelques paroles. Théodore ne comprenait pas le langage employé. C'était peut-être une incantation maléfique. Aussi se tenait-il prêt à bondir pour la sauver, si besoin était...

Mais non. La Sorcière se contenta de s'éloigner. Il ne restait plus que le chaton, la fille aux clochettes dans la voix et lui. Un véritable tableau vivant qu'il découvrait par hasard, hors des livres poussiéreux étudiés à la maison.

Il devrait peut-être lui parler, trouver quelque chose à dire, pour devenir son ami. Lui, il n'en avait pas. Alors peut-être que... Il hésitait tout de même. Et plus il attendait, plus il était intimidé.

Que lui dire ? Comment expliquer sa présence dans les buissons ? Et puis, il se souvint que les gens ne le trouvaient pas très beau, est-ce qu'elle aussi le trouverait moche, ou laid peut-être, qui sait ? Tout de même, Théo était un peu déçu. Il aurait cru qu'un homme tel que lui dégageait une aura perceptible de tous. Après tout, il était fils de chevalier, et promis à un grand destin. Mais apparemment non ! La petite fille n'avait d'yeux que pour le chaton.

Au milieu d'un parterre de raiponces, elle apparaissait presque féerique. À tel point que Théodore jurerait voir les fleurs voler autour d'elle... À bien y regarder, ce n'était pas qu'une impression. Le chaton sur le dos, pattes en l'air, restait immobile quelques instants avant de s'agiter pour jouer avec les fleurs dansant au-dessus de son petit ventre moucheté. Sur la jambe de la fille, une bestiole noire et jaune apparue furtivement. Théo en eut un léger mouvement de recul. La chose repartit en sens inverse. Il eut beau la chercher des yeux, il ne distinguait plus rien, ni dans l'herbe, ni sur le vêtement. Et puis tout à coup, la chose revint. Observant plus attentivement, Théo reconnut effrayé une salamandre. Dans sa gueule, il tenait une fleur, qu'il déposa délicatement dans la corbeille que formait la robe de la fillette. Elle sourit satisfaite et lui grattouilla la tête avant de s'emparer de l'offrande. C'était toutes des fleurs de raiponce, cependant elles avaient des nervures d'un rose très brillant. D'un mouvement gracieux, elle l'envoya au-dessus du chaton. Aussitôt, la fleur se mit en suspension, les pétales frémirent avant d'aller taquiner le chat sur son museau et entre ses petites moustaches. L'animal, joueur, se faisait une joie de l'attaquer à coup de pattes. De temps à autre, l'une des fleurs se prenait le pétale dans une griffe sortie. Alors le chat l'apportait à sa gueule et la léchait un peu. Le goût devait lui plaire puisqu'il la mangeait à chaque fois.

Depuis son fourré, Théodore vit passer une ombre. Soupçonnant la sorcière d'être de retour, il s'avança, tel un homme courageux, malgré ses tout juste neuf ans. Son pied s'enroula alors tout naturellement dans l'une des grosses ronces qui l'entouraient. Des épines épaisses et dures entrèrent immédiatement dans la chair tendre de l'enfant, à qui un résonnant « AÏE » de douleur échappa. Quelques larmes picotèrent ses yeux, mais il les chassa sans attendre.

Reportant enfin son attention vers la petite fille, le foudroiement de son regard le saisit. Ses yeux, couleur onyx, se transpercèrent bien plus profondément que les épines ne l'avaient faites. Sans aucun doute, elle le voyait désormais à travers le buisson. Ses lèvres étaient closes, son regard indéchiffrable.

Pris de panique, Théodore se redressa maladroitement et voulu s'enfuir sans demander son reste. Mais c'était sans compter le retour, réel cette fois-ci, de la Sorcière...

Une sueur glacée transpirait de ses pores. Est-ce qu'elle pouvait le sentir ? S'il avait pu bouger sans attirer l'attention, il aurait peut-être essayé de joindre les mains pour prier. Mais l'heure ne s'y prêtait pas. La Sorcière arrivait, et, avec elle, un vent furieux qui fit trembler le buisson où Théo se cachait.

- Qu'est-ce que tu as encore fait ? Gronda-t-elle, menaçante, de sa voix rocailleuse.

- Je joue... Je joue sagement, souffla l'enfant, en baissant la tête.

Un coup de tonnerre rageur éclatait alors. Théo ne comprenait pas ce qu'il se passait. Qu'avait bien pu faire de mal cette adorable petite fée? Les sorcières n'aimaient sans doute pas les fées, l'explication devait être aussi simple que ça. Il jeta un œil au chaton... Son cou se tordait en un angle bizarre, même pour un animal de cette souplesse, et son corps reposait d'une drôle de manière. Sous les jupons de la petite fille, le caméléon se tenait immobile la patte en l'air, les yeux clignotant. La petite regardait le chat également et commençait à sangloter. Alors Théo compris. La Sorcière avait tué le chat pour punir sa fée d'or. Il était horrifié.

Tout ce qu'on lui avait dit de la Sorcière n'était rien, en comparaison de ce qu'il découvrait aujourd'hui. Elle était arrivée et en un instant, l'animal était mort. Elle devait être très puissante. Mais aussi très méchante.

La petite fille sanglotait, les larmes coulaient sur ses joues, faisant briller ses yeux. L'ordre tomba pour l'enfant de rentrer à la tour, directement dans sa chambre.

- Si tu ne sais pas te comporter comme une bonne Sorcière, tes livres de magie te seront supprimés. Tu voulais des fioles et des paillettes de crapaud dans ta vie... Hé bien, tu vas encore attendre un bon moment...

Dans la tête de Théo, les paroles tournaient, et donnait du sens à tout ce qu'il découvrait. L'évidence était là. Même si la Sorcière avait de longs cheveux roux et des yeux vert émeraude, la petite ne pouvait qu'être sa fille, et c'était une fée. Théo aurait voulu pouvoir sortir du buisson et crier que les fées, ça ne se punissait pas. Mais il ne faisait pas le poids, et resta caché. Ce n'était pas le meilleur moment pour libérer la demoiselle.

Celle-ci s'essuyait les yeux fébrilement en entrant dans la tour, alors que la vieille enfermait la minuscule salamandre encore paralysé dans une boîte grillagée. Quant au corps du chaton, elle le fit disparaître d'un geste de la main. Alors seulement, elle tourna le dos au jardin, et partit à son tour.

Théo attendit là un bon moment. Quand il fut sûr de ne pas être vu, il prit ses jambes à son cou, et s'enfuit la cheville et le pied piqués en feu. Mais qu'importait. Ce n'est qu'une fois la lourde porte du manoir passée qu'il souffla un peu. Et encore, pas même une minute. Il fallait encore monter quatre à quatre les marches le menant à ses appartements. Il n'y avait que dans sa chambre qu'il se sentirait vraiment à l'abri. Alors seulement, il s'autorisa à jeter un œil vers la tour, caché derrière sa fenêtre...

Il n'y avait rien à voir. Il ne distinguait que peu la cour de l'habitat vu d'ici. Juste la tour en elle-même et surtout la fenêtre d'en face. Rien n'y brillait, rien n'y bougeait. Il fallait attendre la nuit.

Tout de même, l'aventure de l'étoile n'avait pas été inutile. Il avait sa réponse.

Ce n'était pas une étoile qui brillait, mais une fille aux cheveux d'or.

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