Chapitre 1 : Les 3 578 habitants de Sainte Thérèse...

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Lorsque les rayons du soleil se posèrent sur la campagne verdoyante de la vallée de l'Oison, le boulanger sifflotait depuis un bon moment déjà et ses gros pains embaumaient la ruelle par la fenêtre grande ouverte. Les paysans s'éveillaient, pourtant l'animation ne commençait réellement qu'à la venue des marchands ambulants. Entre les commerces, l'artisanat, l'agriculture et l'élevage, on pouvait aisément dire de la ville de Sainte Thérèse qu'elle était riche et prospère. Une garde intérieure se chargeait de tenir les lieux sous bonne protection, des hommes du pays uniquement. Il fallait avoir grandi à Sainte Thérèse pour la comprendre et savoir la protéger. Aucun roi n'y vivait, aucun prince n'y croassait, et aucune grenouille ensorcelée n'y chevauchait fier destrier.

On y trouvait toutefois un chevalier, un bon curé et une sorcière. Ils faisaient, à leur façon, la renommée du pays. Le chevalier Hector glorifiait le village par ses faits d'armes, et ses distinctions reçues du Roi en personne. Sa dame, Marie-Belle lui avait donné un seul et unique enfant pour toute descendance, Théodore. Jeune enfant aux belles boucles châtain clair, ses grands yeux curieux et son air doux le faisait aimer de tous. Ils formaient la famille la plus aisée et la plus respectée du village. Les villageois priaient pour eux et sa famille et apportaient régulièrement des offrandes au curé pour que les honneurs du chevalier rejaillissent sur le village pendant des décennies encore.

Le bon curé, le Père Léopold, prenait alors soin de bien offrir les bougies, l’encens et la myrrhe à la passion de Dieu. En revanche, la nourriture servait aux plus pauvres, car quoi que l'on dise, il y a toujours quelques familles miséreuses cachées dans les tréfonds d'une rue plus sombre que les autres. À croire que même le soleil ne leur est pas accordé.

Cela étant dit, pauvres ou riches, tous avaient recours à la Sorcière, essentiellement pour ne pas déranger Dieu inutilement. Elle était une personnalité de la région ; officiellement herboriste, elle officiait sans qu'on ne la dérange. Ses pouvoirs honoraient le village. Il aurait été aussi stupide que vain de s'en prendre à elle. Selon les anciens du village, elle vivait à Sainte Thérèse depuis la nuit des temps. Le curé lui, recensait sa présence aux alentours de quarante et trois années pleines. Elle était appréciée, sans trop être aimée. Il est toujours difficile de s'attacher à quelqu'un que l'on craint.

Mais tout cela, c'était avant.

Avant l'arrivée d'un nouveau-né dont la mère mourut en couches.

Avant le meurtre sanglant des parents adoptifs.

Avant que la Sorcière ne se saisisse du nourrisson.

Les faits étaient de notoriété publique.

Toutefois, il fallut faire avec. Bien courageux celui qui oserait affronter la Sorcière, ne serait-ce que pour lui dire en face qu'elle n'était qu'une voleuse de bébé. Alors de là à lui reprendre l'enfant... Oh que non !

Et puis après tout, elle avait bien le droit d'avoir une descendance, elle aussi. L'un dans l'autre, elle était bien bonne avec tous, on pouvait alors fermer les yeux, juste pour cette fois.

C'est ainsi que le charmant village de Sainte Thérèse continua à vivre dans une délicieuse félicité.

Du moins, jusqu'à ce que Théodore ne se mette en chasse de son étoile.

Harnaché d'une tenue de palefrenier volé, muni de son épuisette à papillons – celle à grenouilles étant encore pleine de vase – Théodore partit investir la tour de la Sorcière.

Aujourd'hui était un grand jour. Il allait libérer l'étoile enfermée de la Sorcière. Fier, le port altier, il n'avait pas peur. Pourquoi aurait-il eu la frousse après tout ? Fils du courageux Chevalier Hector, rien ne pourrait l'arrêter ! Peut-être qu'après cet exploit, le Roi le nommerait chevalier à son tour.

- Bientôt, je serais baboudé... A-dou-bé, se reprit-il. J'aurai une épée et Père reviendra de la guerre pour me féliciter.

Pour le moment, il s'agissait surtout de se faufiler chez la vieille sans qu'elle ne l'attrape. En chemin, il songea à tout ce que l'On disait sur elle au village. Et On disait pas mal de chose à vrai dire. Comme par exemple qu'elle était capable d’ensorceler l'âme d'un enfant pour en faire don aux démons. Mais Théodore était fort, il était brave. De plus, il avait avec lui le mouchoir porte-bonheur que sa mère lui avait cousu lorsqu'il était tout petit. Avec ça, rien de mal ne pouvait lui arriver.

Aux abords de la propriété, le courage fit place à l'étonnement. La colline était tapissée de fleurs de raiponces d'un beau bleu-violet, sur une herbe grasse d'un magnifique vert brillant. De larges et grands buissons de roses s'y épanouissaient librement.

Était-ce donc là, la demeure interdite de la sorcière ?

- C'est un vil piège ! Se morigéna-t-il, enserrant plus fort son mouchoir.

Aussi délicat qu'un chien plein de puces, Théo se faufila entre les feuillages d'un buisson et se cacha le temps d'observer les lieux plus à son aise. Il se sentait trop en terrain découvert auparavant. Et grand bien lui en pris, puisque des voix ne tardèrent pas à se faire entendre, parmi lesquelles celle d'une femme adulte, rocailleuse, comme si des pierres s'entrechoquaient dans sa gorge. Alors qu'il se demandait si la vieille mangeait de la soupe aux cailloux, une menace souvent lancée chez lui, les pensées de Théodore furent interrompues par un rire aussi délicat que pur. Dans cette gorge-ci, de douces clochettes de cristal tintinnabulaient. L'histoire de la sorcière, il ne la connaissait pas. Aussi se demanda-t-il si elle n'avait pas enlevé un enfant pour le dévorer.

Écartant du mieux qu'il le put les branches de son buisson d'épines, Théo découvrit une demoiselle d'environ six ans, jouant avec la Sorcière. Il lui crierait bien de s'enfuir, mais l'absence de peur de l'enfant l'en dissuada. La Sorcière la regardait sans animosité, et même avec ce que l'on aurait pu qualifier d'amour. Loin d'être inquiète, la petite fille se laissait aller à rire aux éclats en jouant avec un chaton. De véritables bulles de bonheur semblaient alors s'échapper de sa bouche pour s'envoler dans les airs et éclater comme des bulles de savon.

Théo ne connaissait pas tellement ce genre de comportement. Chez lui, ça ne se faisait pas : la bienséance prévalait. Plus la petite fille riait en jouant avec le chat, plus Théodore s'inquiétait pour elle. La Sorcière allait la battre, c'était sûr et certain. Son cœur se resserra à cette idée. Il lui était difficile d'imaginer qu'on puisse lui faire du mal. Sans même la connaître, il savait qu'au grand jamais, il n'aimerait que quelqu'un la malmène. Ses cheveux blonds coupés au carré tressautaient follement autour de sa tête, comme le halo du Christ à l'église. Des cheveux comme ça, il n'en avait jamais vu. Par contre, l'or, il connaissait. Et ces chevelure-là avaient de toute évidence étaient directement fondus dans une grosse marmite d'or.

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