Le Banni

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Je finis la bouteille de vin, alors que le soleil entame sa descente, nimbant le ciel d'une aura orangée, évoquant presque un météore zébré de feu. Chaque mois, je me rends au même endroit, chaque mois, j'admire le magnifique soleil couchant, chaque mois je savoure cet instant de paix avant la nuit affreuse qui s'annonce. Cette irrémédiable souffrance que même le diable serait bien incapable d'inventer. Ou est-ce lui qui aurait eu l'idée d'une pareille épreuve ?

Chaque mois, je prends une bouteille de vin, espérant que les vapeurs d'allégresse du fin alcool Elfique suffisent à balayer la déchirante douleur de cette nuit. Le supplice de cette obscurité grandissante qui m'emplit le cœur comme un cauchemar dont la ponctualité ferait frémir n’importe qui.

Mes pensées voguent vers les temps d'autrefois. Si la douleur ne prend pas fin avec le vin. Ses effets m'obligent à me souvenir de l'odeur des tartes cuisant sur le bord des fenêtres, des journées de chasse où nous ramenions des denrées que nous partagions autour de grands banquets, nous réunissant pour approfondir nos liens comme la grande famille que nous étions. Les sourires des louveteaux s'amusant entre eux sous l'œil amusé et réjouis de leurs parents.

Des temps oubliés maintenant, qui me paraissent si proches, et à la fois si lointains. Les larmes coulent quand mes souvenirs tendent vers cette nuit abominable, cette nuit effroyable où il m'a tout pris. Ce démon, ce monstre sanguinaire qui, en une nuit, a ravi tout ce que je chérissais. Je me souviens des fourrées dont les feuilles m'effleuraient la nuque, je me souviens de l'odeur âcre envahissant mes narines, tandis que mes yeux observaient, impuissants, les flammes mordant les toits de chaume du village.

Alors que les hurlements de ceux que je connaissais depuis l'enfance me parvenaient comme à travers un voile, je sortais de ma cachette, rejoignant ce qui fut mon village, là où se trouvait ma meute, là où se trouvait mon cœur.

La vision horrible de mes voisins baignant dans une mare de sang s'imposait à moi, l'écume aux lèvres. Les corps de mes amis étaient étendus, les yeux vides, les lèvres entrouvertes dans un dernier appel au secours. Pour certains, ils avaient la poitrine perforée comme si on leur avait enlevé le cœur. La puanteur des cadavres me frappait d'effroi et je n'arrivais plus à bouger jusqu'à ce que j'entende son sifflement.

Depuis tout petit, on nous racontait de nombreuses histoires sur lui. Petit, j'étais effrayé, il était le croque-mitaine, et nous ses pauvres victimes. Adulte, j'ai pensé que ce n'était que des contes pour effrayer les enfants et les empêcher de s'aventurer trop loin hors du village. Mais, aujourd'hui, chef de meute... tous mes membres se mettaient à trembler. Son sifflement caractéristique sonnait à mes oreilles comme une promesse de mort si j'avais le malheur de rester ici. Mon instinct de survie prenait le dessus, et je m'apprêtais à fuir cet endroit. Sur le chemin, j'entendais l'appel à l'aide d'un de mes voisins, toujours vivant, et coincé sous les décombres de sa maison, mais aussi le sifflement qui se rapprochait inexorablement.

La boule au ventre, le cœur serré, je me remémorais comment je m'étais enfuis, laissant mon ami, mon camarade en proie à ce démon assoiffé de sang. Son regard suppliant est toujours gravé dans ma mémoire, comme un souvenir de ma lâcheté de cette nuit-là.

C'est ainsi que ma fuite, ponctuée par les échos des cris de panique et de douleur des villageois encore en vie, et des remords qui me rongeaient et me rongent encore aujourd'hui, me conduisit dans la principauté de la région. Mes pattes étaient en sang à force d'avoir couru, mon souffle était court et c'est en rampant que j'atteignis les murailles de la ville.

Mon honnêteté de chef de meute me forçait à raconter tout ce qu'il s'était passé, lors de mon entrevue avec le chef de la ville. Je passais l'audience, la tête baissée, sachant très bien ce qui m'attendait. J'avais failli, j'avais trahi mes serments. J'aurais pu fuir, et ne jamais assumer mes actes, mais le code d'honneur que l'on m'avait enseigné m'en empêchait. A la place, j'ai écouté sans sourciller, la sentence qui était prononcé à mon égard. Je savais que le chef de la ville ne souhaitait pas ça, mais il devait faire respecter la loi.

Nos ancêtres avaient édifié ces règles pour une bonne raison, et j'avais failli. J'étais le chef de cette meute, mon devoir était de protéger les miens, même si je devais en mourir. Et je les avais laissés mourir, alors que je rentrais de la chasse, observant les miens périr les uns après les autres, ma lâcheté me rendant impuissant.

On m'ordonnait de quitter la ville, j'étais un malpropre, un moins que rien, un Banni. Je savais vers quoi je me dirigeais. Il m'était arrivé de prononcer cette sentence par le passé, de regarder partir ceux qui avaient failli, avec mépris, avec une condescendance propre à ceux qui ne savent pas. Mais, aujourd'hui, je sais ce qu'ils ont enduré, je me souviens de toutes ces nuits horribles, de toutes ces nuits où l'obscurité envahissait mon cœur, me rendant fou de douleur. La première était la pire, mais elles n'allèrent pas en décroissant.

Avec un soupire, je m'allonge sur le sol, espérant que la douleur s'estompe plus rapidement. Le châtiment commence quand la pleine lune éclaire la terre. J'hurle de douleur, alors que mes os se tordent, mes crocs se rétractent, mes griffes rapetissent et disparaissent dans ma chair. Mes poils tombent et je m'agenouille, la douleur paraissant se décupler.

Au bout d'un interminable supplice, la douleur s'arrête. Je suis au sol, le souffle haletant, trempé par la sueur. Je revêts les habits que j'ai préparé pour cet instant, puis me passant un coup d'eau sur le visage, j'observe mon reflet. Je suis devenu humain... encore une fois... et ce jusqu'à la fin de la journée, avant que mes os se tordent à nouveau pour que je reprenne mon apparence.

La malédiction a fait son œuvre, me punissant de ne pas avoir respecté les règles de mes ancêtres, conduisant à mon bannissement. Et toutes les nuits, la douleur m'accable, la souffrance plante ses couteaux en moi comme pour me graver mon crime à même la chair. Comme pour faire mienne, les souffrances qu'ont subit les miens lors de cette fameuse nuit.

C'est une pénitence qui n'aura de cesse de me hanter. La fierté d'un Lycan piétiné par ses actes et obligé de perdre tout ce qui le caractérise chaque mois...

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