Le garde de la caravane

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Le soleil entame sa descente, nimbant le ciel d'un doux éclat orangé, tandis que les voyageurs s'arrêtent près d'un ruisseau pour établir le camp. Alors que le soleil se couche, ils finissent par s'asseoir autour du feu, la nourriture fumant à travers le couvercle de la casserole posée sur le feu.

Le campement est entouré par des cordes sur lesquels reposent des ustensiles inutilisés pour servir d'alarmes pendant la nuit. Même avec ce dispositif, un homme en armure observe les convives discuter autour du feu, à l'écart, montant la garde. De temps à autre, il tourne la tête vers le brasier, écoutant d'une oreille attentive les multiples discussions au sein du groupe. La caravane est constituée de nombreux voyageurs aux cultures différentes. Les Humains boivent en chantant, trinquant avec leurs camarades Nains, les Elfes Noirs jouent de douces mélopées avec des instruments au teint ébène, tandis que des Lionnes dansent au rythme des notes.

Un sourire étire les lèvres du garde, tandis que le cliquetis de son armure gronde au moindre de ses mouvements. Un lionceau se rapproche de lui, et lui apporte une assiette d'où émane un parfum exquis. Il le remercie et ils échangent quelques mots, le félin s'intéressant à l'ancienne vie du garde, lui demandant s'il a déjà connu la guerre. Mais, le garde ne souhaite pas répondre et lui dit juste de profiter de son innocence et d'aller jouer avec les autres enfants de la caravane. Le lionceau s'exécute, souhaitant bon courage au garde, avant que celui-ci ne goûte le repas préparé par ses camarades. Les épices utilisées lui mettent la puce à l'oreille sur le cuisinier du jour. Un plat traditionnel chez les Lions.

Une fois sa pitance terminée, il pose la tête sur l'écorce de l'arbre et regarde les étoiles et la lune qui éclaire le campement. En tournant son regard vers le camp que certains convives ont quitté, non sans l'avoir remercié de sa présence, il ne peut s'empêcher de ressentir une sorte de félicité en contemplant ces races si différentes, mais si unies en cet instant.

Quelques heures plus tard, les enfants sont couchés et ne subsistent que quelques Humains et Nains qui se provoquent pour savoir qui tiendra le mieux l'alcool, un Elfe Noir ne cessant de boire à leurs côtés sans rien ressentir. Un bruissement et un craquement viennent mettre le garde en alerte. Imbibés d'alcool, ses compagnons de voyage ne semblent pas avoir entendu, et il ne peut s'agir que d'une bête ayant rôdé un peu trop près du camp. Mais on lui a toujours appris que prudence est mère de sûreté. Alors, il se lève et passe le cordon, avant de s'enfoncer dans les ténèbres.

Si la clairière était éclairée par la lumière de la lune et des étoiles, les arbres environnants empêchent toute lumière de passer, et l'homme avance, à tâtons dans l'obscurité. Malgré une armure imposante, celle-ci ne gémit plus à chacun de ses mouvements, et fait même la preuve d'une étonnante discrétion.

Cet homme, dont les cheveux et la barbe couleur neige témoignent de son âge avancé, était connu pour être passé maître dans l'art de la discrétion au cours de sa carrière militaire. Il portait toujours la même armure, ne la quittant que pour la faire réparer quand il rentrait de campagne. Petit à petit, il apprit à se déplacer avec une extrême discrétion, ne faisant plus aucun bruit, même couvert par son armure. Talent dû à l'expérience ou à un sort, personne n'a jamais eu de réponse à lui apporter. Et personne ne s'en souciait, tant que les résultats étaient là. Mais, le temps rattrape même les soldats les plus émérites et il finit par se faire congédier de l'armée.

Au hasard de son voyage, il tomba sur cette assemblée de voyageurs aussi disparate que possible, et l'étonnement et la curiosité le poussa à leur proposer ses services. Ils l'engagèrent avec plaisir, ne faisant pas attention à son âge avancé, et partageant, ensemble, des moments dont il n'aurait rêvé avant. Se rapprochant de races qu'il n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer durant sa carrière, autrement que sur un champ de bataille. Si les Elfes Noirs et les Nains étaient ses ennemis, il y a quelques années, il découvrait avec plaisir la culture et les traditions que ses camarades de voyages lui apprenaient. Ne sachant pas cuisiner, il s'occupait de leur apprendre des gestes d'auto-défense, ou de monter la garde, malgré les alarmes fonctionnelles. Un souhait pour lui de retrouver son ancienne vie ou juste utiliser son armure qui prenait la poussière depuis qu'il avait été évincé de l'armée, il ne saurait dire.

A part quelques brigands, il n'a pas l'occasion de l'utiliser, ni son armure, ni son arme qui commence à se couvrir de rouille. Même les Nains lui ont dit qu'elle ne serait plus bien utile. Mais, il a trouvé une nouvelle occupation. Ecouter les histoires de ses amis, de sa nouvelle famille, s'occuper des enfants de la caravane qu'il aime voir jouer et grandir, essayant de répondre à toutes les questions qui passent par leur tête, même s'il se retrouve dépassé de nombreuses fois, provoquant l'hilarité de ses camarades.

Le bruissement continue un peu plus loin, tandis que le garde s'aventure au-delà du périmètre qu'il avait défini comme sur, quelque heure auparavant. Il passe un cours d’eau dont les berges accueillent des plantes et des fruits comestibles. Il mémorise l’endroit pour s’y arrêter au retour. Sans les conseils d'une des cuisinières Elfe Noir, il n'aurait pu les reconnaître. Il faudra qu’il pense à la remercier.

Sa randonnée nocturne l’emmène près des parois d’une montagne. Celle-ci forme une cuve un peu plus loin, à un endroit dénué d’arbres dont il semble impossible de s’enfuir, une fois qu’on se retrouve au fond, la paroi rocheuse étant impossible à escalader. Un endroit stratégique s’il est bien utilisé, note l’ancien soldat.

Mais, un détail attire le regard du garde et après avoir assuré ses arrières, il s'y dirige. Une trace recouvre la roche de la forme et de la taille d’une main. L’homme l’examine et se rend compte qu’elle est encore fraîche. Sa main passe de la paroi à la garde de son épée, se préparant à la dégainer aussi vite que possible.

Les bruissements se font de plus en plus oppressants jusqu’à ce qu’il se retourne et tombe sur les créatures qui en sont à l'origine. Des créatures hautes de plus de deux mètres lui font face. Leur peau verdâtre, torse nu et couvertes de cicatrices ou d’accessoires faits en os témoignent de la menace qu’ils dégagent. Ils ont des canines si imposantes qu’elles dépassent de leurs lèvres et montent presque jusqu’aux narines. Elles semblent pouvoir déchiqueter n’importe quelle viande en un instant.

Ils portent des pagnes en guide de vêtements et des habits déchirés bien trop petits pour eux, recouvrent leurs bras comme des trophées. Leurs massues énormes posées sur leur épaule sont couvertes de sang. L’un d’eux commence à dire quelque chose, mais le garde ne comprend pas. Les Orcs, ces créatures bestiales ne parlent, quasiment, que dans une langue ancienne et que seuls, les plus érudits connaissent. Il est rare de trouver des Orcs dans ces contrées, mais à en croire les trophées qu’ils arborent en guise de seule tenue, ce ne sont que des charognards. Des rebuts de la société Orc qui pillent les champs de bataille ou les vagabonds.

Ces monstres éclatent d’un rire tonitruant qui résonne sur les parois rocheuses. Le garde se met en position de combat et tressaille sous la douleur d’une de ses anciennes blessures qui se réveille au pire moment. Il s’agenouille de douleur et crache du sang, tandis que sa respiration se fait de plus en plus saccader.

Il essaye de se relever tant bien que mal, mais étant donné son ancienne expérience du combat, il sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Son honneur et sa fierté le pousse à se relever pour les emmener avec lui. Oubliant le tourment de sa blessure, il pousse un dernier hurlement de rage qui résonne dans la cuve. Son cri résonne dans la cuve et bien qu'il soit davantage pour alerter ses compagnons qu’autre chose, surprend les créatures, et il en profite pour faire une entaille assez grosse sur la joue verdâtre d’un des monstres. Il sourit de sa victoire, avant d’écarquiller les yeux et de cracher du sang, quand la massue revancharde de sa cible le cueille au creux de l’estomac.

Il sent la vie le quitter petit à petit, tandis qu’il git sur le sol. Il a un goût pâteux dans la bouche comme s’il avait mangé un des plats cuisinés par l’un des Nains de la communauté, bon mineur et forgeron, très doué pour le vin, mais très mauvais cuisinier. Il sourit en pensant qu’en cet instant, il rêverait de goûter encore à l’un de leurs plats carbonisés, si ça signifiait être avec eux.

Il les imagine en paix, parties quand il a hurlé tout à l’heure. Il les imagine trouvant un refuge chez une autre communauté, à ne jamais plus braver les dangers de la vie sauvage. Il les imagine, vivre une vie paisible à l’abri des dangers, à l’abri de la guerre et de toutes les horreurs qu’elle engendre et qu’il a vues de ses propres yeux. Il trouve tout juste assez de force pour s'agenouiller, les larmes coulant de ses yeux, tandis que la vie le quitte petit à petit. Il veut que ses compagnons soient heureux, qu'ils vivent et trinquent comme chaque soir depuis qu'il les a rejoints.

Son sourire s'étire quand il les voit arriver vers lui. Deux des Humains se chargent de l'aider à se relever, les Nains et les Elfes Noirs trinquent et lui proposent un verre, renversant des gouttes d'alcool sur le sol, d'autres Elfes Noirs jouent de douces mélopées, les Lions dansant au rythme de la musique. Il a envie de les avertir, de leur dire de fuir, qu'il le laisse là avant que les Orcs ne les trouvent. Mais, tout ce qu'il réussit à faire, c'est prendre un verre, et les rejoindre, invitant une de ses compagnes de voyage à danser, trinquant avec ses camarades, riant à gorge déployée, débarrassé de son armure et de son arme, avançant avec eux vers une vive lumière...


Alors qu'une étoile disparaît dans le ciel, la lune contemple le massacre qui a eu lieu cette nuit. Seule témoin des hurlements des compagnons, le feu s'étant propagé aux tentes, les réduisant en cendres, le sol recouvert des corps et du sang des gens de la caravane. Les instruments sont éparpillés ou réduits en morceaux. Les bouteilles d'alcool sont brisés et il n'y a plus aucun survivant... du moins... sous le cadavre d'un des Nains, passé inaperçu, tremble un Lionceau. Les yeux terrifiés, la bouche essayant d'émettre un son d'horreur, mais sans succès. Ses doigts ne cessent de trembler devant l'enfer qu'il a vu se déchaîner sous ses yeux. Le Lionceau ne jouera plus avec les autres enfants, et ne profitera plus de son innocence...

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