Sortir

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J'en arrivai à ce moment repoussé par un long récit, celui de la perte de Camille. L'inspectrice m'avait donné une once de lumière, une bouffée d'air avant d'ouvrir la porte aux ténèbres.

« Le lendemain, il n'y eu pas de test. Le suivant, non plus. Maryem refusait de me parler. Puis un matin, elle bifurqua à droite et m'emmena dans une autre partie du bâtiment. Quand nous nous arrêtâmes devant une porte, elle marmonna: «Tu as trois jours pour que vous soyez prêtes. Trois jours. »

Je n'osai pas comprendre. Elle ouvrit la porte et je la vis. Elle tenta de se redressait sur un coude, sans succès. Elle était si maigre. Camille n'avait jamais était bien ronde. Si elle ne mangeait pas depuis l'arrêt des tests, cela faisait près d'une semaine. Je courus vers elle, lui caressai le visage, la serrai contre moi. Nous pleurions et riions tout à la fois.

— Lydie?

Je repris pied.

— Oui. Excusez-moi. Maryem nous apporta de la nourriture en quantité et variété bien différentes de ce que nous avions eu jusqu'ici. Le deuxième jour, Camille avait repris des couleurs et commençait à plaisanter, inventer notre vie dehors, ce genre de film. Le troisième jour, nous eûmes droit à une douche commune, sous surveillance. Nous étions deux, nous nous sentions fortes. Camille refusait de parler du lendemain. Elle voulait parler d'hier et d'après, lorsque nous sortirions. Juste comme je m'endormais, elle murmura à mon oreille : «Le test de demain sera terrible. Plus que tous les autres. Nous y arriverons. Je te le promets.»

Maryem nous conduisit au labyrinthe le lendemain. Je ne connaissais pas le trajet depuis la cellule de Camille. Seul le soudain raidissement de mon amie m'indiqua que nous ne suivions pas celui habituel.

La porte nous regardait. La porte, pas le lourd panneau de l'entrée. La porte de sortie.

Maryem l'ouvrit et nous invita à entrer. J'envisageai une seconde de me jeter sur elle. Nous en avions parlé avec Camille. Enfin, moi, j'en avais parlé. Elle disait que nous ne trouverions pas la sortie. Qu'il fallait en passer par ce test. Je ne comprenais pas pourquoi. Pourtant, j'acceptai. Tout pour être auprès de mon amie, un peu plus longtemps, en relative sécurité. A l'instant d'entrer dans l’arène, ce ne fut néanmoins pas ses propos qui me retinrent de tenter notre chance. Un taser était apparu dans la main droite de Maryem.

— Entre.

Sa voix était rauque. La porte se referma derrière Maryem. Elle était dedans, avec nous. Je regardais devant moi sans comprendre.

"Montres moi comme tu es forte! Comment fais-tu? Comment te sortir de cette situation?". La phrase avait changé.

Il n'y avait que deux tabourets de bar à trois mètres d'écart. Et au-dessus une corde.

— Montez.

Je regimbais. Maryem m'envoya une faible décharge. Camille cria. Puis monta sans esclandre.

— Vous mettez la corde autour de votre cou. Voilà. Je dois vous expliquer ce test.

Sa voix essayait de paraitre inflexible ; sa main tremblait autour du taser.

— Les cordes sont reliées à un mécanisme qui se déclenchera simultanément dans trente minutes ou en cas de tentative pour le retirer.

Je regardais fixement Camille.

— Comment passe-t-on ce test? demanda-t-elle

— L'une de vous doit convaincre l'autre de sauter. De cette manière, elle vivra.

Elle sortit sans que nous la regardions. Je pleurai sans bouger pour ne pas mobiliser la corde autour de mon cou. Je ne sentais qu'elle. Tous mes autres sens anesthésiés sauf pour sentir le frottement du nylon épais et le léger tiraillement derrière ma nuque. J'étais perdue.

— Lydie...Lydie, vous n'avez pas besoin de revivre ce moment. Je pense avoir compris. Répondez-moi par oui ou par non. Vous n'avez pas tenté de convaincre Camille?

— Non.

— Elle non plus, n'est-ce pas?

— Non.

— Elle a choisi pour vous deux.

— Oui!

— C'est bon Lydie. C'est enregistré...Est-ce que vous voulez faire une pause ou vous sentez-vous capable de raconter la suite?

La suite était plus facile. Le pire était arrivé. Je racontais presque aussi anesthésiée que ce jour-là.

« Maryem est venue avant que le temps nocturne soit écoulé. Au moins un tiers plus tôt.

Je dormais et une main s'est plaquée sur ma bouche, m’empêchant de hurler. Je roulais des yeux terrorisés et rencontrai deux yeux, un visage éclairé par en dessous, un visage effrayant.

— Viens, viens, fais vite.

Cette voix étouffée je la reconnus sans mal. Maryem me tendit mes vieilles baskets - je dormais tout habillée. Je les enfilai reprenant mes esprits comme on décuve sous l'effet de l'adrénaline. Maryem, sans burqa, devant moi au milieu de la nuit! Elle nous fit emprunter un chemin très long. Derrière elle, à chaque tournant, je me retrouvais quelques secondes dans un noir épais. Elle avait réduit sa lampe tempête à une courte mèche pour limiter le halo de lumière au maximum sans perdre son fil. Sa seule consigne avait été: «Silence. Je te tiens. » Elle m'avait agrippé le poignet et je la suivais comme une enfant trainée par une adulte. Une adulte déterminée et terrorisée : Sa main tremblait. A un moment, l'odeur changeât. Dans la pénombre, rien ne me permettait de me repérer. Je crois que nous avons descendu un peu. Quand l'odeur changeât, nous remontions. Une évasion. Mon cerveau avait compris. Mon cœur n'y croyait pas vraiment, juste assez pour que mes mains soient moites, ma bouche sèche et que j'accélère le pas. Puis tout à coup, un arrêt, un cul-de-sac.

Un amoncellement de paquets poussiéreux à même le sol et le couloir dont nous venions. Lorsqu'elle lâcha mon poignet, je tombai à genoux et la quittai des yeux une seconde. Elle disparut. Avant que la panique ne recouvre tout, un mouvement de lumière m'enjoignit de la rejoindre. Elle murmura.

— Il faut que tu sortes. Il faut que tu vives. C'est ce qui doit arriver. Aide-moi.

Nous montâmes l'une après l'autre quelques barreaux d'une échelle brinquebalante et un cercle muni d'une croix apparut. Une sortie. Par en-dessous. Le mécanisme était rouillé. Je n'avais plus de force. Du moins, je le crus un instant. Sous les exhortations de Maryem - «Tu dois le faire. Sinon tout ça n'aura servi à rien. »-, j'empoignai le cercle à l'opposé de ses mains et tirai. Le volant gémit et je sus que nous y arriverions. Une vague de chaleur m'emporta, j'encourageai Maryem, tourner, pousser et l'ouverture bascula. L'odeur de l'aube s'engouffra. J’attrapai la main de Maryem, regardai son visage balafré à la lueur du jour.

— Ne me regarde pas!

— Viens Maryem, dépêchons-nous.

— Je ne viens pas.

— Quoi?

— Je retarderai sa découverte de ton évasion. Je lui mentirai. Une dernière fois. La vie de dehors est perdue pour moi depuis longtemps.

Elle me poussa le derrière pour que je sorte, m'accompagnant quand je fis passer ma première jambe par-dessus le panneau et m'accrochai aux ronces.

— Fuis maintenant et vis demain. Pour nous. S'il te plait.

Et elle rabattit le couvercle, bien plus vite que nous ne l'avions ouvert. L’impact du métal sur le métal me parut un bruit terrifiant. Il allait entendre, il allait me trouver. Acceptant -pourquoi? - le sacrifice de Maryem, je me mis à marcher dans le sous-bois dense après m'être difficilement extirpée des buissons griffus. Un bruit me fit perdre toute contenance. La peur me prit à la gorge et je courus, courus. Je crois qu'à un moment j'ai glissé sur une pente sans pouvoir m'arrêter.


— Puis Mr Caron vous a trouvée - déplacement de fiches issues du dossier - dans la forêt de Reichshoffen : trempée, en état de choc avec des ecchymoses, des égratignures, deux côtes fêlées et une belle entorse. Belle chute. Que cette homme ne vous ait pas immédiatement emmené à l’hôpital dépasse l'entendement. Et vous probablement sauvé la vie. Le coupable aurait pu tenter de supprimer un témoin gênant.

— Ah! Quel témoin, je fais! Je ne sais pas où, ni qui! Glapis-je d’une voix de gamine

— Vous nous avez donné beaucoup d'éléments Lydie. Deux équipes planchent déjà sur votre affaire. L'une part de Maryem, l'autre des Caron. La piste de Camille sera aussi à creuser: elle était peut-être la cible initiale. C'est ici que finit votre travail. Le mien commence à peine.

— Du coup, je fais quoi?

— Vous vous mettez au vert, chez vos parents. Vous vous reposez. Je vous tiendrais au courant des avancées de l’enquête.

Peu après, je sortis du commissariat. Le soir tombait. J'étais épuisée.

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