Le labyrinthe

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Le labyrinthe devint rapidement une obsession. La première fois, une voix d'homme robotisée avait lâché une phrase d'explication, une sorte de rationalité dans cette impasse.

"Vous êtes ici pour comprendre les mécanismes qui soutiennent la détermination de certaines femmes au-delà du commun. Lorsque vous aurez servi la science, vous serez libérée." Cette phrase, cet enregistrement manifestement, se répétait chaque matin lorsque l'épaisse porte du labyrinthe s'ouvrait.

Je lui avais hurlé dessus comme une possédée. La femme voilée m'avait brutalement poussée à l'intérieur. Alors que la porte se refermait, j'avais eu le temps de saisir une image: elle serrait ses mains à blanchir ses jointures. Ainsi elle ressentait des émotions. Face au mur de tissu grillagé et à son impassibilité lors de mes crises, j'en avais douté.

Je compris que j'étais un rat très vite. J'explorais les lieux la main sur le mur lisse et gris. Les néons blanchissaient les lieux de leur lumière froide. Une cage. Les tests variaient tous les jours et notre bonne volonté conditionnait le repas. Quels tests? Et pourquoi nous? Je vous l'ai dit, nous étions plusieurs. C'est l'un des tests qui m'a permis de le découvrir. Des lames sortaient des murs et imposaient d'être au ras du sol. Si je voulais manger, il fallait atteindre le bout du labyrinthe dans le temps imparti. Temps inconnu et variable. Pas d'horloge, pas de certitude sauf celle de devoir aller vite. Ce jour-là, je faillis perdre. Le jour où, à quatre pattes dans un angle aigu du labyrinthe, je trouvais une lettre gravée. Un A qui érafla mon doigt. Nous étions filmés, nous n'avions rien que ce qu'on nous donnait et quelqu’un avait réussi à graver le sol. Avec quoi? Comment? Je fus moins rapide que je n'aurai pu car je tentai de mémoriser cet emplacement en comptant le nombre d'angles. Puis comprenant qu’étant fait à rebours ce décompte n'avait aucune utilité, j'arrêtai. Je le retrouverai. S'il existait vraiment. Les genoux brulés de m''être trainée depuis trop longtemps, j'atteignis le bouton de sortie au moment où le gong retentit. Ma geôlière était déjà là. Ce soir-là, je scrutais mon repas à la recherche d'un outil qui me permettrait de graver moi aussi. Rien. Pourtant, il y a avait un A. Avant que la lumière soit coupée, j'examinais chaque mur de ma chambre. Rien. Je restai prostrée jusqu'à l’extinction. Le déclic le vint le matin. Personne ne devait voir cette lettre. Dès l'aube, j’étais sous mon lit à parcourir du bout du doigt chaque latte du sommier. La profonde éraflure était immanquable: un M cette fois.

Lorsque la porte s'ouvrir, je suivi sans un mot la Burqa. Je passais la porte du labyrinthe et lui faisant face, je murmurai: « Je ne suis pas la première dans cette chambre. »

Elle eut un mouvement de recul réprimé et sa main tressaillit. Elle savait et elle était surprise que je sache. Je fis un pas, perdue dans mes pensées et pris une châtaigne. Le test du jour était : "comment réussir en évitant des flaques d'eau au risque de prendre des décharges électriques" ou plutôt "quel niveau de douleur pouvais-je endurer pour être nourrie?" Ce jour-là, je ne m'attardai pas sur la marque. Je ne sais pas comment je regagnai ma chambre. Certainement pas sur mes deux pieds. Les décharges étaient de plus en plus fortes au fil des mètres parcourus. J'avais vu le bouton de sortie. J'étais presque sûre de l'avoir vu.

**

Je me perdais dans ma propre mémoire. Les inspecteurs, eux, restaient lucides. Patients et lucides. Je revois le visage de la fille de l'accueil lorsque je lui ai dit que je venais dénoncer des crimes. Pas un mouvement de recul, pas de précipitation. Des crimes, ils en voyaient. Trop souvent.

L'inspecteur en noir dont je n'avais pas mémorisé le nom m'avait guidé vers une salle beige, demandant à la femme de l'accueil d’appeler Cartras. L'inspecteur Cartras, une femme, black, comme moi. Communautarisme, mimétisme, ils étaient prêts à jouer toutes les cartes.

— Nous vous écoutons, dit-elle

— J'ai été séquestrée. Nous étions deux. Il y en a eu d'autres avant nous. Je ne connais pas le coupable et je ne sais même pas où cela s'est passé.

Avec cette entrée en matière, j'aurais pu mal tombée. Quelques années plus tôt, une thésarde de l'ISP (NDLA : Institut des Sciences Sociales du Politique) avait étudié le fonctionnement de la police - c'était la petite fille d'un procureur. Dans le plus grand respect de la confidentialité des enquêtes, elle avait observé un schéma récurrent lors des dépositions: Interruption, victimisation, accusation implicite. Son mémoire proposait une analyse de ce schéma et un protocole d’interrogatoire alternatif pour les personnes traumatisés (assister à un crime est un trauma, faire une déposition ensuite l'est aussi). Le grand-père avait été convaincu par les résultats de cette thèse et il avait été rudement efficace. Sur la région, chaque commissariat avait été formé à ce protocole. Donc après m'avoir laissé plonger un peu, l'inspectrice toussota pour me sorti de mon récit, me demandant si je voulais quelque chose à manger et récapitulant mes propos.

— Je récapitule : vous avez été séquestré quatre mois, vous ne savez ni où, ni par qui...

Elle leva la main pour m'interrompre.

— ...J'ai aussi noté que quatre autres personnes ont été citées et que vous avez dit être la seule survivante. Exact?

— Oui

— Pouvez-vous me donner leurs noms complets, âges et descriptions.

— Maryem, environ 35 ans, je ne connais pas son nom. Elle était étudiante en médecine. Elle a une cicatrice de l’œil gauche à la lèvre. 1 mètre 60 environ. Algérienne j’en suis presque sûre, peau claire et aux yeux marron. Camille Dupuis, 22 ans, de Vincennes, vous trouverez toutes les infos auprès de ses parents. Je n'ai pas osé les prévenir. Angélique, aucune idée. Je sais qu'elle a été enfermée et qu'elle est la première morte.

— Comment sont-elles mortes?

— Angélique, je ne sais pas. Camille par pendaison. Pour Maryem, il est très, trop probable qu'elle soit morte. Parce qu'elle m'a fait sortir et notre geôlier n'accepte pas l'échec. C’était la raison de sa cicatrice. Un échec, lors d'un test. Elle était là-bas depuis longtemps.

— Par où êtes-vous sortie?

— Je ne me rappelle pas bien. Juste que Maryem me poussait toujours plus haut.

— Et les lieux? Vous êtes arrivée chez les Caron près de...Reichshoffen dans le Bas-Rhin. C'est une terre chargée d'Histoire. Pouvez-vous me décrire le trajet entre votre chambre et le labyrinthe?

— Environ cinq minutes. Avec un monte-charge.

— Vers le bas?

— Oui

— Des fenêtres?

— Non.

— Nature du sol?

— Ciment nu. Vos questions sont précises. Vous avez trouvé où c'est?

— Pas encore. Juste une hypothèse. Des fenêtres à votre chambre ou à un quelconque endroit du bâtiment?

— Non...C'est vrai...

— Il est possible que vous ayez été retenue dans un bâtiment souterrain. Plusieurs constructions restent méconnues car sous des bâtiments plus anciens, tels que des demeures de nobliaux ou des fermes.

— Une ferme?...Peut-être...une odeur de chevaux...

— Pouvez-vous préciser?

— Maryem. La femme à la burqa. Elle sentait parfois les chevaux.

Le capitaine Castra donna une feuille à son acolyte en disant: «j'arrive. ». Il sortit.

— Lydie, je vais sortir quelques minutes pour transmettre mes instructions à l'équipe qui se charge de cette enquête. Si Maryem a survécu longtemps avec son bourreau, il reste peut-être une chance de la sauver. Et dans tous les cas, nous devons nous assurer que tout ceci cesse. Parlez-moi de votre geôlier SVP?

— Je ne sais rien. Sa voix était déformée. Je ne l'ai jamais vu. Pas même son ombre. Maryem m'a dit que c'était un homme chauve et froid, jusqu'à ce qu'il se mette dans des colères terribles.

— Très bien. Vous me donnez beaucoup d'informations utiles. Repensez à toutes vos discussions avec les victimes. Je reviens.

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