Un défi

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Elle sortit de la pièce. Quinze minutes après Mr Black vint m'apporter un thé et des biscuits mous, puis ressortit. Ils revinrent vingt minutes plus tard. J'avais désormais une montre et pouvoir mesurer le temps était un privilège que je savourai.

— Lydie, nos hommes discutent actuellement avec nos homologues d’Haguenau. Les Caron vont venir témoigner et nous aurons peut-être plus d'éléments. Reprenons. Comment avez-vous découvert que l'autre jeune femme, Camille, était retenue avec vous?

— Maryem me l'a dit.

Devant le haussement de sourcils de la flic et la moue de son collègue, je développai:

— C'est vrai, elle ne parlait pas au début. Et elle a peu parlé jusqu'à la fin. Mais un jour, j'ai hurlé dans le labyrinthe que je ne serai jamais performante si mes cheveux me mangeaient le visage. Et oui, comme vous le savez, les cheveux crépus demande des soins constants. Au bout de, peut-être deux mois de lavage de cheveux hebdomadaire au savon de Marseille, j'étais hirsute. Je passai mon temps à chasser mes cheveux, à coincer mes doigts dedans. Bien pratique pour cacher la cuillère qui me permit de graver un L laborieux à côté du A. Maryem, encore muette, m'a fouillée et je n'ai pas été nourrie ni lâchée dans le labyrinthe pendant vingt-quatre heures. Au mitard en quelque sorte. Maryem est revenue boiteuse, à cause de la cuillère égarée. Pour en revenir à ces premiers mots, c'était le jour où elle m'a tondu les cheveux. Elle m'avait amenée dans une autre pièce avec une chaise et des menottes fixées dessus, pendant qu'elle me tondait, j'ai demandé : «Laquelle es-tu toi? A ou M? ». Elle a suspendu son geste et murmuré: «M. Je suis Maryem. Angélique est morte. Par ma faute. »

— D'accord, nous reviendrons sur cette Angélique. Dans la mesure où vous ne l'avez pas connu, elle a moins d'importance immédiate. Avant de parler de Camille, Maryem vous a-t-elle parlé d'autres filles?

— Non. Je ne lui ai pas demandé. Maintenant que j'y pense Camille m'a dit qu'il y avait trois lettres dans sa cellule. Une sous le lit comme moi, un M et deux sur le côté tête collé contre le mur. Un O et un S si je me rappelle bien.

On toqua à la porte. Mr Black récupéra un dossier tendu par une main extérieure et murmura à sa chef (ce que j'avais déduit au vu de son comportement vis-à-vis du capitaine Cartras). Elle ouvrit le dossier et le tourna vers moi.

— Nous pensons que l'une de ces portées disparues pourrait être Maryem.

Elle étala cinq photos de femmes. Un visage juvénile attira mon attention. J'attirai la photo à moi. La tête penchée vers quelqu'un hors du cadre, un sourire aux lèvres et des sourcils bien arqués. Le visage de Maryem avant sa cicatrice.

— C'est elle.

— Vous êtes sûre? Elle est plus jeune que ce que vous disiez. Et elle a disparu (elle retourna la photo), il y a onze ans. Ah...à Strasbourg, en Alsace.

— Je suis assez sure que c'est elle.

— C'est bien, très bien. Elle s'appelle effectivement Maryem. Nous allions parler de Camille. Quand avez-vous su?

- Après avoir gravé le L, j'ai noté que des marques apparaissaient. Je me suis crûe folle. Et à un moment, le doute ne fut plus permis. Quelqu'un d'autre essayait de gravé un arc de cercle. J'ai profité du changement de drap pour demander à Maryem qui était ici. J'ai failli ne pas l'entendre avec son éternel drap sur le visage. «Une blanche. Arrivée avec toi. ». Je ne l'ai même pas senti quitter la pièce. J'étais pétrifiée. C’était forcément Camille. Et un instant mon cœur s'est réjoui.

Les larmes coulaient librement sur mon visage. La flic ne me lâchait pas du regard.

— ...J'ai été heureuse qu'une amie soit là, avec moi. Avant de comprendre qu'elle vivait le même enfer. Et je m'en suis voulu de ce moment de joie. C'était horrible. Pas réjouissant.

— Continuez Lydie

— Ensuite j'ai supplié Maryem de lui dire que j'étais là. Elle n'osait pas. Elle m'a dit que c'était trop dangereux. Que la punition serait terrible si son maitre l'apprenait.

— Son maitre, Ce sont ces mots?

Je hochais la tête.

— Néanmoins, elle a parlé à Camille.

— Oui. J’ai cessé de parcourir le labyrinthe pendant trois jours. J'entrais et je m'asseyais à distance du danger du jour. Le troisième jour je n'ai pas pu me lever du lit tant j'étais faible. Elle m'a nourri à la cuillère. Et elle m'a dit que Camille savait et voulait que je me batte. Pour sortir. Sa main tremblait et la soupe s'est répandue sur les draps. Et elle a murmuré tout bas, si doucement : «Vous ne sortirez pas. Personne ne sort vivant d'ici. »

— Pourtant vous vous en êtes sorti Lydie. Vous êtes ici, en sécurité. Maintenant j'ai besoin de vous, j'ai besoin de détails sur cette voix et vos échanges avec Camille. Elle avait découvert deux autres lettres m'avez-vous dit. Elle n'était pas dans votre cellule. Avez-vous discuté de votre situation? Vous êtes-vous vu avant son décès?

Je pris quelques instants pour rassembler les fragments de ma mémoire. Toujours ces derniers mots et son visage s'interposait.

Le capitaine posa sa main sur la mienne en travers de la table. Elle franchissait le gouffre qui nous séparait pour me ramener au présent.

— Dites-moi ce qui est dans votre tête, là, tout de suite?

— Ces derniers mots et son regard. «Celle qui sortira, ce sera toi! »

La capitaine m’encourageât du regard. Elle lâcha ma main et me regarda dans les yeux.

— Maryem refusait d'être notre messagère. sauf qu'elle craignait aussi notre détermination. J'avais démontré la mienne et Camille...je vous l'ai dit, sous des dehors d'agneau, Camille pouvait faire baisser les yeux de n'importe qui. Sa volonté n'avait pas besoin de démonstration. Comme nous ne pouvions pas avoir de papier ni de crayon, Maryem devait apprendre une phrase, rien qu'une phrase aller et retour, à peu près tous les deux jours. Il fallait qu'elle ait l'occasion de la transmettre et d'avoir une réponse. Et comme nous ne la voyons que pour la nourriture, l'hygiène et le labyrinthe, les moments n'étaient pas nombreux. D'abord je lui ai demandé «Est-ce que tu es blessée? Moi non. ». Maryem m'a dit que Camille allait bien mais je voulais sa phrase. «Je suis assez en forme pour une Grande Évasion » fut sa réponse. Au final, Camille était comme moi: enfermée, pas blessée et soumise aux tests. Je demandais à Maryem si nous avions les mêmes. Elle détourna les yeux et dit «parfois ». J'étais sûre qu'elle ne me disait pas tout et sous sa burqa, sa voix révélait bien moins qu'un visage.

A un moment, après plusieurs échanges, Maryem s'est tue. Je l'ai harcelée de questions. J'étais inquiète. Elle m'a dit que c'était trop. Que ça allait se voir. On était moins abattues, moins combattantes dans le labyrinthe. Et puis Camille...Elle s'est arrêtée à mi- phrase. Alors le lendemain je lui ai promis: j'allais tout déchirer dans le labyrinthe, je serai exceptionnelle, quel que soit l'obstacle et en retour, son patron serait content et elle finirait sa phrase.

Ce jour-là c'était des casse-têtes en bois à chaque coin. Chaque échec occasionnait un coup. Les parois étaient truffées de matériel contondant, impossible de tout surveiller. Je me concentrais et comme les casse-têtes étaient le dada de mon père, je m'en sortis plutôt bien. Juste quelques gros hématomes supplémentaires. Lors du retour à ma chambre, Maryem ne dit rien. Je tambourinai à la porte lorsqu'elle la claqua dans mon dos. Le soir, le raclement du plateau s'accompagna d'un laconique «Camille veut te voir. Elle a arrêté de manger. »

Je cogitais toute la nuit. Même déterminée, Camille perdrait. Peut-être une autre approche...

Le lendemain j'enclenchais le destin: «Peut être pourrais-tu suggérer qu'un face à face serait instructif? »

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